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vendredi 12 janvier 2018

Comment valablement apprécier si une personne se qualifie comme étant en situation d'autorité

R. c. C. S., 2006 NBCP 7 (CanLII)

Lien vers la décision

[41]     Dans l’arrêt Hodgson, le juge Cory a réitéré que le fait que le défendeur croit subjectivement que la personne est en situation d’autorité est important pour déterminer la véritable qualité de la personne qui a reçu la déclaration. Il a toutefois ajouté qu’il doit y avoir un fondement raisonnable à la croyance subjective que la personne qui reçoit la déclaration a quelque influence sur le déroulement des poursuites judiciaires. Il a ajouté, aux paragraphes 33 et 34 :

[33]  Notre Cour a adopté l’approche subjective à l’égard de l’exigence relative à la personne en situation d’autorité. Voir l’arrêt Rothman, précité, à la p. 663. L’approche adoptée par le juge McIntyre (plus tard juge de notre Cour) dans R. c. Berger (1975), 27 C.C.C. (2d) 357 (C.A.C.‑B.), aux pp. 385 et 386 constitue, à mon avis, un exposé clair du droit pertinent :

[TRADUCTION] Il est établi, en droit, que la personne en situation d’autorité est une personne concernée par les poursuites judiciaires et qui, de l’avis de l’accusé, peut en influencer le déroulement. Le critère à appliquer pour décider si les déclarations faites à des personnes ayant de tels liens avec les poursuites judiciaires sont volontaires est subjectif. En d’autres mots, que pensait l’accusé? À qui croyait‑il parler? [. . .] Avait‑il l’impression que s’il ne parlait pas à cette personne, qui avait le pouvoir d’influencer les poursuites judiciaires, il en subirait un préjudice, ou croyait‑il qu’une déclaration lui permettrait d’obtenir un avantage ou une récompense? Si l’accusé n’avait pas une telle impression, la personne à laquelle la déclaration a été faite n’est pas considérée comme une personne en situation d’autorité et la déclaration est admissible.
[34]  Toutefois, j’ajouterais à cet énoncé que la croyance de l’accusé qu’il parle à une personne en situation d’autorité doit également être raisonnable eu égard aux circonstances dans lesquelles il fait la déclaration. […]
[42]     Le juge a ensuite donné, au paragraphe 35, plusieurs exemples de personnes en situation d’autorité :
[35]  Au fil des ans, les tribunaux ont établi à quel moment et dans quelles circonstances une personne est réputée être une personne en situation d’autorité pour l’application de la règle des confessions. Voir, p. ex., R. c. Trenholme(1920), 1920 CanLII 461 (QC CA)35 C.C.C. 341 (B.R. Qué.) (il a été jugé que le père du plaignant est une personne en situation d’autorité lorsqu’il a un certain pouvoir sur les poursuites contre l’accusé); R. c. Wilband,1966 CanLII 3 (SCC)[1967] R.C.S. 14 (un psychiatre n’est pas une personne en situation d’autorité lorsqu’il n’a ni pouvoir ni influence sur le déroulement des procédures); R. c. Downey (1976), 32 C.C.C. (2d) 511 (C.S.N.‑É., Div. app.) (la victime est une personne en situation d’autorité si l’accusé croyait raisonnablement qu’elle avait un certain pouvoir sur les procédures); A.B., précité (le père ou la mère ne sont pas, en droit, des personnes en situation d’autorité s’il n’y a aucun lien étroit entre la décision d’appeler les autorités et l’encouragement donné à un enfant pour qu’il fasse une déclaration); R. c. Sweryda (1987), 1987 ABCA 75 (CanLII)34 C.C.C. (3d) 325 (C.A. Alb.)(une travailleuse sociale est une personne en situation d’autorité si l’accusé savait qu’elle enquêtait sur des allégations de mauvais traitements infligés à des enfants et croyait que cela pouvait entraîner son arrestation). Ces décisions n’ont pas dérogé à la règle directrice qui définit la personne en situation d’autorité en fonction de la perception qu’a l’accusé du rôle que joue, dans l’enquête ou la poursuite du crime, la personne à laquelle il fait la déclaration; et elles n’ont pas non plus défini la personne en situation d’autorité en fonction uniquement de l’autorité personnelle que cette personne peut exercer sur l’accusé. Dans les cas où les tribunaux ont jugé que la personne qui avait reçu la déclaration était une personne en situation d’autorité, ils ont systématiquement conclu que l’accusé croyait que cette personne était un allié des autorités étatiques et pouvait influencer l’enquête ou les poursuites le visant.
[43]     D’autres remarques qu’il a faites au paragraphe 36 sont importantes pour la décision à rendre en l’espèce :
[36] Le facteur important à souligner dans toutes ces affaires est que, hormis les agents de la paix et les gardiens de prison, il n’existe aucune liste de personnes qui sont considérées d’office comme des personnes en situation d’autorité du seul fait de leur qualité. Un parent, un médecin, un enseignant ou un employeur peuvent tous être considérés comme des personnes en situation d’autorité si les circonstances le justifient, mais leur qualité, ou le simple fait qu’ils peuvent exercer une certaine autorité personnelle sur l’accusé, ne suffit pas à faire d’eux des personnes en situation d’autorité pour l’application de la règle des confessions. […] [C’est moi qui ajoute l’italique.]
[44]     Pour que la question soit soulevée au procès, la preuve présentée doit au moins satisfaire au critère énoncé aux paragraphes 37 et 38 de l’arrêt Hodgson :

[37] […] Toutefois, eu égard à l’exigence relative à la personne en situation d’autorité, la preuve requise pour établir si une personne doit être considérée comme une personne en situation d’autorité incombera souvent principalement à l’accusé. Ce dernier a donc une certaine obligation relativement à cet aspect de la règle des confessions. Il s’agit d’un fardeau de présentation et non de persuasion. Voir, p. ex., R. c. Scott (1984), 1 O.A.C. 397, à la p. 399. Dans The Law of Evidence in Canada (1992), aux pp. 56 et 57, John Sopinka, Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant expliquent ainsi la différence entre ces deux fardeaux:

[TRADUCTION] L’expression fardeau de présentation signifie qu’une partie a la responsabilité de s’assurer qu’il y a au dossier suffisamment d’éléments de preuve de l’existence ou l’inexistence d’un fait ou d’un point litigieux pour satisfaire au critère préliminaire applicable à ce fait ou à cette question. [. . .] Par contre, l’expression fardeau de la preuve signifie qu’une partie a l’obligation de prouver ou de réfuter un fait ou un point litigieux eu égard à la norme en matière criminelle ou civile. Le fait de ne pas convaincre le juge des faits suivant la norme applicable signifie que la partie n’aura pas gain de cause sur ce point.

Le fardeau de présentation qui incombe à l’accusé dans une affaire criminelle est décrit de la manière suivante (à la p. 138) :

[TRADUCTION] Lorsque le fardeau de présentation relativement à une question incombe au défendeur dans une affaire criminelle, par exemple la légitime défense, l’accusé est tenu de s’assurer qu’il y a au dossier des éléments de preuve permettant d’en faire une question en litige. Les éléments nécessaires pour satisfaire au fardeau de présentation peuvent se trouver dans la preuve du ministère public ou de la défense.

[38]  Dans la très grande majorité des cas, l’accusé s’acquittera de ce fardeau de présentation en prouvant qu’il connaissait l’existence du lien entre la personne recevant la déclaration et la police ou les autorités chargées des poursuites. Par exemple, le fait que la déclaration ait été faite à un agent de police en uniforme ou qui s’est identifié comme étant un agent de la paix permettra à l’accusé de s’acquitter du fardeau de présentation en ce qui concerne l’exigence relative à la personne en situation d’autorité. Voir, p. ex., Morris c. La Reine1979 CanLII 243 (CSC),[1979] 2 R.C.S. 1041, à la p. 1066. Une fois que l’accusé s’acquitte du fardeau de présentation, le fardeau ultime de la preuve incombe au ministère public. Voir R. c. McKenzie[1965] 3 C.C.C. 6 (C.S. Alb., Div. app.), à la p. 28. Dans R. c. Postman (1977), 1977 ALTASCAD 92 (CanLII)3 A.R. 524, à la p. 542, la Cour suprême de l’Alberta, Division d’appel, a statué, à juste titre à mon avis, que lorsqu’un témoin n’est pas à première vue une personne en situation d’autorité (dans cette affaire, il s’agissait d’un médecin), [TRADUCTION] « il est loisible à l’avocat de la défense de contester la preuve prima facie et d’exiger que des éléments de preuve soient produits pour permettre de statuer sur les faits de l’espèce ». Ainsi, une fois que la défense s’acquitte de son fardeau et établit que la preuve confirme la prétention que la personne qui a reçu la déclaration était une personne en situation d’autorité, il appartient alors au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable soit que la personne qui a reçu la déclaration n’était pas une personne en situation d’autorité, soit, s’il est impossible de faire cette preuve, que la déclaration a été faite volontairement.
[45]     C’est le même critère qui s’appliquerait pour qu’un défendeur puisse présenter une défense affirmative à un procès criminel. Ainsi, la question doit respecter le critère ou avoir assez de vraisemblance, si une preuve présentée par le ministère public ou la défense ou qui ressort du dossier lui-même pourrait permettre à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant de façon raisonnable, dans le cas d’une affaire donnant lieu à une défense affirmative, de prononcer l’acquittement. Voir R. c. Cinous2002 CSC 29 (CanLII)[2002] 2 R.C.S. 3 (C.S.C.)R. c. Fontaine, 2004 CSC 27 (CanLII)[2004] 1 R.C.S. 702 (C.S.C.), aux paragraphes 64 à 74, R. c. Cornejo (2003),2003 CanLII 26893 (ON CA)18 C.R. (6th) 124 (C.A. Ont.)R. c. O’Brien (R.S.) (2003), 2003 NBCA 28 (CanLII)257 R.N.‑B. (2e) 243(C.A.N.‑B.), aux paragraphes 113, 114, 116 et 120, et R. c. T.K.E., [2005] A.N.‑B. no 91 (C.A.N.‑B.), au paragraphe 34.
[46]     Dans sa conclusion sur la question, le juge Cory a donné un résumé utile des principes applicables pour évaluer, d’une part, si une déclaration a été faite à une personne en situation d’autorité, et, d’autre part, si elle était volontaire. Les points 3, 4 et 5 du résumé donné au paragraphe 48 de l’arrêt Hodgson sont particulièrement pertinents quant à la question de la personne en situation d’autorité :

3. La règle s’applique lorsque l’accusé fait une déclaration à une personne en situation d’autorité. Bien qu’il ne soit ni nécessaire ni souhaitable de définir de manière absolue l’expression « personne en situation d’autorité », cette expression vise habituellement les personnes qui participent officiellement à l’arrestation, à la détention, à l’interrogatoire ou à la poursuite de l’accusé. En conséquence, elle s’applique aux personnes tels les policiers et les gardiens de prison. Lorsque la déclaration de l’accusé est faite à un policier ou à un gardien de prison, un voir‑dire doit être tenu pour déterminer si la déclaration est admissible en tant que déclaration volontaire, sauf si l’avocat de l’accusé renonce au voir-dire.

4. Peuvent aussi être des personnes en situation d’autorité les personnes qui, selon ce que croit raisonnablement l’accusé, agissent pour le compte de la police ou des autorités chargées des poursuites et pourraient, de ce fait, avoir quelque influence ou autorité sur les poursuites engagées contre lui. Cette question doit être tranchée au cas par cas.

5. Pour déterminer qui est une personne en situation d’autorité, il faut examiner la question subjectivement, du point de vue de l’accusé. Toutefois, la croyance de l’accusé que la personne qui entend sa déclaration est une personne en situation d’autorité doit avoir un fondement raisonnable.

Illustration jurisprudentielle de conséquences découlant de transactions qui sont civiles et non pas criminelles

R. c. Varin, 1997 CanLII 10049 (QC CA)

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La preuve révèle clairement que l'offre initiale de 75 000 $ a été acceptée sans réserve par Guay et que le contrat de vente a été conclu, pour l'essentiel, en conformité des termes convenus.  Le prix de vente a entièrement été payé à Guay.  La même situation prévaut dans le cas de Lefort.  C'est subséquemment à l'acceptation par Guay de l'offre de 75 000 $ que l'immeuble a été transigé avec Lefort.  C'est sur la base de cette preuve que le premier juge a donné son aval à la thèse du ministère public qui reprochait à l'appelant 1) une fraude aux dépens de Guay qui se plaignait de n'avoir obtenu que 75 000 $ au lieu des 81 000 $ payés par Lefort, et 2) une fraude à l'endroit de Lefort qui, en corollaire, aurait dû payer 75 000 $ au lieu des 81 000 $ qu'il a déboursés.

            Avec égards pour l'opinion du premier juge, rien, dans la preuve, ne permet de voir que l'appelant aurait réalisé une appropriation matérielle à la suite d'un consentement obtenu par des moyens dolosifs.  Que l'acheteur Belisle ait convenu de revendre la propriété à profit et que l'appelant, un agent d'immeubles, ait agi à titre d'intermédiaire dans cette vente, ne changent rien à l'affaire.  Si des conséquences résultent de ces transactions, elles sont civiles et non pas criminelles.  Aucune utilisation d'un moyen dolosif ayant entraîné une privation malhonnête ne transpire de la preuve. (voir Vermette c. R.,(1995) 63 Q.A.C. 231Perreault c. R., (1992) 1992 CanLII 3282 (QC CA)R.J.Q. 1829Matthers c. R., J.E. 92-1500).

La réticence / dissimulation de faits importants en matière de fraude

Dumont c. R., 2001 CanLII 10280 (QC CA)

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[32]           Dans l'affaire Zlatic, madame la juge McLachlin énumère certaines situations qui sont comprises dans l'expression «tout autre moyen dolosif»:
Toutefois, la troisième catégorie de l'«autre moyen dolosif» a servi à justifier des déclarations de culpabilité dans un certain nombre de situations où il est impossible de démontrer l'existence d'une supercherie ou d'un mensonge.  Ces situations incluent, à ce jour, l'utilisation des ressources financières d'une compagnie à des fins personnelles, la dissimulation de faits importants, l'exploitation de la faiblesse d'autrui, le détournement de fonds et l'usurpation de fonds ou de biens: [Citations volontairement omises.]
[33]           Ici, l'appelant a caché à la CSST des faits importants et cette réticence était de nature à l'induire en erreur.  Si l'appelant avait dénoncé à la CSST qu'il occupait un emploi et s'il avait révélé son revenu réel, la CSST aurait cessé le versement de l'IRR.
[34]           Les réticences de l'appelant ont donc entraîné une perte pour la CSST.

mardi 2 janvier 2018

Des gestes posés par l'accusé l'ayant été à l'insu des victimes peuvent démontrer la conscience objective qu'avait l'accusé de son inconduite

Khan c. R., 2006 QCCA 1376 (CanLII)

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[5]               Il ressort de la preuve que l'infraction de fraude réside dans le fait pour l'appelant d’avoir amené les époux Maroist à investir 23 000 $ dans sa société (A.B.D.) en leur représentant qu'il investirait lui-même une somme équivalente et que leur investissement serait garanti par une promesse de vente sur un immeuble, propriété de la société. De plus, il fut convenu que deux signatures seraient nécessaires pour effectuer des retraits dans les comptes bancaires de la société. Ces actions de l'appelant sont soigneusement décrites dans le jugement (paragraphes 195 à 205) et constituent les paramètres d’examen de la conduite frauduleuse de l’appelant.
[6]               L'appelant a effectivement déposé au compte bancaire sa part de l'investissement pour ensuite retirer cette somme le même jour, et ce, à l'insu des Maroist.
[7]               Son explication voulant que n’ayant pas de compte bancaire personnel, il ait dû effectuer une transaction au compte de la société en déposant la somme de 22 243,60 $ le 10 avril 2000, soit quelques jours après que le couple Maroist ait déposé au compte de sa société leur part d'investissement, ne saurait tenir. En effet, la preuve révèle que l’appelant avait un compte à la Caisse populaire qui lui avait consenti une hypothèque sur l'immeuble appartenant à la société. Par ailleurs, il savait pertinemment que deux signatures étaient nécessaires pour effectuer un retrait du compte selon l'entente des parties.
[8]               En outre, Jules Maroist a affirmé que l'appelant lui avait montré le bordereau de dépôt afin de le convaincre qu'il avait bien déposé sa part d'investissement dans le compte de la société.
[9]               Quant à la garantie offerte par l’appelant sur l’immeuble de la société, la preuve établit que, le 29 décembre 1999, un préavis d'exercice d'un recours hypothécaire est enregistré au Bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière visée. D'ailleurs, le 30 mai 2000, la Caisse populaire est déclarée propriétaire de cet immeuble. Pourtant, le 4 avril 2000, l'appelant avait signé en faveur de Jules Maroist une promesse de vente de l’immeuble qui devait garantir son investissement dans la société de l'appelant. Bien que l'appelant ait divulgué ses défauts de paiement hypothécaire, il a laissé croire à Jules Maroist que les sommes dues seraient payées.
[10]           De l'ensemble de la preuve, il ressort que l'appelant s'est servi d'un subterfuge pour obtenir et ensuite subtiliser les sommes d'argent déposées au compte frustrant ainsi tant la société que ses partenaires d'affaires.
[11]           Les gestes posés par l'appelant l'ont été à l'insu des victimes ce qui démontre la conscience objective qu'avait l'appelant de son inconduite. Ce dernier savait qu'il détournait à son avantage la somme qu'il devait investir et que sa conduite entraînerait  une perte pécuniaire réelle pour les Maroist, bien qu'en matière de fraude, la seule preuve d'un risque de préjudice soit suffisante : R. c. Olan1978 CanLII 9 (CSC)[1978] 2 R.C.S. 1175.
[12]           De plus, le 5 juin 2000, en retirant des sommes d'argent dans les deux comptes bancaires de la société, alors que la signature de Jules Maroist était nécessaire pour effectuer des retraits, il s'est approprié cet argent à des fins personnelles, et ce, de façon malhonnête.
[13]           Les éléments essentiels de l'infraction de fraude résident dans l'emploi d'un moyen malhonnête entraînant une privation pour une personne alors que l'accusé doit savoir qu'il utilise un moyen dolosif qui causera ou pourra causer une privation à autrui : R. c. Théroux1993 CanLII 134 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 5R. c. Zlatic, 1993 CanLII 135 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 29. En l’espèce, l'appelant a agi à l'insu des époux Maroist en s’appropriant, sans droit, des sommes d'argent tout en leur laissant croire que leur investissement était garanti par l'immeuble dont la société était propriétaire. Dans ces circonstances, l’on ne saurait conclure que la déclaration de culpabilité est mal fondée[3]. Bien au contraire, le verdict repose sur l’ensemble de la preuve qui permettait au juge de conclure que les éléments essentiels de l’infraction avaient été prouvés hors de tout doute raisonnable.

Les éléments constitutifs de la fraude

R. c. Laraque, 2017 QCCQ 6584 (CanLII)

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[120] Le législateur prévoit ce crime à l’article 380 du Code criminel. Cet article prévoit que quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant, frustre une personne de quelque bien, service, argent ou valeur.
[121] Ce délit est punissable d’un maximum de 14 ans d’emprisonnement lorsqu’il vise une appropriation dépassant 5 000 $.
[122] Il s’agit d’une infraction qui se veut de portée générale, selon les enseignements de la Cour suprême du Canada, notamment dans les arrêts OlanThéroux et Zlatic, et qui doit être interprétée de façon libérale et inclusive.
[123] L’infraction ou le crime est susceptible d’englober une large gamme d’activités commerciales ou autres et ne se limite pas aux seuls cas de tromperie : R. c. Riesberry. Il requiert la preuve d’actes empreints de malhonnêteté en appliquant la norme objective d’une personne raisonnable. Cette personne raisonnable qualifierait-elle l’acte de malhonnête?
[124] Également, les actes malhonnêtes doivent être susceptibles d’occasionner un préjudice ou la mise en péril du patrimoine financier de la victime. Nul besoin qu’il y ait des pertes encourues, ni que l’accusé le souhaite ou en retire un profit.
[125] Dans Olan, précité, la Cour suprême du Canada mentionne que les termes « autre moyen dolosif » couvrent les moyens qui ne sont ni des mensonges, ni des supercheries. Ils comprennent tous les autres moyens qu’on peut proprement qualifier de malhonnêtes. Ils englobent le fait d’utiliser sciemment les actifs d’une compagnie à l’encontre de ses intérêts financiers et au détriment des actionnaires minoritaires.
[126] Dans Théroux, précité, on donne des exemples de moyens dolosifs incluant : l’utilisation des ressources financières d’une compagnie à des fins personnelles; la dissimulation de faits importants à la victime; le détournement non-autorisé de fonds; et l’usurpation non‑autorisée de fonds ou de biens. S’il s’agit d’un cas de fausses représentations et de propos mensongers, il n’est pas nécessaire de chercher d’autre moyen dolosif, les éléments n’étant pas cumulatifs.
[127] Les éléments constitutifs du crime de fraude sont exprimés ainsi par la juge McLachlin dans Théroux :
« […] l’actus reus de l’infraction de fraude sera établi par la preuve :
1.  D’un acte prohibé, qu’il s’agisse d’une supercherie, d’un mensonge ou d’un autre moyen dolosif; et
2.  De la privation causée par l’acte prohibé, qui peut consister en une perte véritable ou dans le fait de mettre en péril les intérêts pécuniaires de la victime.
De même, la mens rea de la fraude est établie par la preuve : 
1.  De la connaissance subjective de l’acte prohibé; et
2.  De la connaissance subjective que l’acte prohibé pourrait causer une privation à autrui (laquelle privation peut consister en la connaissance que les intérêts pécuniaires de la victime sont mis en péril). »
[128] Si la conduite et la connaissance requises par ces définitions sont établies, l’accusé est coupable, peu importe qu’il ait effectivement souhaité la conséquence prohibée ou qu’il lui était indifférent qu’elle se réalise ou non.
[129] Or, toujours dans Théroux, la Cour suprême du Canada mentionne que l’exigence d’un acte frauduleux intentionnel exclut la simple déclaration inexacte faite par négligence. Elle exclut également le comportement commercial imprudent ou le comportement qui est déloyal, au sens de profiter d’une occasion d’affaires au détriment d’une personne moins astucieuse. L’accusé doit intentionnellement tromper, mentir ou accomplir quelques autres actes frauduleux pour que l’infraction soit établie.
[130] Dans Zlatic, précité, l’accusé, un homme d’affaires, a détourné le produit de marchandises destinées à la revente pour s’adonner au jeu. Il avait reçu de ses fournisseurs, en contrepartie de chèques postdatés ou à crédit, des marchandises d’une valeur de 375 000 $. Sa compagnie a finalement fait faillite et les fournisseurs ont été floués.
[131] On constate que l’intention de compenser ou de rembourser la perte ne constitue pas un moyen de défense. L’infraction, pour ainsi dire, est complète ou consommée et les bonnes intentions de l’accusé ne peuvent le disculper.
[132] La plupart des fraudes comportent une forme de supercherie ou mensonge. Tel que souligné dans Théroux, la preuve de la supercherie ou du mensonge suffit à établir l'actus reus de la fraude. Aucune autre preuve d'un acte malhonnête n'est requise en pareils cas.
[133] Donc, la troisième catégorie de « l'autre moyen dolosif » peut servir à obtenir des déclarations de culpabilité dans un certain nombre de situations où il est impossible de démontrer l'existence d'une supercherie ou d'un mensonge. Ces situations incluent, à ce jour, l'utilisation des ressources financières d'une compagnie à des fins personnelles, la dissimulation de faits importants, l'exploitation de la faiblesse d'autrui, le détournement de fonds et l'usurpation de fonds ou de biens.
[134] Une conduite malhonnête est celle qu’une personne ordinaire jugerait indigne parce qu’elle est nettement incompatible avec les activités honnêtes ou honorables. À ce chapitre, la simple négligence ne suffit pas. La malhonnêteté de « l’autre moyen dolosif » tient essentiellement à l’emploi illégitime d’une chose sur laquelle une personne à un droit, de telle sorte que ce droit d’autrui se trouve éteint ou compromis. L’emploi est « illégitime » dans ce contexte s’il constitue une conduite qu’une personne honnête et raisonnable considérerait malhonnête et dénuée de scrupule

La mens rea de la fraude

Goulet c. R., 2016 QCCA 2090 (CanLII)

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[37]        Dans les arrêts Olan, Théroux et Zlatic, la Cour suprême explique que l'actus reus de la fraude comporte deux éléments. D'une part, il doit s'agir d'un acte prohibé ou malhonnête, qui consiste en une supercherie, en un mensonge ou en un autre moyen dolosif. D'autre part, il faut qu'il y ait une privation causée par cet acte prohibé, celle-ci pouvant soit être une perte véritable soit une mise en péril des intérêts pécuniaires de la victime. Notons toutefois qu'il n'est pas nécessaire que la personne qui commet la fraude en tire profit pour qu'elle soit déclarée coupable, ni que la victime en subisse une perte pécuniaire réelle pour que l'accusé soit trouvé coupable.
[38]        Quant à la mens rea, elle est constituée à la fois de la connaissance subjective de l'acte prohibé, et de la connaissance subjective que l'acte prohibé pourrait causer une privation à autrui, sans qu'il ne soit nécessaire que l'accusé saisisse subjectivement la malhonnêteté de son acte.
[39]        Notre Cour, sous la plume de la juge Côté, a résumé les éléments constitutifs de cette infraction dans l'arrêt Guité c. R. :
[93]           Les éléments essentiels de l'infraction de fraude ont été analysés par la Cour suprême dans trois arrêts de principe : R. c. Olan1978 CanLII 9 (CSC)[1978] 2 R.C.S. 1175R. c. Théroux1993 CanLII 134 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 5 et R. c. Zlatic1993 CanLII 135 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 29. Dans ces affaires, la Cour suprême a énoncé ce que constitue la mens rea de l'infraction de fraude en distinguant l'actus reus qui sera établi par la preuve d'un acte malhonnête dont l'appréciation doit se faire à partir de la norme objective de la personne raisonnable.
[94]           La perception réelle ou personnelle de l'accusé n'intervient que dans l'appréciation de la mens rea de l'infraction de fraude, soit qu'il savait qu'il commettait un acte malhonnête et que celui-ci entraînerait une privation pour la victime. Il faut rappeler qu'il y a privation dès qu'il y a un risque de préjudice pour les intérêts pécuniaires de la victime : R. c. Olan et R. c. Zlatic, précités.
[40]        La mens rea de la fraude n’exige pas d’intention malicieuse, malveillante ou de nuire chez l’accusé. On ne cherche pas à savoir si une personne raisonnable aurait prévu les conséquences de l’acte prohibé, mais plutôt si l’accusé avait une conscience subjective que les conséquences étaient à tout le moins possibles.
[41]        Dans l'arrêt R. c. Théroux, la juge McLachlin, écrivant pour la majorité, affirmait que « [p]our établir la mens rea de la fraude, le ministère public doit démontrer que l'accusé a sciemment employé le mensonge, la supercherie ou un autre moyen dolosif alors qu'il savait qu'une privation pouvait en résulter ». Elle rappelait également que la preuve de la connaissance n'exige pas nécessairement de faire la preuve précise de ce que l'accusé avait à l'esprit au moment où il commettait l'infraction :
Dans certains cas, la conscience subjective des conséquences peut être déduite de l'acte lui‑même, sous réserve de quelque explication qui vient mettre en doute cette déduction. Le fait qu'une telle déduction soit faite ne diminue en rien le caractère subjectif du critère.
[Soulignements ajoutés]
[42]        Dans leur ouvrage sur les infractions contre la propriété, les auteurs Gagné et Rainville s'expriment ainsi quant à la connaissance des faits constitutifs du moyen dolosif employé :
La fraude consiste à faire usage d'un moyen dolosif occasionnant la privation d'un tiers. L'utilisation de ce moyen dolosif ne doit pas être involontaire: l'inculpé doit avoir été au courant des faits constitutifs du moyen dolosif qu'on lui reproche d'avoir utilisé. La Cour suprême ne distingue pas selon la nature du moyen dolosif employé. L'accusé devra avoir agi intentionnellement quel que soit le comportement frauduleux qui lui est reproché: «L'accusé doit intentionnellement tromper, mentir ou accomplir quelque autre acte frauduleux pour que l'infraction soit établie.» Tout doute raisonnable quant à l'état des connaissances du prévenu suffira à le faire acquitter.

L'appréciation du préjudice dans le cadre d'un appel d'offre public truqué

R. c. Gauthier, 2016 QCCQ 9374 (CanLII)

Lien vers la décision


[78]      Malgré l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité sur le deuxième chef, et sans présenter une requête pour retrait de ce plaidoyer, la défense soutient qu’une condamnation sur le deuxième chef, soit la fraude envers les soumissionnaires est une impossibilité juridique.
[79]      Premièrement, elle soutient qu’il y a absence de préjudice, puisque les soumissionnaires ne pouvaient pas tous s’attendre à gagner le contrat qu’ils ont perdu. En deuxième lieu, elle plaide que la condamnation sur le deuxième chef est impossible puisqu’ « un collusionaire ne peut juridiquement être victime d’une fraude à laquelle il participe ».
[80]      Le Tribunal rejette ces deux arguments. Le préjudice causé aux soumissionnaires découle de la privation de la possibilité de soumissionner équitablement et d’avoir une vraie chance de gagner le contrat. Tel que M. Gauthier l’admet dans l’exposé conjoint des faits, les soumissionnaires intéressés au projet du site Contrecœur ont subi un risque de préjudice à leurs intérêts pécuniaires. Pour une condamnation de fraude, la preuve d’une perte réelle n’est pas requise.
[81]      De plus, il va de soi que ce chef de fraude fait référence aux « autres » soumissionnaires ayant répondu à l’appel de qualification et à l’appel d’offres de la SHDM et ne vise pas l’accusé comme victime.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les délais préinculpatoires peuvent être considérés en vertu de la Charte

R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557 Lien vers la décision [ 16 ]          Plus récemment, dans l’affaire  Hunt , il a été réitéré que les délais p...