jeudi 26 novembre 2015

L'arrêt Wagg


Même si déterminer le moment où l’on doit ordonner la production de la preuve documentaire de la poursuite est un exercice hautement contextuel, certaines lignes directrices sont en cours d’élaboration. Dans l’affaire D P c. Wagg de 2004, la Cour d’appel de l’Ontario a adopté un processus de sélection qui a depuis été grandement utilisé quand ces documents sont demandés dans le cadre d’une affaire civile. Dans l’affaire Wagg, la demanderesse a intenté une poursuite civile pour les préjudices que lui aurait causés l’agression sexuelle du défendeur. Le défendeur n’avait pas été reconnu coupable au pénal puisque les accusations avaient été suspendues en raison d’un retard déraisonnable. À l’appui de sa poursuite civile, la demanderesse a réclamé la production des déclarations que le défendeur avait fournies à la police durant l’enquête criminelle. Ces déclarations avaient été jugées inadmissibles au procès parce que le tribunal avait conclu que le droit de l’accusé d’avoir recours à un avocat en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte avait été enfreint.
En raison d’une divulgation dans le cadre du procès pénal, le défendeur dans l’affaire Wagg était en possession des dossiers de l’enquête policière détenus par la poursuite. Dans les Règles des procédures civiles de l’Ontario, il n’existait pas de mécanisme pour informer le ministère public de la demande de production ni de moyen de permettre au ministère public de se prononcer sur cette question. Afin d’aborder ce problème, et plus particulièrement les préoccupations relatives à la vie privée et à l’intégrité du processus pénal, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé l’utilisation d’un processus qui est maintenant connu sous le nom de « mécanisme de filtrage Wagg » et a ordonné la production de la preuve. Tout en soulignant l’importance d’avoir la forme de communication préalable la plus complète dans les poursuites civiles, le juge Rosenberg a accepté qu’il puisse y avoir des raisons d’intérêt public impérieuses justifiant la décision de ne pas divulguer certains renseignements.
Le processus adopté par la Cour d’appel dans l’arrêt Wagg est le suivant :
  • Une personne en possession de documents de la poursuite doit divulguer leur existence dans l’affidavit de documents si elle est partie à une instance civile où ces documents pourraient être pertinents.
  • La personne ne devrait pas divulguer le contenu intégral des documents tant que le poursuivant, la police ou les deux n’auront pas consenti à leur divulgation ou tant qu’une ordonnance du tribunal n’a pas été rendue pour forcer leur divulgation. Quand le tribunal détermine s’il doit rendre obligatoire la divulgation d’un document, il doit s’assurer que le document en question contient des renseignements qui pourraient être pertinents.
  • Dans l’affirmative, le tribunal entreprend ensuite un processus d’évaluation afin de déterminer s’il [traduction] « existe dans le cas particulier une valeur sociale dominante et un intérêt public à la non-divulgation qui prévaut sur celui de favoriser l’administration de la justice par l’accès libre et entier des parties à l’information pertinente ».
Le juge Rosenberg a reconnu que le mécanisme de filtrage Wagg pourrait retarder considérablement le règlement du litige et en augmenter grandement le coût. Toutefois, il croyait que la plupart des demandes de production pourraient être résolues sur consentement. Il a affirmé ce qui suit :
[traduction] Je m’attends à ce que les parties et les agents de l’État soient généralement en mesure de s’entendre sur la divulgation des documents dans bien des cas. Quand la partie en possession de la preuve documentaire de la poursuite a accès aux documents, l’équité exige normalement que l’autre partie y ait également accès. [...] 
De plus, les parties et les agents de l’État devraient accepter de produire tous les renseignements qui ont été utilisés par le tribunal dans le cadre de la poursuite pénale s’ils revêtent un intérêt d’importance supérieure, par exemple des documents privés de plaignants dans des affaires d’agression sexuelle ou des dossiers médicaux confidentiels.
Bien qu’il n’ait pas été adopté dans toutes les provinces et tous les territoires, le mécanisme de filtrage Wagg a été utilisé à l’intérieur et à l’extérieur de l’Ontario et a été cité et approuvé par la Cour suprême du Canada.
Puisque l’affaire Wagg porte sur des parties privées plaidant une affaire civile, on s’est rapidement demandé si le mécanisme Wagg s’appliquait quand des organismes publics comme les SAE voulaient obtenir l’accès aux documents de la poursuite. En effet, parmi le nombre considérable de demandes faites au ministère du Procureur général de l’Ontario après l’affaire Wagg, 20 % concernaient des affaires de protection de la jeunesse, juste derrière les accidents automobiles. Une décision rendue en 2007, Children’s Aid Society of Algoma c. D P , a permis de régler la question et de confirmer que le mécanisme Wagg s’applique aux demandes des SAE pour les dossiers des tiers.
Dans l’affaire Algoma, la SAE craignait que les enfants vivant dans une famille où il y avait semble-t-il de la violence et beaucoup de conflits soient à risque de subir des problèmes affectifs et d’être exposés à une conduite inappropriée. La SAE a demandé que le procureur général de l’Ontario divulgue les casiers judiciaires, le contenu des documents de la poursuite, ainsi que les dossiers de probation et de libération conditionnelle concernant la mère de l’enfant et son petit ami. Le procureur général a invoqué le droit à la vie privée des tiers nommés dans les dossiers. Il a également affirmé que, si ces renseignements étaient produits, cela pourrait entraîner des craintes de poursuites pénales : les témoins pourraient être réticents à coopérer avec la police si leurs noms risquaient ensuite d’être divulgués à la SAE .
La SAE a soutenu que la nécessité de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant devrait l’emporter sur le droit à la vie privée des tiers. Dans cette affaire, il n’y avait pas d’enquête criminelle en cours dont l’intégrité pouvait être entravée par la production de documents. La juge Pardu a indiqué qu’il était vrai que des préoccupations d’intérêt public et des préoccupations relatives à la vie privée pourraient restreindre la production, mais que ce serait une situation rare étant donné que des [traduction] « motifs d’intérêts publics importants justifient le travail des sociétés d’aide à l’enfance ». La SAE a fini par obtenir accès aux dossiers, à l’exception des codes policiers internes, des numéros du service d’empreintes digitales et des noms des informateurs confidentiels qui ont été retirés. En outre, pour les copies fournies aux parents de l’enfant, le tribunal a également ordonné le retrait des numéros d’assurance sociale, des permis de conduire et des plaques d’immatriculation des tiers, ainsi que leur date de naissance, leurs numéros de téléphone et leurs adresses. Le tribunal a conclu que :
[traduction] Les personnes qui donnent aux policiers des renseignements qui suscitent des préoccupations quant au bien-être d’un enfant devraient s’attendre à ce que ces renseignements soient transmis à une société d’aide à l’enfance, car les policiers sont obligés d’informer ces sociétés quand ils ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’un enfant pourrait être en danger. [...] Bien qu’il pourrait y avoir des dossiers de nature extrêmement délicate qui portent sur des questions extrêmement personnelles et ne devraient être divulgués à personne, même à une société d’aide à l’enfance, parce qu’ils ne sont pas d’une grande utilité pour l’enquête, dans la plupart des cas, la remise des dossiers judiciaires appropriés à la société d’aide à l’enfance ne portera pas atteinte aux attentes raisonnables en matière de vie privée auxquelles on fait allusion dans ces dossiers.
Il faut souligner que les pratiques diffèrent selon les provinces et les territoires en ce qui a trait aux requêtes de typeWagg, puisque les degrés de coopération entre les organismes de protection de la jeunesse et les services des poursuites pénales varient.

Tiré de : http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/vf-fv/elcvf-mlfvc/p8.html

La partialité affecte la compétence du juge



91.              Pour mériter le respect et la confiance de la société, le système de justice doit faire en sorte que les procès soient équitables et qu’ils paraissent équitables aux yeux de l’observateur renseigné et raisonnable. Tel est le but fondamental assigné au système de justice dans une société libre et démocratique.

92.              C’est un principe bien établi que tous les tribunaux juridictionnels et les corps administratifs sont tenus d’agir équitablement envers les parties qui ont à comparaître devant eux. Voir à titre d’exemple Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities)1992 CanLII 84 (CSC)[1992] 1 R.C.S. 623, à la p. 636. Afin de remplir cette obligation, le décideur doit être impartial et paraître impartial. La portée de cette obligation et la rigueur avec laquelle elle s’applique varieront suivant la nature du tribunal en question.

96.              Habituellement, c’est l’accusé qui, dans un procès criminel, allègue la partialité, réelle ou apparente, du tribunal.  Toutefois, rien n’empêche le ministère public de faire une allégation similaire. Il y est même tenu lorsque les circonstances l’exigent. Même s’il ne fait pas l’objet d’une protection constitutionnelle explicite, c’est un important principe de notre système juridique que le procès doit être équitable pour toutes les parties -- pour le ministère public comme pour l’accusé. Voir à titre d’exemple R. c. Gushman[1994] O.J. No. 813 (Div. gén.). Dans l’arrêt Curragh, précité, notre Cour a récemment maintenu une allégation de crainte de partialité suscitée par la conduite du juge du procès envers un substitut du procureur général.  Dans un contexte légèrement différent, on a conclu que si le juge forme ou paraît former une opinion partiale contre un témoin du ministère public, par exemple la victime d’une agression sexuelle, il y a possibilité que le procès soit inéquitable envers le ministère public: arrêt Wald, précité, à la p. 336.

99.              Si les paroles ou la conduite du juge suscitent une crainte de partialité ou dénotent réellement sa partialité, il excède sa compétence. Voir les décisions Curragh, précitée, au par. 5; Gushman, précitée, au par. 28. On peut remédier à cet excès de compétence en présentant une requête en récusation adressée au juge présidant l’instance si celle-ci se poursuit, ou en demandant l’examen en appel de la décision du juge. Dans le cadre de l’examen en appel, on a jugé récemment que la «conclusion correctement tirée qu’il existe une crainte raisonnable de partialité mène habituellement, de façon inexorable, à la décision qu’il doit y avoir un nouveau procès»: arrêt Curragh, précité, au par. 5.

100.            S’il y a crainte raisonnable de partialité, c’est l’ensemble des procédures du procès qui sont viciées et la décision subséquente aussi bien fondée soit-elle ne peut y remédier. Voir l’arrêt Newfoundland Telephone, précité, à la p. 645; voir aussi l’arrêt Curragh, précité, au par. 6. Ainsi, le simple fait que le juge paraît, sur certains points, avoir tiré des conclusions justes quant à la crédibilité ou qu’il arrive à un résultat correct ne peut dissiper les effets de la crainte raisonnable de partialité que d’autres paroles ou actes du juge ont pu susciter. Dans le contexte d’une requête en récusation du juge siégeant dans une poursuite donnée, on a statué que lorsqu’il y a crainte raisonnable de partialité, «on ne peut rendre une décision finale à partir de conclusions sur la crédibilité formulées dans de pareilles conditions»: Blanchette c. C.I.S. Ltd.1973 CanLII 3 (CSC)[1973] R.C.S. 833, à la p. 843. Toutefois, si les paroles ou la conduite du juge, eu égard au contexte, ne suscitent pas de crainte raisonnable de partialité, ses conclusions n’en seront pas entachées, quelque inquiétantes qu’elles puissent être.

101.            Par conséquent, si l’appelant a raison de dire que les cours d’appel ont, avec sagesse, adopté une norme d’examen fondée sur la retenue en ce qui concerne l’analyse des conclusions factuelles des tribunaux d’instance inférieure, dont les conclusions relatives à la crédibilité des témoins, il est quelque peu trompeur de définir la question en litige dans le présent pourvoi comme se ramenant à une question de crédibilité. Si les conclusions du juge Sparks sur la crédibilité étaient entachées de partialité ou de crainte de partialité, elles avaient été tirées sans compétence, et elles ne justifiaient pas le respect de la cour d’appel. Par contre, si ses conclusions n’étaient pas entachées de partialité, alors l’affaire portait entièrement sur lesdites conclusions et la cour d’appel ne devait pas les modifier, sauf si elles étaient manifestement déraisonnables ou ne s’appuyaient pas sur la preuve. Voir à titre d’exemple R. c. W. (R.)1992 CanLII 56 (CSC)[1992] 2 R.C.S. 122, aux pp. 131 et 132.

mardi 24 novembre 2015

La requête visant la continuation des procédures suivant la suspension des procédures

Canada (Procureur général) c. Gagné , 2009 QCCS 1614 (CanLII)

Lien vers la décision


[18]            Le Procureur général du Canada demande la continuation du procès de M. Gagné selon l'article 25 des Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle.
[19]            L'article 25 des Règles de procédure prévoit ce qui suit:
25. La signification de la requête opère sursis de toutes les procédures devant le tribunal, le juge ou le fonctionnaire visé mais le juge peut, en tout temps, en ordonner la continuation.
[20]            Dans la mesure où le juge qui détermine s'il doit ordonner la continuation d'un procès en vertu de l'article 25 des Règles de procédureest appelé à surseoir au sursis automatique prévu par l'article 25, il doit appliquer les critères de l'arrêt Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd.
[21]            Dans la décision RJR - Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), les juges Sopinka et Cory énoncent le critère applicable à une demande de suspension d’instance :
L'arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire.  Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger.  Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée.  Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.
[22]            Les critères de l’arrêt Metropolitain Stores ont été appliqués par la Cour d’appel dans Boutin c. Mayrand.  Dans cette affaire, on demandait à la Cour d’appel de surseoir à la tenue du procès devant la Cour supérieure pendant l’audition de l’appel à l’encontre d’une décision à l’égard d’un bref de certiorari qui contestait des décisions du juge ayant présidé l’enquête préliminaire.
[23]            En l'espèce, le Tribunal ne se prononce pas sur la demande de prohibition présentée par M. Gagné mais uniquement sur la requête de la poursuite visant la continuation des procédures.


B – L'application des trois critères
a) Question sérieuse à juger
[24]            Selon l’arrêt RJR - Macdonald, la détermination du caractère sérieux de la question soulevée exige un examen préliminaire du fond de l’affaire, mais pas un examen prolongé «en se fondant sur le bon sens et un examen extrêmement restreint du fond de l'affaire».  L’analyse du deuxième et du troisième critère doit être effectuée même si le demandeur sera probablement débouté lors de l’audition sauf dans les cas où la question est futile ou vexatoire.
[25]            La question de la partialité d'un juge est une question sérieuse même si la décision de la Cour suprême dans Bande indienne Wewaykum c. Canada affaiblit, dans une certaine mesure, une partie de l'argumentation présentée par M. Gagné.
b) Préjudice irréparable
[26]            À l’étape de l’analyse du préjudice irréparable, «la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire». 
[27]            Le requérant doit «convaincre la cour qu'il subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement.  Le terme "irréparable" a trait à la nature du préjudice et non à son étendue».
[28]            La question de la partialité pourra être soulevée en appel si M. Gagné est condamné.  Il n'est donc pas en mesure d'établir un préjudice irréparable si le Tribunal ordonne la continuation de son procès.
c) La prépondérance des inconvénients et l’intérêt public
[29]            L’arrêt RJR – MacDonald énonce que: «le troisième critère applicable à une demande de redressement interlocutoire [est] un critère qui consiste «à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond».
[30]            Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Fishing Vessel Owners' Association of B.C., la Cour d'appel fédérale écrit ce qui suit: «[l]orsqu'on empêche un organisme public d'exercer les pouvoirs que la loi lui confère, on peut alors affirmer, en présence d'un cas comme celui qui nous occupe, que l'intérêt public, dont cet organisme est le gardien, subit un tort irréparable». 
[31]            Ce passage est cité par la Cour suprême tant dans Metropolitan Stores que dans RJR – MacDonald
[32]            Dans RJR – MacDonald, la Cour suprême affirme que dans «le cas d'un organisme public, le fardeau d'établir le préjudice irréparable à l'intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l'organisme public et, en partie, de l'action qu'on veut faire interdire.  On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés.  Si l'on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public».
[33]            En matière criminelle, normalement il n'y a pas d'appels interlocutoires.  Même si le recours en prohibition n'est pas un appel interlocutoire, il a le même effet.
[34]            Dans R. c. Arcand(2005), 2004 CanLII 46648 (ON CA)192 C.C.C. (3d) 57 (Ont. C.A), la Cour d'appel de l'Ontario examine des questions similaires à celles posées par le recours en prohibition de M. Gagné et la demande de continuation du procès de la poursuite.
[35]            Le juge Rosenberg écrit ce qui suit:
At common law, certiorari and prohibition are discretionary remedies and the superior court should generally decline to grant the remedy where there is an adequate appellate remedy. As Doherty J.A. said in R. v. Duvivier (1991), 1991 CanLII 7174 (ON CA)64 C.C.C. (3d) 20 (Ont. C.A.), at 23-4:

The jurisdiction to grant that relief, either by way of prerogative writ or under s. 24(1) of the Charter, is discretionary. It is now firmly established that a court should not routinely exercise that jurisdiction where the application is brought in the course of ongoing criminal proceedings. In such cases, it is incumbent upon the applicant to establish that the circumstances are such that the interests of justice necessitate the immediate granting of the prerogative or Charter remedy by the superior court…

After referring to a number of cases supporting this proposition, Doherty J.A. continued as follows:

These cases dictate that issues, including those with a constitutional dimension, which arise in the context of a criminal prosecution should routinely be raised and resolved within the confines of the established criminal process which provides for a preliminary inquiry (in some cases), a trial, and a full appeal on the record after that trial.

Those same cases identify the policy concerns which underline the predilection against resort to the superior court for relief during criminal proceedings. Such applications can result in delay, the fragmentation of the criminal process, the determination of issues based on an inadequate record, and the expenditure of judicial time and effort on issues which may not have arisen had the process been left to run its normal course. The effective and efficient operation of our criminal justice system is not served by interlocutory challenges to rulings made during the process or by applications for rulings concerning issues which it is anticipated will arise at some point in the process. [Emphasis added.]

Those policy concerns apply not only to criminal cases but also to proceedings under the Provincial Offences ActSee R. v. Felderhof2002 CanLII 41888 (ON SC)[2002] O.J. No. 4103 (Ont. S.C.J.) at paras. 11-16, aff'd (2003), 2003 CanLII 37346 (ON CA)180 C.C.C. (3d) 498 (Ont. C.A.). Thus, for example, at the time the respondent brought his application for prohibition there was an incomplete record. Mr. Rickey had not testified and so the complete picture of what occurred with the Montgomery Binder was not before the application judge. The result of the application was to delay and fragment the trial. As A. Campbell J. said in R. v. Felderhof at para. 14:

The appellate search for hypothetical error in the middle of a trial defeats not only the integrity of the trial process but also the efficacy of the appeal process. The only efficient way to deal with alleged errors, and the fairest way to both sides, is to wait until the trial is over and then to appeal. From a practical point of view, trials would be endless if mid-trial rulings could be appealed or reviewed.

The limitation on intervention in on-going proceedings applies even where the accused or defendant claims that a ruling by the trial court has breached constitutional rights. Duvivier and Felderhof make clear that is not every erroneous ruling on an alleged Charter violation causes the trial court to lose jurisdiction. As was said by this court in R. v. Corbeil (1986), 27 C.C.C. (3d) 245 (Ont. C.A.), at 254 "only in special and exceptional circumstances can it be said that the denial of a constitutional right has resulted in a loss of jurisdiction so as to justify the extraordinary remedies of certiorari and prohibition". The court described those circumstances as involving "a palpable infringement of a constitutional right that has taken place or is clearly threatened".

(Nous soulignons)

[36]            Dans R. v. 1353837 Ontario Inc. (2005), 2005 CanLII 4189 (ON CA)193 C.C.C. (3d) 468 (C.A. Ont.), le juge Laskin de la Cour d'appel de l'Ontario énonce ce qui suit au sujet des recours extraordinaires durant un procès criminel:
However, the court's discretion to refuse a prerogative remedy goes beyond s. 141(4). Even if a preliminary ruling or a ruling during a hearing denies a party natural justice, the court or tribunal retains discretion to deny prerogative relief and insist that the hearing proceed. The debate over whether a preliminary ruling denying procedural fairness entitles the aggrieved party to prerogative relief virtually as a right or whether the relief may be denied because there is an adequate alternative remedy -- for example, an appeal -- is a familiar one in administrative law. In administrative proceedings, the Supreme Court of Canada has favoured allowing the hearing to proceed. See Harelkin v. University of Regina1979 CanLII 18 (CSC)[1979] 2 S.C.R. 561 (S.C.C.)Canadian Pacific Ltd. v. Matsqui Indian Band1995 CanLII 145 (CSC)[1995] 1 S.C.R. 3 (S.C.C.); and see also the decision of this court in Howe v. Institute of Chartered Accountants (Ontario) (1994), 1994 CanLII 3360 (ON CA)19 O.R. (3d) 483 (Ont. C.A.).

The typical reasons given for refusing judicial review at the beginning of or during a hearing in the face of an otherwise reviewable wrong include maintaining the integrity of the process, avoiding fragmenting or delaying the proceedings, and the availability of an appeal on a full record.

(…)

Despite these policy considerations favouring a non-interventionist approach, the rare case will arise where a court is justified in intervening before or during a POA proceeding. A judge's erroneous ruling may make the proceedings so unfair that the interests of justice require the court to intervene and grant prerogative relief. The court may conclude that stopping the proceedings before the trial starts or at an early stage of the trial may be less costly and more efficient than to permit the flawed proceedings to go forward. In Duvivier, at 24-25, Doherty J.A. put it this way:
I stress, however, that this limitation on resort to Charter or extraordinary remedy relief during criminal proceedings has been judicially imposed and cannot be taken as the equivalent of an absolute privative clause barring all such applications. Where the circumstances are such that the interests of justice require immediate intervention by the superior court, that jurisdiction can and will be exercised.

(Nous soulignons)
[37]            On peut donc constater que le pouvoir d'intervention de la Cour supérieure est limité.  Il n'est pas souhaitable que la Cour supérieure intervienne durant la tenue d'un procès devant la Cour du Québec et qu'elle entende des recours de nature interlocutoire à l'égard de questions qui peuvent faire l'objet d'un appel.
[38]            Les principes énoncés dans les arrêts Arcand et 1353837 Ontario Inc s'appliquent à la demande de continuation des procédures de la poursuite.  Si le procès ne pouvait continuer, un préjudice plus grand serait causé à l'intérêt public, de même qu'au droit de M. Gagné d'être jugé dans un délai raisonnable.
[39]            Comme le juge McIntyre l'écrit dans l'arrêt Mills c. La Reine «l'expérience démontre qu'une requête ou un appel interlocutoire occasionne bien trop souvent des délais».

L'État du droit quant au bref de prohibition

Hurens c. R., 2013 QCCA 1700 (CanLII)


[1]         L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure (l'honorable André Vincent) qui a rejeté sa demande de révision judiciaire à la suite du refus du juge du procès de se récuser en raison de décisions et de propos remis en question par l'appelant.
[2]         Il est reconnu que les recours en révision judiciaire, qu'ils soient de la nature d'un certiorari ou de la prohibition, sont à proscrire lorsqu'ils portent sur des jugements interlocutoires rendus en matière criminelle et pénale : Forest c. La Reine2010 QCCA 861 (CanLII)Chun et al c. La Reine, 2009 QCCA 612 (CanLII). En effet, ces décisions sont susceptibles d'être éventuellement reformées en appel, de sorte qu'il existe un autre moyen efficace de les contester : P.G. Canada c. Gagné2009 QCCS 1614 (CanLII), et la fragmentation des procédures en matière criminelle doit être évitée en raison de tous les désavantages qui lui sont associés : La Reine c. Magnotta2013 QCCS 4395 (CanLII)R. v. Duvivier(1991), 1991 CanLII 7174 (ON CA)64 C.C.C. (3d) 20 (C.A. Ont)R. c. Mills1986 CanLII 17 (CSC)[1986] 1 R.C.S. 863.
[3]         Ainsi, la Cour supérieure devrait généralement refuser d'exercer sa compétence en la matière, comme le rappelle le juge Rosenberg dans R. v. Arcand2004 CanLII 46648 (ON CA)73 O.R. (3d) 758 (Ont. C.A.) :
[13] At common law, certiorari and prohibition are discretionary remedies and the superior court should generally decline to grant the remedy where there is an adequate appellate remedy. […]
[4]         Il peut toutefois exister des cas rares où l'intérêt supérieur de la justice nécessite une intervention immédiate de la Cour supérieure (R. v. Duvivier, précité; R. v. Chue2011 ONSC 5322), par exemple, lorsque les remarques du juge de première instance ou ses décisions sont telles qu'elles peuvent affecter l'équité des procédures. Ce pourrait être le cas d'une situation qui susciterait une crainte raisonnable de partialité de la part du juge et où ce dernier aurait ainsi perdu compétence.
[5]         Par ailleurs, l'erreur relevée par l'appelant dans l'extrait de R. c. S.(R.D.), 1997 CanLII 324 (CSC)[1997] 3 R.C.S. 484, cité par le juge de la Cour supérieure, n'a pas l'impact qu'il lui attribue. En effet, au paragraphe 13 du jugement, le juge reconnaît que certaines situations justifient un recours en prohibition, même si un appel peut ultérieurement être interjeté, et, au paragraphe 14, que la crainte raisonnable de partialité peut suffire.
[6]         En l'espèce, l'appelant ne nous convainc pas que le juge de la Cour supérieure a commis une erreur en rejetant sa requête, qui était fondée sur des décisions interlocutoires rendues par le juge du procès et sur certains propos tenus dans le cadre d'un voir-dire.

mardi 17 novembre 2015

The Legal Framework of Disclosure

R v Anderson, 2013 SKCA 92 (CanLII)

Lien vers la décision

[57]   The Crown’s obligation to provide disclosure as set forth in R. v. Stinchcombe1991 CanLII 45 (SCC)[1991] 3 S.C.R. 326, was recently reiterated and summarized by Charron J., at para. 18 of R. v. McNeil2009 SCC 3 (CanLII)[2009] 1 S.C.R. 66:
18        While the Stinchcombe automatic disclosure obligation is not absolute, it admits of few exceptions. Unless the information is clearly irrelevant, privileged, or its disclosure is otherwise governed by law, the Crown must disclose to the accused all material in its possession. The Crown retains discretion as to the manner and timing of disclosure where the circumstances are such that disclosure in the usual course may result in harm to anyone or prejudice to the public interest. The Crown’s exercise of discretion in fulfilling its obligation to disclose is reviewable by a court.
[58]   The obligation to disclose is not absolute.  For example, in R. v. Egger1993 CanLII 98 (SCC)[1993] 2 S.C.R. 451, Sopinka J. stated at p. 466:
            …  The Crown’s disclosure obligation is subject to a discretion, the burden of justifying the exercise of which lies on the Crown, to withhold information which is clearly irrelevant or the nondisclosure of which is required by the rules of privilege, or to delay the disclosure of information out of the necessity to protect witnesses or complete an investigation: Stinchcombe, supra, at pp. 335-36, 339-40. As was said in Stinchcombe, supra, at p. 340, “[i]nasmuch as disclosure of all relevant information is the general rule, the Crown must bring itself within an exception to that rule”.
[59]   The meaning of “relevance” has been recently addressed by the Court in R. v. West2010 NSCA 16 (CanLII)288 N.S.R. (2d) 293:
160      What is relevant in any given case is determined by a wide variety of factors, principally by the facts in issue. The facts in issue are set by the charges before the court and the defences being raised by the accused (see R. v. Arp1998 CanLII 769 (SCC)[1998] 3 S.C.R. 339[1998] S.C.J. No. 82 at para. 38). In R. v. Watson1996 CanLII 4008 (ON CA)[1996] O.J. No. 2695 (Ont. C.A.) para. 30-35, Doherty J.A. wrote of the requisite approach to assessing relevance as follows:

30 ... Relevance must be assessed in the context of the entire case and the respective positions taken by the Crown and the defence: R. v. Sims (1994), 1994 CanLII 1298 (BC CA)87 C.C.C. (3d) 402 (B.C.C.A.) at pp. 420-427, 28 C.R. (4th) 231 (B.C.C.A.). There is no rule limiting prior misconduct by the deceased to cases in which self-defence is raised.

31 In R. v. Corbett1988 CanLII 80 (SCC)[1988] 1 S.C.R. 670 at p. 714, 41 C.C.C. (3d) 385 at p. 416, La Forest J. (in dissent) described the significance of relevance to our law of evidence:

All relevant evidence is admissible, subject to a discretion to exclude matters that may unduly prejudice, mislead or confuse the trier of fact, take up too much time, or that should otherwise be excluded on clear grounds of law or policy.

32 In explaining what he meant by relevance, La Forest J. referred to Morris v. R.1983 CanLII 28 (SCC)[1983] 2 S.C.R. 1907 C.C.C. (3d) 97, and then said at p. 715 S.C.R., pp. 417-418 C.C.C.:

It should be noted that this passage [from R. v. Morris ] followed a general discussion of the concept of relevance in which the court affirmed that no minimum probative value is required for evidence to be deemed relevant. The court made it clear that relevance does not involve considerations of sufficiency of probative value. ... A cardinal principle of our law of evidence, then, is that any matter that has any tendency, as a matter of logic and human experience, to prove a fact in issue, is admissible in evidence, subject, of course, to the overriding judicial discretion to exclude such matter for the practical and policy reasons already identified.

33 While La Forest J. dissented in the result in Corbett, his discussion of the significance and meaning of relevance is consistent with previous and subsequent majority decisions of the Supreme Court of Canada: Morris v. R., supra, per McIntyre J., at pp. 191-92 S.C.R., pp. 98-99 C.C.C., per Lamer J. (dissenting in the result) at pp. 200-01 S.C.R., pp. 105-06 C.C.C.; R. v. Seaboyer1991 CanLII 76 (SCC)[1991] 2 S.C.R. 577 at pp. 609-12, 66 C.C.C. (3d) 321 at pp. 389-92. Relevance as explained in these authorities requires a determination of whether as a matter of human experience and logic the existence of “Fact A” makes the existence or non-existence of “Fact B” more probable than it would be without the existence of “Fact A”. If it does then “Fact A” is relevant to “Fact B”. As long as “Fact B” is itself a material fact in issue or is relevant to a material fact in issue in the litigation then “Fact A” is relevant and prima facie admissible.
[60]   In Egger, at p. 467, the Court tied relevance to usefulness to the defence:
            … One measure of the relevance of information in the Crown’s hands is its usefulness to the defence: if it is of some use, it is relevant and should be disclosed—Stinchcombe, supra, at p. 345. This requires a determination by the reviewing judge that production of the information can reasonably be used by the accused either in meeting the case for the Crown, advancing a defence or otherwise in making a decision which may affect the conduct of the defence such as, for example, whether to call evidence.
[61]   However, an accused does not have a right to adduce irrelevant evidence (R. v. Darrach2000 SCC 46 (CanLII),[2000] 2 S.C.R. 443, para. 37).
[62]   The Crown has a continuing obligation to disclose.  In R. v. Girimonte (1997), 1997 CanLII 1866 (ON CA)121 C.C.C. (3d) 33 (Ont. C.A.), the Court said this about the timing of Crown disclosure:
17        The Crown’s obligation to disclose is triggered by a request for disclosure from counsel for an accused. Initial disclosure must occur sufficiently before the accused is called upon to elect or plead so as to permit the accused to make an informed decision as to the mode of trial and the appropriate plea. In a perfect world, initial disclosure would also be complete disclosure. However, as is recognized in Stinchcombesupra, at p. 14, the Crown will often be unable to make complete disclosure at the initial stage of the disclosure process. There will also be rare cases in which the Crown can properly delay disclosure until an investigation is completed. If full disclosure cannot be made when initial disclosure is provided, the Crown’s obligation to disclose is an ongoing one and requires that disclosure be made as it becomes available and be completed as soon as is reasonably possible. In any event, an accused will not be compelled to elect or plead if the accused has not received sufficient disclosure to allow the accused to make an informed decision.
[63]   Whether the Crown has discharged its duty to disclose may be reviewed by the Court.  This process was explained by Sopinka J. at pp. 340 of Stinchcombe:
            The trial judge on a review should be guided by the general principle that information ought not to be withheld if there is a reasonable possibility that the withholding of information will impair the right of the accused to make full answer and defence, unless the non-disclosure is justified by the law of privilege. The trial judge might also, in certain circumstances, conclude that the recognition of an existing privilege does not constitute a reasonable limit on the constitutional right to make full answer and defence and thus require disclosure in spite of the law of privilege. The trial judge may also review the decision of the Crown to withhold or delay production of information by reason of concern for the security or safety of witnesses or persons who have supplied information to the investigation. In such circumstances, while much leeway must be accorded to the exercise of the discretion of the counsel for the Crown with respect to the manner and timing of the disclosure, the absolute withholding of information which is relevant to the defence can only be justified on the basis of the existence of a legal privilege which excludes the information from disclosure.

The trial judge may also review the Crown’s exercise of discretion as to relevance and interference with the investigation to ensure that the right to make full answer and defence is not violated. …

L'obligation générale de divulgation incombant au ministère public

R. c. Chaplin, [1995] 1 RCS 727, 1995 CanLII 126 (CSC)


20               La raison d'être de l'obligation de divulgation incombant au ministère public découle de l'art. 7 de la Charte, qui traduit, comme l'a dit notre Cour dans l'arrêt R. c. Stinchcombe, précité, à la p. 336:

. . . la crainte prépondérante que la non‑divulgation n'empêche l'accusé de présenter une défense pleine et entière.  Ce droit reconnu par la common law a acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion parmi les principes de justice fondamentale visés à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. [. . .] Le droit de présenter une défense pleine et entière constitue un des piliers de la justice criminelle, sur lequel nous comptons grandement pour assurer que les innocents ne soient pas déclarés coupables.

Ce principe sous‑jacent définit les limites de la divulgation.

21               Notre Cour a clairement établi que le ministère public a l'obligation générale de divulguer tous renseignements, inculpatoires ou disculpatoires, sauf s'il s'agit d'une preuve qui échappe au contrôle de la poursuite, qui est manifestement sans pertinence ou qui fait l'objet d'un privilège: R. c. Stinchcombe, précité, à la p. 339; R. c. Egger1993 CanLII 98 (CSC)[1993] 2 R.C.S 451.  Du fait de l'obligation lui incombant de divulguer toute preuve pertinente et non privilégiée, qu'elle soit favorable ou défavorable à l'accusé, le ministère public doit faire preuve de la plus grande bonne foi en déterminant quels renseignements communiquer et en veillant à ce que cette communication se fasse de façon suivie.  L'omission de s'acquitter de cette obligation initiale et permanente de divulguer toute preuve pertinente et non privilégiée peut aboutir à un arrêt des procédures ou autre réparation, et peut constituer un manquement grave aux normes éthiques.  En ce qui concerne ce dernier point, il faut nécessairement se fier dans une large mesure à l'intégrité de la police et des avocats de la poursuite, de qui on attend une conduite témoignant de la plus grande bonne foi.  C'est la raison pour laquelle tout écart par rapport à cette lourde obligation est traité comme un manquement très grave à la déontologie.

22               Toutefois, l'obligation de divulgation incombant au ministère public n'est pas absolue (R. c. Stinchcombe, précité, à la p. 339):

Si le ministère public pèche, ce doit être par inclusion.  Il n'est toutefois pas tenu de produire ce qui n'a manifestement aucune pertinence.

Et la pertinence est déterminée en fonction de l'usage que la défense compte faire des renseignements (à la p. 340):

                  Le juge du procès qui effectue un contrôle doit se laisser guider par le principe général selon lequel il ne faut refuser de divulguer aucun renseignement s'il existe une possibilité raisonnable que la non‑divulgation porte atteinte au droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière, à moins que cette non‑divulgation ne se justifie par le droit au secret.

Dans l'arrêt R. c. Egger, précité, aux pp. 466 et 467, on trouve le résumé suivant:

                  L'obligation de divulgation qu'a le ministère public est assujettie à un pouvoir discrétionnaire, dont la justification lui incombe, de retenir les renseignements qui, de toute évidence, ne sont pas pertinents ou dont la non‑divulgation est exigée par les règles en matière de privilège, ou de retarder la divulgation de renseignements lorsque cela est nécessaire pour protéger des témoins ou pour terminer une enquête:  Stinchcombe, précité, aux pp. 335 et 336, 339 et 340.  Ainsi qu'on le souligne dans cet arrêt à la p. 340, «(c)omme la règle générale consiste à divulguer tous les renseignements pertinents, il faut alors que le ministère public invoque l'application d'une exception à cette règle».

                                                                  . . .

Une façon de mesurer la pertinence d'un renseignement dont dispose le ministère public est de déterminer son utilité pour la défense:  s'il a une certaine utilité, il est pertinent et devrait être divulgué ‑‑ Stinchcombe, précité, à la p. 345.  Le juge qui effectue le contrôle doit déterminer si l'accusé peut raisonnablement utiliser la communication des renseignements pour réfuter la preuve et les arguments du ministère public, pour présenter un moyen de défense ou autrement pour parvenir à une décision susceptible d'avoir un effet sur le déroulement de la défense comme, par exemple, de présenter ou non une preuve.

23               Lorsque le ministère public prétend s'être acquitté de son obligation de divulgation, il peut y avoir lieu de se demander, dans les deux situations suivantes, si la divulgation est complète:

                  (1)celle où la défense soutient que des renseignements qui ont été désignés et qui existent auraient dû être produits;
                  (2)celle où la défense soutient que des renseignements dont l'existence est contestée auraient dû être produits.

La marche à suivre pour demander la divulgation d'un renseignement lorsque son existence est mise en doute

R. c. Chaplin, [1995] 1 RCS 727, 1995 CanLII 126 (CSC)


30               Contrairement aux cas susmentionnés, il arrive parfois ‑‑ comme en l'espèce ‑‑ que le ministère public nie l'existence de renseignements que l'on prétend pertinents.  Du moment que le ministère public affirme avoir rempli son obligation de produire, on ne saurait le contraindre à justifier la non‑divulgation de renseignements dont il ignore ou nie l'existence.  Le ministère public n'est donc tenu de rien faire d'autre tant que la défense n'a pas établi des motifs sur lesquels le juge qui préside peut se fonder pour conclure à l'existence d'autres renseignements qui sont peut‑être pertinents.  Par pertinence, il faut entendre qu'il y a possibilité raisonnable que ces renseignements puissent aider l'accusé à présenter une défense pleine et entière.  L'existence des renseignements faisant l'objet de contestation doit être assez clairement établie non seulement pour en révéler la nature, mais aussi pour permettre au juge qui préside de décider qu'ils pourront satisfaire au critère applicable aux renseignements que le ministère public est tenu de produire, lequel critère est énoncé dans les passages précités des arrêts R. c. Stinchcombe et R. c. Egger.

31               Bien que l'obligation incombant à la défense, qui, comme je l'ai indiqué, consiste à établir «un fondement», participe d'une charge de présentation, je préfère ne pas la qualifier ainsi parce que, dans bien des cas, on pourra s'en acquitter non pas par la production d'éléments de preuve ou par la démonstration de leur existence, mais par les observations orales de l'avocat, sans qu'il soit besoin d'un voir‑dire.  J'évite en conséquence les termes «vraisemblance», «question réelle», et autres, employés dans certaines décisions, car ces termes conviennent mieux à la description d'une véritable charge de présentation.  La production d'une preuve de vive voix ainsi que la tenue d'un voir‑dire peuvent toutefois s'imposer lorsque le juge qui préside est dans l'impossibilité de régler la question en se fondant sur les observations de l'avocat.

32               Outre qu'elle est nécessaire sur le plan pratique pour que les débats puissent avancer ‑‑ ce dont je traite précédemment ‑‑, l'obligation pour la défense d'établir un fondement à sa demande de divulgation sert à empêcher des demandes qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires.  Dans les affaires d'écoute comme en l'espèce ceci est particulièrement important.  Il faut en effet distinguer les recherches à l'aveuglette et la conjecture d'avec les demandes légitimes de divulgation.  La divulgation systématique de l'existence de tables d'écoute concernant une personne qui est déjà inculpée, mais qui fait l'objet d'écoute électronique dans le cadre d'enquêtes criminelles en cours relativement à d'autres infractions soupçonnées, nuirait à la capacité de l'État de faire enquête sur un large éventail de crimes complexes qui seraient difficiles à détecter par d'autres moyens, soit, notamment, le trafic de stupéfiants, l'extorsion, la fraude et le délit d'initié:  R. c. Duarte1990 CanLII 150 (CSC)[1990] 1 R.C.S. 30, à la p. 44.  En règle générale, l'écoute électronique n'est efficace que si elle se fait à l'insu des personnes sur lesquelles porte l'enquête.  C'est ce qui est implicitement reconnu dans les dispositions de la partie VI du Code qui traitent du secret, soit les art. 187 et 193, qui s'appliquent jusqu'à la fin de l'enquête, et l'art. 196, qui prévoit un avis différé de l'existence d'une table d'écoute.

33               Dès lors que la défense s'acquitte de son obligation exposée ci‑dessus d'établir un fondement, il incombe au ministère public de justifier sa persistance dans la non‑divulgation.  L'obligation du ministère public est identique à son obligation initiale qu'énonce l'arrêt R. c. Stinchcombe, précité, et que précise l'arrêt R. c. Egger, précité.  D'une manière générale, si la question ne peut se régler sans recourir à une preuve de vive voix, il faut donner au ministère public l'occasion de présenter des preuves pertinentes.  Dans les cas où il s'agit de renseignements confidentiels, il peut convenir que le juge du procès ordonne le huis clos, ou bien qu'il inspecte lui‑même les renseignements en question en procédant notamment de la façon prévue au par. 37(2) de la Loi sur la preuve au Canada.  Pour ce qui est des affaires d'écoute électronique, la marche à suivre pour protéger les renseignements confidentiels est exposée dans l'arrêt R. c. Garofoli1990 CanLII 52 (CSC)[1990] 2 R.C.S. 1421, à la p. 1460.