R. c. Cioffi, 2009 QCCQ 4833 (CanLII)
*** Attention - voir note en bas de ce post ***
[1] À la suite d'un procès qui s'est tenu en février 2008, l'accusée Josie Cioffi a été déclarée coupable de diverses accusations de fraudes, de complots ainsi que de fabrications et utilisations de faux documents à l'endroit de son employeur, la Banque Royale du Canada ( RBC).
[8] Le montant de la fraude se chiffre à plus de 4,000,000.00 $ et la perte encourue est de l'ordre de 3,500,000.00 $; il s'agit de plusieurs évènements s'échelonnant sur une période de 4 ans. Force est de convenir que nous sommes en présence d'une fraude ayant entraîné une substantielle perte pécuniaire.
[9] La préméditation ne fait aucun doute dans le présent dossier même si la fraude était d'une simplicité déroutante; par un simple jeu d'écriture, l'accusée créait des comptes fictifs par lesquels elle faisait transiter des sommes d'argent au profit et au bénéfice de Lorrain Théroux, le grand organisateur de cette mise en scène.
[58] La poursuite justifie sa demande d'une peine d'incarcération de l'ordre de 6 ans de pénitencier en référant le Tribunal aux arrêts suivants : Belle-Isle c. R, R.v. Bertram et R.v.Spiller.
[59] Dans l'arrêt Belle-Isle de notre Cour d'appel, le jugement qui maintenait une sentence de 5 ans fut rendu le 4 novembre 1991; dans l'arrêt Bertram, la Cour d'appel d'Ontario modifiait une sentence de 6 ans pour la diminuer à 4 ans et 3 mois en tenant compte de la période de détention préventive de 17 mois (cette décision fut rendue le 18 octobre 1990) et finalement, dans l'arrêt Spiller, le 17 mars 1969 la Cour d'appel de la Colombie-Britannique augmentait de 3 ans à 6 ans une sentence imposée en première instance.
[60] C'est à dessein que j'ai indiqué les dates où ces arrêts ont été rendus; il n'est pas de mon intention de remettre en question la justesse des motifs à l'appui de chacune de ces décisions. Je conviens que ces sentences sont sévères, mais à l'époque où elles ont été imposées, elles ne dépassaient pas les paramètres habituels fixés en matière de sentences par la Cour d'appel du Québec et les cours d'appel des autres provinces.
[61] Dans des arrêts plus récents, notre Cour d'appel ainsi que celle de l'Alberta, ont eu l'occasion de se pencher sur le sujet et elles ont examiné le droit au sursis, à l'incarcération, selon les termes de l'article 742.1 du code criminel, pour des infractions de cette nature.
[62] S'inspirant de l'arrêt Proulx de la Cour suprême, l'honorable juge Gendreau se prononce ainsi au par. [18] de la décision de R.c. Alain:
" Cela m'amène inéluctablement à examiner le droit au sursis à l'incarcération en application de l'article 742.1 C.cr. puisqu’aucune infraction n'est exclue du champ d'application de cette disposition sauf si une peine minimale d'emprisonnement est prévue."
[63] Par contre, l'effet dissuasif demeure un objectif important dans les fraudes de grandes ampleurs; le message que doivent lancer les tribunaux à ceux qui seraient tentés de commettre de tels crimes doit être clair et sans équivoque; c'est d'ailleurs ainsi que se prononce le juge Gendreau de la Cour d'appel dans l'arrêt Alain :
" Après l'examen de la responsabilité personnelle ou intrinsèque du contrevenant, reste celui de la fonction dissuasive de la peine. Les fraudes importantes qui nécessitent habituellement la mise en place et l'utilisation d'un système sophistiqué entraînent des peines d'emprisonnement. Les tribunaux ont généralement voulu souligner la gravité de ces fraudes…sans doute, pour qu'il soit bien compris que les "criminels à col blanc " peuvent, et en réalité, causent un préjudice sérieux aux victimes spécialement lorsqu'elles sont de petits épargnants, et qu'il y a lieu de décourager ces agissements, causes de dommages sociaux. "
[64] Tout en gardant à l'esprit que de telles fraudes nécessitent habituellement des peines d'emprisonnement, il ne faut pas pour autant considérer que de telles infractions sont exclues du champ d'application de la disposition qui prévoit l'octroi d'un emprisonnement avec sursis.
[65] Pour accéder à la suggestion de la poursuite, le tribunal devrait ignorer la réhabilitation et privilégier uniquement les aspects de dénonciation et de dissuasion de la peine.
*** Attention - cette décision a été cassée en appel le 14 janvier 2010 R. c. Cioffi - 2010 QCCA 69 - 500-10-004396-097; l'accusée a été condamné à une peine d’emprisonnement de 35 mois, de ce jour***
jeudi 31 décembre 2009
Possession de monnaie contrefaite - défense de minimis non curat lex
R. c. S.G., 2006 QCCQ 13467 (CanLII)
[9] L’accusé par tout ceci a-t-il commis les crimes qui lui sont reprochés, à savoir la possession de monnaie contrefaite, a-t-on fait une preuve hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité en ces affaires ?
[10] Certes, la preuve est à l’effet qu’au domicile de l’accusé fut retrouvé ce que produit sous la côte P-6.
[11] Cette même preuve démontre également que tout ceci part d’une activité de jeu d’enfants et que les pièces en question se trouvaient là où l’un ou l’autre des fils de l’accusé avait accès, d’ailleurs d’autres documents enfantins semblent s’y être retrouvés.
[12] La mère plaignante nous dit, à l’occasion de son témoignage, que ses fils ont eu ou utilisé chez elle ce genre de billets, a-t-elle, elle aussi, contrevenu à la loi?
[13] Bien que la mens rea de ce crime soit d’intention générale, l’accusé a-t-il eu cette intention et en a-t-on fait la preuve hors de tout doute raisonnable?
[14] Mais, qu’est-ce que la mens rea, l’intention coupable? L’Honorable juge Irénée Lagarde, au troisième tome de son ouvrage « Droit pénal canadien », à la page 2379, écrit :
« C’est un principe de droit, exprimé par la maxime actus non facit reum nisi mens sit rea, que personne ne peut être déclaré coupable d’un acte criminel ou d’une infraction criminelle à moins qu’il n’ait agi avec une intention coupable. On peut définir la mens rea comme l’état d’esprit du prévenu qui établit qu’il a agi avec une intention coupable, frauduleusement, en connaissance de cause. »
[15] L’Honorable juge Ritchie, de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. King[1], citant les paroles de Lord Goddard, dans Harding c. Price, écrit que :
« …the court should not find a man guilty of an offence against the criminal law unless he has a guilty mind.”
[16] Enfin, pour sa part, l’Honorable juge Dickson, dans l’arrêt Leary c. La Reine, mentionne que :
« Le principe selon lequel un tribunal ne devrait conclure à la culpabilité d’une personne en droit criminel que si elle était mal intentionnée existe dans tous les systèmes de droit pénal civilisés. »
[17] À partir de tout ceci, le tribunal n’a pas la conviction qui le met à l’abri d’un doute raisonnable, quant à l’intention coupable de l’accusé, car rien de malicieux de sa part ne transpire de la preuve.
[18] Qui plus est, il semble au tribunal qu’ici, la maxime « De minimis non curat lex » s’applique.
[19] En effet, dans une affaire de R. c. David Freedman, mon collègue l’Honorable juge Martin Vauclair statue, après une étude fort intéressante sur le sujet, référant autant à la doctrine qu’à la jurisprudence, que :
« There is no question, in the Court’s opinion, that the defence of de minimis is well alive in Canadian criminal law. There are numerous cases where the defence has been recognized as such and either applied or denied. A few cases have expressed doubt as to its existence. »
[20] Il ajoute au paragraphe 60 de sa décision :
« In my opinion, a Court should, without limitation, consider the following factors : 1) the defendant’s character, 2) the nature of the proven offence, 3) the circumstances surrounding the proven offence, including, if any, the accused’s motive, 4) the circumstances surrounding the laying of the charge, including if any, the plaintiff’s motive, 5) the actual harm caused by the offence, 6) the specific objective, if any, intended to be achieved by the legislature when it enacted the provision and 7) the public interest. »
[21] Sur cette base analytique, vu ce que mentionné ci-devant, l’ensemble des faits reliés à toute cette cause milite nettement en l’application de la défense prévue par cette maxime latine « de minimis non curat lex «, qui se traduit par « la loi ne se soucie pas d’affaires futiles, bénignes ou insignifiantes.
[9] L’accusé par tout ceci a-t-il commis les crimes qui lui sont reprochés, à savoir la possession de monnaie contrefaite, a-t-on fait une preuve hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité en ces affaires ?
[10] Certes, la preuve est à l’effet qu’au domicile de l’accusé fut retrouvé ce que produit sous la côte P-6.
[11] Cette même preuve démontre également que tout ceci part d’une activité de jeu d’enfants et que les pièces en question se trouvaient là où l’un ou l’autre des fils de l’accusé avait accès, d’ailleurs d’autres documents enfantins semblent s’y être retrouvés.
[12] La mère plaignante nous dit, à l’occasion de son témoignage, que ses fils ont eu ou utilisé chez elle ce genre de billets, a-t-elle, elle aussi, contrevenu à la loi?
[13] Bien que la mens rea de ce crime soit d’intention générale, l’accusé a-t-il eu cette intention et en a-t-on fait la preuve hors de tout doute raisonnable?
[14] Mais, qu’est-ce que la mens rea, l’intention coupable? L’Honorable juge Irénée Lagarde, au troisième tome de son ouvrage « Droit pénal canadien », à la page 2379, écrit :
« C’est un principe de droit, exprimé par la maxime actus non facit reum nisi mens sit rea, que personne ne peut être déclaré coupable d’un acte criminel ou d’une infraction criminelle à moins qu’il n’ait agi avec une intention coupable. On peut définir la mens rea comme l’état d’esprit du prévenu qui établit qu’il a agi avec une intention coupable, frauduleusement, en connaissance de cause. »
[15] L’Honorable juge Ritchie, de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. King[1], citant les paroles de Lord Goddard, dans Harding c. Price, écrit que :
« …the court should not find a man guilty of an offence against the criminal law unless he has a guilty mind.”
[16] Enfin, pour sa part, l’Honorable juge Dickson, dans l’arrêt Leary c. La Reine, mentionne que :
« Le principe selon lequel un tribunal ne devrait conclure à la culpabilité d’une personne en droit criminel que si elle était mal intentionnée existe dans tous les systèmes de droit pénal civilisés. »
[17] À partir de tout ceci, le tribunal n’a pas la conviction qui le met à l’abri d’un doute raisonnable, quant à l’intention coupable de l’accusé, car rien de malicieux de sa part ne transpire de la preuve.
[18] Qui plus est, il semble au tribunal qu’ici, la maxime « De minimis non curat lex » s’applique.
[19] En effet, dans une affaire de R. c. David Freedman, mon collègue l’Honorable juge Martin Vauclair statue, après une étude fort intéressante sur le sujet, référant autant à la doctrine qu’à la jurisprudence, que :
« There is no question, in the Court’s opinion, that the defence of de minimis is well alive in Canadian criminal law. There are numerous cases where the defence has been recognized as such and either applied or denied. A few cases have expressed doubt as to its existence. »
[20] Il ajoute au paragraphe 60 de sa décision :
« In my opinion, a Court should, without limitation, consider the following factors : 1) the defendant’s character, 2) the nature of the proven offence, 3) the circumstances surrounding the proven offence, including, if any, the accused’s motive, 4) the circumstances surrounding the laying of the charge, including if any, the plaintiff’s motive, 5) the actual harm caused by the offence, 6) the specific objective, if any, intended to be achieved by the legislature when it enacted the provision and 7) the public interest. »
[21] Sur cette base analytique, vu ce que mentionné ci-devant, l’ensemble des faits reliés à toute cette cause milite nettement en l’application de la défense prévue par cette maxime latine « de minimis non curat lex «, qui se traduit par « la loi ne se soucie pas d’affaires futiles, bénignes ou insignifiantes.
Une peine d’emprisonnement, même avec sursis, n’est pas la seule façon d’exprimer les éléments de dissuasion et dénonciation dans un cas de fraude
R. c. Riopelle, 2009 QCCQ 1476 (CanLII)
[8] D'emblée je dois dire que je n'accepte pas la suggestion que la prison – même l’emprisonnement avec sursis - s'impose toujours dans un cas de fraude. Il n'y a pas de peine minimale pour cette infraction. Donc pour la fraude, tout en conformité avec les principes énoncés dans le Code criminel et dans la jurisprudence, je dois prononcer une peine qui est juste et appropriée pour l'infraction et le contrevenant en l'espèce.
[9] J’ai déjà noté les facteurs aggravants et atténuants qui sont pertinents, ainsi que la gravité subjective et objective de l’infraction. Je tiens en considération les facteurs énumérés par la Cour d’appel dans Lévesque et Juteau. Selon cette jurisprudence, une peine pour fraude doit être dissuasive et exemplaire, mais en même temps proportionnelle.
[10] L’accusé reconnaît que par ses gestes il a commis une grave erreur. Il voulait rectifier sa situation financière après son échec comme propriétaire gérant d’un restaurant. Bien entendu, la fraude a duré plusieurs mois et elle était préméditée, mais elle n’était pas motivée par cupidité. L’accusé a commencé à rembourser tout le montant fraudé et il s’engage à compléter ce remboursement d’ici quinze mois.
[11] Une peine d’emprisonnement, même avec sursis, n’est pas la seule façon d’exprimer les éléments de dissuasion et dénonciation. Compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce – le remords, le plaidoyer de culpabilité, le remboursement, et les autres facteurs mentionnés dans le rapport présentenciel - les mêmes objectifs peuvent être réalisés dans le cadre d’une peine suspendue avec une ordonnance de probation qui comprend une période de travaux communautaires et une ordonnance de remboursement à la victime.
[12] Je tiens à souligner le jugement du juge Pierre Belisle dans Cadoch, qui m'a beaucoup aidé à rendre ma décision aujourd'hui. Il s'agissait d'une fraude de 15000.00$ avec abus de confiance. Un remboursement du montant fraudé était remboursé en totalité. Le juge Belisle a signalé l'importance du plaidoyer de culpabilité à la première occasion, les remords manifestés par le contrevenant, le remboursement intégral du montant fraudé et le fait que le contrevenant ait un nouvel emploi. Pourtant, il a souligné la gravité objective et subjective du crime et le fait que l'infraction ne soit pas un agir spontané mais bien orchestré. Je note aussi que dans Cadoch la poursuite a suggéré une sentence suspendue avec une ordonnance de probation d'une durée de trois ans. La défense a proposé une absolution inconditionnelle. Je cite les conclusions du juge Belisle au paragraphe 28 de ses motifs:
La peine suggérée par la poursuite est raisonnable dans les circonstances. Elle atteint les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Elle est également proportionnelle à la gravité objective et subjective de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant (art. 718.1 C.cr.). Elle est aussi adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation personnelle de l’accusé (art. 718.2a) C.cr.).
Les mêmes conclusions sont justes dans les circonstances du dossier qui nous occupe aujourd'hui.
[8] D'emblée je dois dire que je n'accepte pas la suggestion que la prison – même l’emprisonnement avec sursis - s'impose toujours dans un cas de fraude. Il n'y a pas de peine minimale pour cette infraction. Donc pour la fraude, tout en conformité avec les principes énoncés dans le Code criminel et dans la jurisprudence, je dois prononcer une peine qui est juste et appropriée pour l'infraction et le contrevenant en l'espèce.
[9] J’ai déjà noté les facteurs aggravants et atténuants qui sont pertinents, ainsi que la gravité subjective et objective de l’infraction. Je tiens en considération les facteurs énumérés par la Cour d’appel dans Lévesque et Juteau. Selon cette jurisprudence, une peine pour fraude doit être dissuasive et exemplaire, mais en même temps proportionnelle.
[10] L’accusé reconnaît que par ses gestes il a commis une grave erreur. Il voulait rectifier sa situation financière après son échec comme propriétaire gérant d’un restaurant. Bien entendu, la fraude a duré plusieurs mois et elle était préméditée, mais elle n’était pas motivée par cupidité. L’accusé a commencé à rembourser tout le montant fraudé et il s’engage à compléter ce remboursement d’ici quinze mois.
[11] Une peine d’emprisonnement, même avec sursis, n’est pas la seule façon d’exprimer les éléments de dissuasion et dénonciation. Compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce – le remords, le plaidoyer de culpabilité, le remboursement, et les autres facteurs mentionnés dans le rapport présentenciel - les mêmes objectifs peuvent être réalisés dans le cadre d’une peine suspendue avec une ordonnance de probation qui comprend une période de travaux communautaires et une ordonnance de remboursement à la victime.
[12] Je tiens à souligner le jugement du juge Pierre Belisle dans Cadoch, qui m'a beaucoup aidé à rendre ma décision aujourd'hui. Il s'agissait d'une fraude de 15000.00$ avec abus de confiance. Un remboursement du montant fraudé était remboursé en totalité. Le juge Belisle a signalé l'importance du plaidoyer de culpabilité à la première occasion, les remords manifestés par le contrevenant, le remboursement intégral du montant fraudé et le fait que le contrevenant ait un nouvel emploi. Pourtant, il a souligné la gravité objective et subjective du crime et le fait que l'infraction ne soit pas un agir spontané mais bien orchestré. Je note aussi que dans Cadoch la poursuite a suggéré une sentence suspendue avec une ordonnance de probation d'une durée de trois ans. La défense a proposé une absolution inconditionnelle. Je cite les conclusions du juge Belisle au paragraphe 28 de ses motifs:
La peine suggérée par la poursuite est raisonnable dans les circonstances. Elle atteint les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Elle est également proportionnelle à la gravité objective et subjective de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant (art. 718.1 C.cr.). Elle est aussi adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation personnelle de l’accusé (art. 718.2a) C.cr.).
Les mêmes conclusions sont justes dans les circonstances du dossier qui nous occupe aujourd'hui.
Sentence. Fraude. Abus de confiance. Perte de 15 000 $. Remboursement effectué en totalité. Accusé doit voyager aux USA pour son travail
R. c. Cadoch, 2008 QCCQ 9791 (CanLII)
[12] Lors des représentations sur détermination de la peine, la poursuite s’est opposée à ce que la Cour accorde une absolution inconditionnelle parce que, même s’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé de bénéficier d’une telle mesure, cela nuirait à l’intérêt public.
[13] La défense soutient que l’accusé risque de se voir refuser l’entrée aux États-Unis en raison de l’existence d’un casier judiciaire. Le refus d’absolution mettrait en péril son association au sein de l’entreprise "Zinger Bats” dont il est l’un des copropriétaires depuis le 15 novembre 2006.
[14] La gravité objective du crime est importante. À l’époque, le législateur prévoyait une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement. Depuis le 15 septembre 2004, le législateur a voulu marquer la gravité de l’offense prévue par l’art. 380(1)a) C.cr. en édictant une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement pour ce type d’infraction. Cette disposition fait maintenant obstacle aux demandes d’absolution présentées pour des crimes commis postérieurement à l’amendement législatif. Toutefois, cela n’empêche pas l’accusé de pouvoir bénéficier de la peine la moins sévère prescrite par le Code criminel.
[15] La gravité subjective est aussi à souligner. Le crime a été prémédité, planifié et commis à maintes reprises après la révocation de son mandat de négocier.
[16] Certes, il y va de l’intérêt véritable de l’accusé de bénéficier d’une absolution. Dans un document du 4 septembre 2008 (voir S-7), le président de la compagnie “Zinger Bats“, M. Fred Leiberman, relate que les ventes de l’entreprise ont diminué de 25% depuis que l’accusé ne voyage plus aux États-Unis. Il indique également que sa présence y est requise pour présenter l’équipement lors de foires commerciales ou pour rencontrer des joueurs de baseball à l’occasion des prochains «camps d’entraînement».
[17] Cependant, vu les termes de l’art. 730 du Code criminel, encore faut-il, une fois que l’intérêt véritable de l’accusé a été démontré, qu’une telle ordonnance ne nuise pas à l’intérêt public.
[18] Il est vrai qu’une peine autre que l’absolution inconditionnelle risque de causer un tort important à l’accusé. Toutefois, ce préjudice serait-il disproportionné par rapport à l’infraction perpétrée? La règle d’or en la matière est qu’un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n’a aucune mesure avec sa faute : voir R. c. Abouabdellah 1996 CanLII 6502 (QC C.A.), (1996), 109 C.C.C. (3d) 477 (C.A. Qué.), AZ-96011628, J.E. 96-115.
[19] « L’accusé doit donc subir une peine, ce qui, en soit, peut constituer un préjudice; ce qui importe, cependant, c’est la proportionnalité entre cette peine et l’infraction commise et non la recherche d’une peine qui ne lui causerait aucun préjudice » : voir les propos du juge F. Doyon (alors juge à la Cour du Québec, mais siégeant maintenant à la Cour d’appel du Québec) dans R. c. Courey, 1999 CanLII 5752 (QC C.Q.), 1999 CanLII 5752 (QCCQ), p. 4.
[20] Dans l’affaire Courey, précitée, le juge Doyon précise que l’on retrouve généralement un dénominateur commun lors de l’application de l’article 730 du Code criminel. À la page 4, il s’exprime ainsi :
L’on retrouve, dans les arrêts Moreau, Tanguay et Rozon, de même que dans de nombreux cas d’absolution inconditionnelle, un dénominateur commun : il s’agit généralement de gestes ponctuels, irréfléchis et de courte durée.
[21] Cela dit, le législateur n’exclut pas l’octroi d’une absolution pour les crimes commis de façon préméditée, mais le juge qui détermine la peine doit tenir compte des modalités et circonstances entourant la commission du crime, notamment la nature et l’étendue de la fraude : voir Peterson c. La Reine, 2007 QCCA 519 (CanLII), 2007 QCCA 519, parag. 10.
[22] Or, il ne s’agit pas ici d’un crime perpétré de façon irréfléchie ou spontanée, mais plutôt d’un agir criminel bien orchestré dans le but de soutirer des sommes importantes à la victime. Après avoir englouti près de 300 000 $ à la suite de mauvaises transactions boursières, l’accusé prétend qu’il voulait l’impressionner en tentant de renflouer le gouffre financier créé en se servant de nouvelles sommes d’argent prises à même son compte.
[23] Même si l’objectif était d’employer ce capital pour tenter de le faire fructifier au bénéfice de la victime et non pour son usage personnel, le résultat demeure identique, soit une nouvelle perte de 15 000 $ au détriment de la victime.
[24] Il ne s’agit donc pas d’un incident isolé, un facteur dont les juges tiennent souvent compte quand il s’agit d’envisager une absolution : voir Nolin c. La Reine, 2007 QCCA 1299 (CanLII), 2007 QCCA 1299, parag. 6. Au contraire, dès l’expiration de son mandat, l’accusé s’est octroyé l’autorisation de continuer à effectuer de transactions boursières sur le réseau Internet, et ce, à de nombreuses reprises jusqu’à ce que la victime le rencontre à nouveau et découvre ainsi le stratagème frauduleux. Sa responsabilité pénale est donc entière.
[25] La notion d’intérêt public commande de tenir compte de l’effet d’une peine d’absolution sur la confiance du public dans le système judiciaire. La Cour doit alors prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire et, particulièrement, que l’abus de la confiance de la victime constitue une circonstance aggravante (art. 718.2 a)iii) C.cr.).
[26] À la lumière de l’ensemble de la preuve, la Cour estime qu’un public bien informé pourrait perdre confiance dans la crédibilité du système judiciaire si l’accusé bénéficiait d’une absolution.
[27] Même si une condamnation peut entraver son privilège d’entrer aux États-Unis dans le cadre de son travail ou nuire à l’avancement de sa carrière, il n’est pas dans l’intérêt public qu’il puisse bénéficier d’une absolution inconditionnelle ou conditionnelle.
POUR CES MOTIFS, la Cour :
[29] SURSOIT au prononcé de la peine.
[12] Lors des représentations sur détermination de la peine, la poursuite s’est opposée à ce que la Cour accorde une absolution inconditionnelle parce que, même s’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé de bénéficier d’une telle mesure, cela nuirait à l’intérêt public.
[13] La défense soutient que l’accusé risque de se voir refuser l’entrée aux États-Unis en raison de l’existence d’un casier judiciaire. Le refus d’absolution mettrait en péril son association au sein de l’entreprise "Zinger Bats” dont il est l’un des copropriétaires depuis le 15 novembre 2006.
[14] La gravité objective du crime est importante. À l’époque, le législateur prévoyait une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement. Depuis le 15 septembre 2004, le législateur a voulu marquer la gravité de l’offense prévue par l’art. 380(1)a) C.cr. en édictant une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement pour ce type d’infraction. Cette disposition fait maintenant obstacle aux demandes d’absolution présentées pour des crimes commis postérieurement à l’amendement législatif. Toutefois, cela n’empêche pas l’accusé de pouvoir bénéficier de la peine la moins sévère prescrite par le Code criminel.
[15] La gravité subjective est aussi à souligner. Le crime a été prémédité, planifié et commis à maintes reprises après la révocation de son mandat de négocier.
[16] Certes, il y va de l’intérêt véritable de l’accusé de bénéficier d’une absolution. Dans un document du 4 septembre 2008 (voir S-7), le président de la compagnie “Zinger Bats“, M. Fred Leiberman, relate que les ventes de l’entreprise ont diminué de 25% depuis que l’accusé ne voyage plus aux États-Unis. Il indique également que sa présence y est requise pour présenter l’équipement lors de foires commerciales ou pour rencontrer des joueurs de baseball à l’occasion des prochains «camps d’entraînement».
[17] Cependant, vu les termes de l’art. 730 du Code criminel, encore faut-il, une fois que l’intérêt véritable de l’accusé a été démontré, qu’une telle ordonnance ne nuise pas à l’intérêt public.
[18] Il est vrai qu’une peine autre que l’absolution inconditionnelle risque de causer un tort important à l’accusé. Toutefois, ce préjudice serait-il disproportionné par rapport à l’infraction perpétrée? La règle d’or en la matière est qu’un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n’a aucune mesure avec sa faute : voir R. c. Abouabdellah 1996 CanLII 6502 (QC C.A.), (1996), 109 C.C.C. (3d) 477 (C.A. Qué.), AZ-96011628, J.E. 96-115.
[19] « L’accusé doit donc subir une peine, ce qui, en soit, peut constituer un préjudice; ce qui importe, cependant, c’est la proportionnalité entre cette peine et l’infraction commise et non la recherche d’une peine qui ne lui causerait aucun préjudice » : voir les propos du juge F. Doyon (alors juge à la Cour du Québec, mais siégeant maintenant à la Cour d’appel du Québec) dans R. c. Courey, 1999 CanLII 5752 (QC C.Q.), 1999 CanLII 5752 (QCCQ), p. 4.
[20] Dans l’affaire Courey, précitée, le juge Doyon précise que l’on retrouve généralement un dénominateur commun lors de l’application de l’article 730 du Code criminel. À la page 4, il s’exprime ainsi :
L’on retrouve, dans les arrêts Moreau, Tanguay et Rozon, de même que dans de nombreux cas d’absolution inconditionnelle, un dénominateur commun : il s’agit généralement de gestes ponctuels, irréfléchis et de courte durée.
[21] Cela dit, le législateur n’exclut pas l’octroi d’une absolution pour les crimes commis de façon préméditée, mais le juge qui détermine la peine doit tenir compte des modalités et circonstances entourant la commission du crime, notamment la nature et l’étendue de la fraude : voir Peterson c. La Reine, 2007 QCCA 519 (CanLII), 2007 QCCA 519, parag. 10.
[22] Or, il ne s’agit pas ici d’un crime perpétré de façon irréfléchie ou spontanée, mais plutôt d’un agir criminel bien orchestré dans le but de soutirer des sommes importantes à la victime. Après avoir englouti près de 300 000 $ à la suite de mauvaises transactions boursières, l’accusé prétend qu’il voulait l’impressionner en tentant de renflouer le gouffre financier créé en se servant de nouvelles sommes d’argent prises à même son compte.
[23] Même si l’objectif était d’employer ce capital pour tenter de le faire fructifier au bénéfice de la victime et non pour son usage personnel, le résultat demeure identique, soit une nouvelle perte de 15 000 $ au détriment de la victime.
[24] Il ne s’agit donc pas d’un incident isolé, un facteur dont les juges tiennent souvent compte quand il s’agit d’envisager une absolution : voir Nolin c. La Reine, 2007 QCCA 1299 (CanLII), 2007 QCCA 1299, parag. 6. Au contraire, dès l’expiration de son mandat, l’accusé s’est octroyé l’autorisation de continuer à effectuer de transactions boursières sur le réseau Internet, et ce, à de nombreuses reprises jusqu’à ce que la victime le rencontre à nouveau et découvre ainsi le stratagème frauduleux. Sa responsabilité pénale est donc entière.
[25] La notion d’intérêt public commande de tenir compte de l’effet d’une peine d’absolution sur la confiance du public dans le système judiciaire. La Cour doit alors prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire et, particulièrement, que l’abus de la confiance de la victime constitue une circonstance aggravante (art. 718.2 a)iii) C.cr.).
[26] À la lumière de l’ensemble de la preuve, la Cour estime qu’un public bien informé pourrait perdre confiance dans la crédibilité du système judiciaire si l’accusé bénéficiait d’une absolution.
[27] Même si une condamnation peut entraver son privilège d’entrer aux États-Unis dans le cadre de son travail ou nuire à l’avancement de sa carrière, il n’est pas dans l’intérêt public qu’il puisse bénéficier d’une absolution inconditionnelle ou conditionnelle.
POUR CES MOTIFS, la Cour :
[29] SURSOIT au prononcé de la peine.
L'identification des paramètres régissant l'absolution
R. c. Douab, 2009 QCCQ 5734 (CanLII)
[163] Mais avant de disposer de cette question, encore faut-il cerner les paramètres s'appliquant à la mesure sentencielle de l'absolution.
[164] Comme on l'a déjà mentionné, l'article 730 C.cr. confère au Tribunal la discrétion de, «s'il considère qu'il y va de l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public, au lieu de le condamner, prescrire par ordonnance qu'il soit absous inconditionnellement ou aux conditions prévues dans une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 731(2)».
[165] Constituant en quelque sorte une ultime application des principes de la proportionnalité et de l'individualisation de la peine précédemment analysés, la voie sentencielle de l'absolution conditionnelle ou inconditionnelle permet ainsi au Tribunal chargé d'imposer la peine d'éviter l'infliction d'un casier judiciaire à un délinquant à l'égard duquel le seul fait de se voir accablé d'un tel casier pourrait constituer un châtiment disproportionné en regard des gestes répréhensibles posés, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
[166] Mais avant de décider s'«il y va de l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public» (art. 730 C.cr.) qu'une ordonnance d'absolution soit émise dans le présent dossier, encore faut-il circonscrire les deux termes de l'équation.
[167] Qu'entend-on d'abord par «l'intérêt véritable de l'accusé» ?
[168] À la lecture des arrêts cités précédemment, l'on est en mesure d'affirmer que, selon les Cours d'appel canadiennes, l'intérêt de l'accusé à obtenir une absolution inconditionnelle ou conditionnelle doit être apprécié à la lumière des conséquences pouvant découler d'une condamnation en général, et du fait d'hériter d'un casier judiciaire en particulier. C'est sous cet angle que deviennent pertinents des enjeux comme le risque de déportation en vertu des lois et règlements régissant l'immigration, le risque de perte d'emploi ou de radiation d'un Ordre professionnel, ou encore le risque de ne pouvoir se rendre aux États-Unis à des fins de travail ou à des fins familiales. Mais alors, aucun de ces enjeux n'est déterminant en soi: il s'agit en fait de facteurs qui, s'ajoutant aux autres considérations pertinentes, doivent être soupesés et pondérés en regard de l'ensemble des circonstances.
[169] Qu'en est-il maintenant de l'intérêt public ?
[170] Puisque, pour pouvoir même envisager la voie sentencielle de l'absolution, il est nécessaire d'acquérir la conviction que cette mesure ne nuirait pas à l'intérêt public, il est en effet nécessaire de préciser ce que l'on entend par là. Cette question appelle dès lors trois observations.
[171] D'abord, l'intérêt public ne peut pas être apprécié en faisant abstraction des objectifs prévalant en matière d'imposition de la peine, qui sont maintenant codifiés à l'article 718 du Code criminel, et notamment des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et spécifique.
[172] Mais, dans l'affaire Rozon c. R., [1999] R.J.Q. 805 (C.S.), le juge Béliveau, de la Cour supérieure, précise que l'affirmation de ces deux derniers objectifs ne requiert pas nécessairement une condamnation. Il explique ce qui suit, à la page 812:
«Quant à la notion d'intérêt public, elle doit prendre en cause l'objectif de la dissuasion générale, la gravité de l'infraction, son incidence dans la communauté, l'attitude du public à son égard et la confiance de ce dernier dans le système judiciaire [R. c. Elsharawy, reflex, (1998) 119 C.C.C. (3d) 565 (C.A.T.-N.), par. 3]. Cela étant, il faut se rappeler que dans l'arrêt R. c. Meneses [(1976) 25 C.C.C. (2d) 115], la Cour d'appel de l'Ontario a précisé que l'arrestation et la comparution d'un délinquant peuvent constituer une mesure de dissuasion efficace à l'égard de personnes qui ne sont pas criminalisées, lesquelles sont justement celles qui sont candidates à une absolution».
[173] Ensuite, l'appréciation, dans le processus d'octroi de l'absolution, de ce qui relève de l'intérêt public ne peut être faite adéquatement non plus sans que ne soit simultanément pris en compte le principe fondamental de la proportionnalité, tel qu'il a précédemment été appliqué aux faits de l'espèce. Car, ultimement, plus l'infraction sera objectivement et subjectivement grave et plus le degré de responsabilité du délinquant sera élevé, plus alors l'intérêt public requerra une condamnation. Et, à l'inverse, moins l'infraction sera objectivement et subjectivement grave et moins le degré de responsabilité du délinquant sera élevé, plus alors l'intérêt public pourra se satisfaire d'une sanction autre que la condamnation. De la même manière, cette appréciation de ce qu'exige l'intérêt public ne peut pas davantage être faite sans que ne soient pris en compte, aussi, le principe de l'individualisation de la peine, le principe de l'harmonisation des peines ainsi que le principe de la modération dans l'infliction des peines, que l'on a déjà examinés.
[174] Bien qu'exprimée en termes différents, c'est d'ailleurs la même préoccupation qu'énonçait, en la complétant, le juge Grenier dans l'affaire R. c. Khanna, J.E. 98-1819 (C.Q.), alors qu'il écrivait, à la page 5:
«Dans l'analyse de la notion d'intérêt public dont parle l'alinéa 730 (1) C.cr., il faut évaluer la situation particulière de l'accusé à la lumière de la nature de l'infraction et des circonstances qui l'entourent. L'analyse n'est pas purement subjective; elle exige de calquer les facteurs propres à l'accusé sur la toile de fond factuelle pour vérifier si la superposition est possible, ou si les éléments objectifs de l'affaire excluent l'octroi d'une absolution».
[175] L'on comprend mieux, maintenant, pourquoi, dans cet exercice à géométrie modulable, les tribunaux de toutes les juridictions accordent un poids et une influence variables au fait qu'une condamnation pourrait modifier le statut d'un délinquant en regard des lois et règlements régissant l'immigration: plus les objectifs et les principes prévalant en matière d'imposition de la peine exercent une pression à la hausse sur la sentence à imposer, moins le facteur de l'incidence de la condamnation sur le statut du délinquant au Canada sera susceptible d'exercer une influence déterminante au point de faire obstacle à la condamnation.
[176] Enfin, intérêt public et condamnation ne sont pas synonymes. Dans la mesure, en effet, où «favoriser la réinsertion sociale des délinquants» constitue l'un des objectifs du prononcé des peines codifiés à l'article 718 C.cr., il n'y a pas d'obstacle de principe à ce que, dans certains cas d'espèce particuliers, l'intérêt public – qui inspire au premier chef l'exercice d'imposition des peines – soit adéquatement servi par une voie sentencielle privilégiant surtout la réinsertion sociale. Or, c'est précisément ce qui se produit quand, pour éviter le stigmate d'une condamnation et/ou l'infliction d'un casier judiciaire qui seraient susceptibles de marginaliser le délinquant dans le milieu dans lequel il évolue, le Tribunal prononce une absolution qui lui permet de conserver toute son utilité sociale.
[177] Ce sont d'ailleurs des préoccupations de cette nature qui animaient le juge Béliveau dans l'affaire Rozon, précitée. Il les exprimait dans les termes suivants, à la page 812:
«Dans ce même arrêt, la Cour d'appel de l'Ontario a indiqué que l'intérêt public comporte également le fait que l'accusé ait la possibilité de devenir une personne utile dans la communauté et qu'elle puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. On avait accordé une libération, selon la terminologie de l'époque, à une dentiste immigrante des Philippines qui désirait être admise à la pratique de cette profession au Canada».
[178] Il ressort dès lors de ce qui précède que, contrairement à la composante «intérêt véritable de l'accusé», qui est relativement facile à cerner, le volet «intérêt public» est beaucoup plus difficile à circonscrire, parce que multiforme: il s'agit en effet d'une notion à géométrie variable car, comme on l'a vu, il n'y a pas qu'une seule façon de bien servir l'intérêt public.
[179] Ce qui soulève la question ultime: l'intérêt public peut-il être adéquatement servi, ici, par une absolution, ou ne requiert-il pas plutôt une condamnation ?
[163] Mais avant de disposer de cette question, encore faut-il cerner les paramètres s'appliquant à la mesure sentencielle de l'absolution.
[164] Comme on l'a déjà mentionné, l'article 730 C.cr. confère au Tribunal la discrétion de, «s'il considère qu'il y va de l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public, au lieu de le condamner, prescrire par ordonnance qu'il soit absous inconditionnellement ou aux conditions prévues dans une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 731(2)».
[165] Constituant en quelque sorte une ultime application des principes de la proportionnalité et de l'individualisation de la peine précédemment analysés, la voie sentencielle de l'absolution conditionnelle ou inconditionnelle permet ainsi au Tribunal chargé d'imposer la peine d'éviter l'infliction d'un casier judiciaire à un délinquant à l'égard duquel le seul fait de se voir accablé d'un tel casier pourrait constituer un châtiment disproportionné en regard des gestes répréhensibles posés, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
[166] Mais avant de décider s'«il y va de l'intérêt véritable de l'accusé sans nuire à l'intérêt public» (art. 730 C.cr.) qu'une ordonnance d'absolution soit émise dans le présent dossier, encore faut-il circonscrire les deux termes de l'équation.
[167] Qu'entend-on d'abord par «l'intérêt véritable de l'accusé» ?
[168] À la lecture des arrêts cités précédemment, l'on est en mesure d'affirmer que, selon les Cours d'appel canadiennes, l'intérêt de l'accusé à obtenir une absolution inconditionnelle ou conditionnelle doit être apprécié à la lumière des conséquences pouvant découler d'une condamnation en général, et du fait d'hériter d'un casier judiciaire en particulier. C'est sous cet angle que deviennent pertinents des enjeux comme le risque de déportation en vertu des lois et règlements régissant l'immigration, le risque de perte d'emploi ou de radiation d'un Ordre professionnel, ou encore le risque de ne pouvoir se rendre aux États-Unis à des fins de travail ou à des fins familiales. Mais alors, aucun de ces enjeux n'est déterminant en soi: il s'agit en fait de facteurs qui, s'ajoutant aux autres considérations pertinentes, doivent être soupesés et pondérés en regard de l'ensemble des circonstances.
[169] Qu'en est-il maintenant de l'intérêt public ?
[170] Puisque, pour pouvoir même envisager la voie sentencielle de l'absolution, il est nécessaire d'acquérir la conviction que cette mesure ne nuirait pas à l'intérêt public, il est en effet nécessaire de préciser ce que l'on entend par là. Cette question appelle dès lors trois observations.
[171] D'abord, l'intérêt public ne peut pas être apprécié en faisant abstraction des objectifs prévalant en matière d'imposition de la peine, qui sont maintenant codifiés à l'article 718 du Code criminel, et notamment des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et spécifique.
[172] Mais, dans l'affaire Rozon c. R., [1999] R.J.Q. 805 (C.S.), le juge Béliveau, de la Cour supérieure, précise que l'affirmation de ces deux derniers objectifs ne requiert pas nécessairement une condamnation. Il explique ce qui suit, à la page 812:
«Quant à la notion d'intérêt public, elle doit prendre en cause l'objectif de la dissuasion générale, la gravité de l'infraction, son incidence dans la communauté, l'attitude du public à son égard et la confiance de ce dernier dans le système judiciaire [R. c. Elsharawy, reflex, (1998) 119 C.C.C. (3d) 565 (C.A.T.-N.), par. 3]. Cela étant, il faut se rappeler que dans l'arrêt R. c. Meneses [(1976) 25 C.C.C. (2d) 115], la Cour d'appel de l'Ontario a précisé que l'arrestation et la comparution d'un délinquant peuvent constituer une mesure de dissuasion efficace à l'égard de personnes qui ne sont pas criminalisées, lesquelles sont justement celles qui sont candidates à une absolution».
[173] Ensuite, l'appréciation, dans le processus d'octroi de l'absolution, de ce qui relève de l'intérêt public ne peut être faite adéquatement non plus sans que ne soit simultanément pris en compte le principe fondamental de la proportionnalité, tel qu'il a précédemment été appliqué aux faits de l'espèce. Car, ultimement, plus l'infraction sera objectivement et subjectivement grave et plus le degré de responsabilité du délinquant sera élevé, plus alors l'intérêt public requerra une condamnation. Et, à l'inverse, moins l'infraction sera objectivement et subjectivement grave et moins le degré de responsabilité du délinquant sera élevé, plus alors l'intérêt public pourra se satisfaire d'une sanction autre que la condamnation. De la même manière, cette appréciation de ce qu'exige l'intérêt public ne peut pas davantage être faite sans que ne soient pris en compte, aussi, le principe de l'individualisation de la peine, le principe de l'harmonisation des peines ainsi que le principe de la modération dans l'infliction des peines, que l'on a déjà examinés.
[174] Bien qu'exprimée en termes différents, c'est d'ailleurs la même préoccupation qu'énonçait, en la complétant, le juge Grenier dans l'affaire R. c. Khanna, J.E. 98-1819 (C.Q.), alors qu'il écrivait, à la page 5:
«Dans l'analyse de la notion d'intérêt public dont parle l'alinéa 730 (1) C.cr., il faut évaluer la situation particulière de l'accusé à la lumière de la nature de l'infraction et des circonstances qui l'entourent. L'analyse n'est pas purement subjective; elle exige de calquer les facteurs propres à l'accusé sur la toile de fond factuelle pour vérifier si la superposition est possible, ou si les éléments objectifs de l'affaire excluent l'octroi d'une absolution».
[175] L'on comprend mieux, maintenant, pourquoi, dans cet exercice à géométrie modulable, les tribunaux de toutes les juridictions accordent un poids et une influence variables au fait qu'une condamnation pourrait modifier le statut d'un délinquant en regard des lois et règlements régissant l'immigration: plus les objectifs et les principes prévalant en matière d'imposition de la peine exercent une pression à la hausse sur la sentence à imposer, moins le facteur de l'incidence de la condamnation sur le statut du délinquant au Canada sera susceptible d'exercer une influence déterminante au point de faire obstacle à la condamnation.
[176] Enfin, intérêt public et condamnation ne sont pas synonymes. Dans la mesure, en effet, où «favoriser la réinsertion sociale des délinquants» constitue l'un des objectifs du prononcé des peines codifiés à l'article 718 C.cr., il n'y a pas d'obstacle de principe à ce que, dans certains cas d'espèce particuliers, l'intérêt public – qui inspire au premier chef l'exercice d'imposition des peines – soit adéquatement servi par une voie sentencielle privilégiant surtout la réinsertion sociale. Or, c'est précisément ce qui se produit quand, pour éviter le stigmate d'une condamnation et/ou l'infliction d'un casier judiciaire qui seraient susceptibles de marginaliser le délinquant dans le milieu dans lequel il évolue, le Tribunal prononce une absolution qui lui permet de conserver toute son utilité sociale.
[177] Ce sont d'ailleurs des préoccupations de cette nature qui animaient le juge Béliveau dans l'affaire Rozon, précitée. Il les exprimait dans les termes suivants, à la page 812:
«Dans ce même arrêt, la Cour d'appel de l'Ontario a indiqué que l'intérêt public comporte également le fait que l'accusé ait la possibilité de devenir une personne utile dans la communauté et qu'elle puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. On avait accordé une libération, selon la terminologie de l'époque, à une dentiste immigrante des Philippines qui désirait être admise à la pratique de cette profession au Canada».
[178] Il ressort dès lors de ce qui précède que, contrairement à la composante «intérêt véritable de l'accusé», qui est relativement facile à cerner, le volet «intérêt public» est beaucoup plus difficile à circonscrire, parce que multiforme: il s'agit en effet d'une notion à géométrie variable car, comme on l'a vu, il n'y a pas qu'une seule façon de bien servir l'intérêt public.
[179] Ce qui soulève la question ultime: l'intérêt public peut-il être adéquatement servi, ici, par une absolution, ou ne requiert-il pas plutôt une condamnation ?
Grille d'analyse qui s'impose au Tribunal quant à examiner l'opportunité que la peine soit ou non purgée dans la collectivité
R. c. Douab, 2009 QCCQ 5734 (CanLII)
[135] L'ensemble de ces considérations conduisent à la conclusion suivante: au titre du principe de l'harmonisation des peines, c'est au créneau intermédiaire de l'emprisonnement d'une durée de moins de deux ans que conduit, pour les fins de la présente affaire, l'examen de la jurisprudence.
[136] Il ne reste alors qu'à examiner l'opportunité que cette peine soit ou non purgée dans la collectivité. Or, bien que le Ministère public ne s'objecte pas formellement à cette modalité, le Tribunal devra néanmoins se satisfaire que la mesure est ici adéquate.
[137] Même s'il s'agit là d'un exercice qui sera abordé plus loin, le Tribunal estime utile de rappeler dès à présent la grille d'analyse qui s'imposera alors à lui.
[138] Ainsi, les critères permettant de distinguer les cas dans lesquels l'emprisonnement avec sursis est approprié, de ceux où il ne l'est pas, se trouvent-ils résumés dans les propos du juge Lamer, aux paragraphes 113 à 115 de l'arrêt Proulx, déjà cité:
«En résumé, au moment de décider si l'octroi du sursis à l'emprisonnement est conforme à l'objectif essentiel et aux principes de la détermination de la peine, le juge qui détermine la peine doit se demander quels sont les objectifs qui apparaissent prépondérants au regard des faits du cas dont il est saisi. Lorsqu'il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l'emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l'incarcération. Pour décider s'il est possible de réaliser des objectifs correctifs dans une affaire donnée, le juge doit étudier les chances de réinsertion sociale du délinquant, notamment en tenant compte de tout plan de réadaptation proposé par ce dernier, de l'existence de programmes appropriés de service communautaire et de traitement dans la collectivité, de la question de savoir si le délinquant reconnaît ses torts et manifeste des remords, ainsi que des souhaits exprimés par la victime dans sa déclaration (que le tribunal doit prendre en considération suivant l'art. 722 du Code). Cette liste n'est pas exhaustive.
Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l'incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l'emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d'objectifs correctifs. À l'inverse, selon la nature des conditions imposées dans l'ordonnance de sursis, la durée de celle-ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l'emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d'importance.
Finalement, il convient de souligner que le sursis à l'emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du délinquant. Il va de soi que la présence de circonstances aggravantes augmentera le besoin de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, il serait erroné d'écarter d'emblée la possibilité de l'octroi du sursis à l'emprisonnement pour cette seule raison. Je le répète, il faut apprécier chaque cas individuellement.»
[139] L'on a précédemment conclu, toujours au titre du principe de l'harmonisation des peines, que le créneau sentenciel à privilégier dans la présente affaire n'est ni celui de la peine de pénitencier, ni celui des simples mesures probatoires, mais plutôt celui de l'emprisonnement d'une durée inférieure à deux ans. Or, il n'y a pas d'empêchement de principe à ce que la peine puisse être ici purgée dans la collectivité, pour autant toutefois qu'il soit possible de combiner les objectifs punitifs et les objectifs correctifs et que cette mesure soit conforme aux objectifs et aux principes prévalant en matière d'imposition de la peine (mais c'est là une question qui sera analysée subséquemment).
[140] Et cette possibilité de purger la peine dans la collectivité doit encore d'autant moins être écartée qu'un autre principe sentenciel milite en faveur de cette alternative.
[151] Est-ce que, en regard de l'ensemble des objectifs visés, une peine d'incarcération serait appropriée? Pas vraiment. C'est que, en effet, l'emprisonnement avec sursis peut aussi permettre à ces objectifs de coexister de façon adéquate, comme le précise le juge Lamer dans l'arrêt Proulx, précédemment cité, à la page 121:
«Il arrive fréquemment que le juge qui détermine la peine se trouve devant une situation où certains objectifs militent en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement et d’autres en faveur de l’emprisonnement. En pareils cas, le juge du procès doit soupeser ces divers objectifs pour déterminer la peine appropriée. Comme a expliqué le juge La Forest dans R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (C.S.C.), [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 329, «[d]ans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant». Le juge ne dispose pas d’un critère ou d’une formule d’application simple à cet égard. Il faut s’en remettre au jugement et à la sagesse du juge qui détermine la peine, que le législateur a investi d’un pouvoir discrétionnaire considérable à cet égard à l’art. 718.3».
[152] Or, en l'espèce, certains objectifs militent en faveur de l'emprisonnement ferme, mais, comme on l'a vu précédemment, plusieurs autres militent résolument en faveur de l'octroi du sursis. En outre, les objectifs qui militent en faveur de l'incarcération, soit la dénonciation et la dissuasion, peuvent aussi être véhiculés par la mesure sentencielle de l'emprisonnement avec sursis, pour autant qu'y soient incorporées des composantes punitives, comme l'assignation à résidence pour une période significative, suivie d'un couvre-feu. Mais les objectifs qui militent en faveur de l'emprisonnement avec sursis – soit les objectifs déjà atteints de dissuasion spécifique, de réinsertion sociale et de prise de conscience des torts – seraient quant à eux totalement occultés par l'infliction d'une peine d'incarcération.
[153] Si l'on recentre maintenant la discussion sur les paramètres exposés par la Cour suprême dans l'extrait de l'arrêt Proulx cité au paragraphe 138 du présent jugement, l'on considérera que «les chances de réinsertion sociale» de monsieur Douab sont bonnes, que son «plan de réadaptation» passe par un retour dans son pays d'origine avec son épouse, qu'il «reconnaît [totalement] ses torts» et qu'il «manifeste [de profonds] remords». Il est dès lors «possible de réaliser [les] objectifs correctifs» en semblable contexte, et «possible [aussi] de combiner [les] objectifs punitifs et [les] objectifs correctifs». Dans ces circonstances, il faut considérer que «l'emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l'incarcération».
[154] Puisque les objectifs sentenciels de dissuasion spécifique, d'isolement des délinquants, de réinsertion sociale, de réparation des torts et de prise de conscience des responsabilités ne requièrent pas ici l'infliction d'une peine d'incarcération, et puisque les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale peuvent quant à eux être intégrés dans la mesure de l'emprisonnement avec sursis par l'incorporation de conditions restrictives de liberté, c'est ultimement l'emprisonnement avec sursis qui constitue ici la mesure sentencielle la plus appropriée.
[155] L'article 742.1 du Code criminel exige par ailleurs, comme on le sait, du juge qui s'apprête à imposer une peine d'emprisonnement à purger dans la communauté d'abord qu'il vérifie si le crime à sanctionner ne commande pas l'infliction d'une peine minimale (ce qui n'est pas le cas ici) et, ensuite, qu'il se convainque «que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci et est conforme à l'objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2».
[156] Le Tribunal est convaincu d'une part que monsieur Douab n'est pas à risque de récidive et d'autre part qu'il est en mesure de respecter les conditions que le Tribunal pourrait lui imposer. Cette condition d'ouverture à l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis est dès lors rencontrée.
[135] L'ensemble de ces considérations conduisent à la conclusion suivante: au titre du principe de l'harmonisation des peines, c'est au créneau intermédiaire de l'emprisonnement d'une durée de moins de deux ans que conduit, pour les fins de la présente affaire, l'examen de la jurisprudence.
[136] Il ne reste alors qu'à examiner l'opportunité que cette peine soit ou non purgée dans la collectivité. Or, bien que le Ministère public ne s'objecte pas formellement à cette modalité, le Tribunal devra néanmoins se satisfaire que la mesure est ici adéquate.
[137] Même s'il s'agit là d'un exercice qui sera abordé plus loin, le Tribunal estime utile de rappeler dès à présent la grille d'analyse qui s'imposera alors à lui.
[138] Ainsi, les critères permettant de distinguer les cas dans lesquels l'emprisonnement avec sursis est approprié, de ceux où il ne l'est pas, se trouvent-ils résumés dans les propos du juge Lamer, aux paragraphes 113 à 115 de l'arrêt Proulx, déjà cité:
«En résumé, au moment de décider si l'octroi du sursis à l'emprisonnement est conforme à l'objectif essentiel et aux principes de la détermination de la peine, le juge qui détermine la peine doit se demander quels sont les objectifs qui apparaissent prépondérants au regard des faits du cas dont il est saisi. Lorsqu'il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l'emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l'incarcération. Pour décider s'il est possible de réaliser des objectifs correctifs dans une affaire donnée, le juge doit étudier les chances de réinsertion sociale du délinquant, notamment en tenant compte de tout plan de réadaptation proposé par ce dernier, de l'existence de programmes appropriés de service communautaire et de traitement dans la collectivité, de la question de savoir si le délinquant reconnaît ses torts et manifeste des remords, ainsi que des souhaits exprimés par la victime dans sa déclaration (que le tribunal doit prendre en considération suivant l'art. 722 du Code). Cette liste n'est pas exhaustive.
Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l'incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l'emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d'objectifs correctifs. À l'inverse, selon la nature des conditions imposées dans l'ordonnance de sursis, la durée de celle-ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l'emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d'importance.
Finalement, il convient de souligner que le sursis à l'emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du délinquant. Il va de soi que la présence de circonstances aggravantes augmentera le besoin de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, il serait erroné d'écarter d'emblée la possibilité de l'octroi du sursis à l'emprisonnement pour cette seule raison. Je le répète, il faut apprécier chaque cas individuellement.»
[139] L'on a précédemment conclu, toujours au titre du principe de l'harmonisation des peines, que le créneau sentenciel à privilégier dans la présente affaire n'est ni celui de la peine de pénitencier, ni celui des simples mesures probatoires, mais plutôt celui de l'emprisonnement d'une durée inférieure à deux ans. Or, il n'y a pas d'empêchement de principe à ce que la peine puisse être ici purgée dans la collectivité, pour autant toutefois qu'il soit possible de combiner les objectifs punitifs et les objectifs correctifs et que cette mesure soit conforme aux objectifs et aux principes prévalant en matière d'imposition de la peine (mais c'est là une question qui sera analysée subséquemment).
[140] Et cette possibilité de purger la peine dans la collectivité doit encore d'autant moins être écartée qu'un autre principe sentenciel milite en faveur de cette alternative.
[151] Est-ce que, en regard de l'ensemble des objectifs visés, une peine d'incarcération serait appropriée? Pas vraiment. C'est que, en effet, l'emprisonnement avec sursis peut aussi permettre à ces objectifs de coexister de façon adéquate, comme le précise le juge Lamer dans l'arrêt Proulx, précédemment cité, à la page 121:
«Il arrive fréquemment que le juge qui détermine la peine se trouve devant une situation où certains objectifs militent en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement et d’autres en faveur de l’emprisonnement. En pareils cas, le juge du procès doit soupeser ces divers objectifs pour déterminer la peine appropriée. Comme a expliqué le juge La Forest dans R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (C.S.C.), [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 329, «[d]ans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant». Le juge ne dispose pas d’un critère ou d’une formule d’application simple à cet égard. Il faut s’en remettre au jugement et à la sagesse du juge qui détermine la peine, que le législateur a investi d’un pouvoir discrétionnaire considérable à cet égard à l’art. 718.3».
[152] Or, en l'espèce, certains objectifs militent en faveur de l'emprisonnement ferme, mais, comme on l'a vu précédemment, plusieurs autres militent résolument en faveur de l'octroi du sursis. En outre, les objectifs qui militent en faveur de l'incarcération, soit la dénonciation et la dissuasion, peuvent aussi être véhiculés par la mesure sentencielle de l'emprisonnement avec sursis, pour autant qu'y soient incorporées des composantes punitives, comme l'assignation à résidence pour une période significative, suivie d'un couvre-feu. Mais les objectifs qui militent en faveur de l'emprisonnement avec sursis – soit les objectifs déjà atteints de dissuasion spécifique, de réinsertion sociale et de prise de conscience des torts – seraient quant à eux totalement occultés par l'infliction d'une peine d'incarcération.
[153] Si l'on recentre maintenant la discussion sur les paramètres exposés par la Cour suprême dans l'extrait de l'arrêt Proulx cité au paragraphe 138 du présent jugement, l'on considérera que «les chances de réinsertion sociale» de monsieur Douab sont bonnes, que son «plan de réadaptation» passe par un retour dans son pays d'origine avec son épouse, qu'il «reconnaît [totalement] ses torts» et qu'il «manifeste [de profonds] remords». Il est dès lors «possible de réaliser [les] objectifs correctifs» en semblable contexte, et «possible [aussi] de combiner [les] objectifs punitifs et [les] objectifs correctifs». Dans ces circonstances, il faut considérer que «l'emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l'incarcération».
[154] Puisque les objectifs sentenciels de dissuasion spécifique, d'isolement des délinquants, de réinsertion sociale, de réparation des torts et de prise de conscience des responsabilités ne requièrent pas ici l'infliction d'une peine d'incarcération, et puisque les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale peuvent quant à eux être intégrés dans la mesure de l'emprisonnement avec sursis par l'incorporation de conditions restrictives de liberté, c'est ultimement l'emprisonnement avec sursis qui constitue ici la mesure sentencielle la plus appropriée.
[155] L'article 742.1 du Code criminel exige par ailleurs, comme on le sait, du juge qui s'apprête à imposer une peine d'emprisonnement à purger dans la communauté d'abord qu'il vérifie si le crime à sanctionner ne commande pas l'infliction d'une peine minimale (ce qui n'est pas le cas ici) et, ensuite, qu'il se convainque «que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci et est conforme à l'objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2».
[156] Le Tribunal est convaincu d'une part que monsieur Douab n'est pas à risque de récidive et d'autre part qu'il est en mesure de respecter les conditions que le Tribunal pourrait lui imposer. Cette condition d'ouverture à l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis est dès lors rencontrée.
Analyse sur l'opportunité d'accorder ou non une absolution - marche à suivre suggérée par le juge Gosselin
R. c. Douab, 2009 QCCQ 5734 (CanLII)
[51] Il est en effet très fréquent que, devant les tribunaux de juridiction criminelle, des délinquants cherchent à échapper au stigmate que constitue un casier judiciaire ou encore aux conséquences légales qui en découlent. Il est donc très fréquent que, à l'égard de gestes la plupart du temps isolés, des demandes de prononcer une absolution plutôt qu'une condamnation soient formulées.
[52] Ce qui est moins fréquent, cependant, c'est que cette problématique se pose dans des dossiers dans lesquels les créneaux sentenciels envisagés par la Couronne et par la Défense sont inconciliables.
[53] C'est que, en effet, l'évaluation de ce que commande l'intérêt public est directement fonction de l'écart existant entre la mesure sentencielle alternative de l'absolution d'une part, et la peine qui s'imposerait normalement dans les circonstances d'autre part: plus cet écart sera marqué, et moins l'intérêt public pourra s'accommoder d'une absolution; et, à l'inverse, moins l'écart sera considérable, et plus alors l'intérêt public sera susceptible d'être adéquatement servi par une mesure sentencielle qui n'emporte pas de condamnation. Autrement dit, la marche est plus haute si le crime à sanctionner mérite, par exemple, une peine d'emprisonnement.
[54] Or, à la lecture de l'abondante jurisprudence citée par la Poursuivante et par la Défense au soutien de leur position respective, le Tribunal est frappé par le fait que, à chaque fois qu'une Cour d'appel a été saisie de la question de savoir si l'absolution inconditionnelle ou conditionnelle était une mesure adéquate dans les circonstances, le créneau sentenciel à l'intérieur duquel la peine à infliger aurait normalement dû se situer était celui que, dans l'arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, la Cour suprême identifiait comme étant celui des simples mesures probatoires. Ce créneau sentenciel inférieur, faut-il le rappeler, inclut la mesure sentencielle de la sentence suspendue assortie d'une ordonnance de probation ainsi que l'amende assortie ou non d'une probation.
[55] Le relevé suivant permet en effet de constater la constance du phénomène.
[56] D'abord, dans l'affaire R. v. Sanchez-Pino, (1973) 11 C.C.C. (2d) 53 (C.A.O.), la Cour d'appel de l'Ontario était saisie du cas d'une étudiante étrangère qui, sans antécédent judiciaire, avait commis un vol à l'étalage dont la valeur se situait à moins de 78 $: aucune perte n'avait été encourue puisque les biens avaient été récupérés. La décision du juge de première instance, qui avait refusé l'absolution et plutôt privilégié le créneau sentenciel des simples mesures probatoires, a été confirmée par une Cour d'appel unanime. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Arnup écrit alors, aux paragraphes 18 et 20:
«Obviously the section is not confined to «simple cases of possession of marijuana». It is not confined to any class of offences except to the extent I have noted. On the other hand, it is only common sense that the more serious the offence, the less likely it will appear that an absolute discharge, or even a conditional one, is «not contrary to the public interest». In some cases, the trivial nature of the offence will be an important consideration; in others, unusual circumstances peculiar to the offender in question may lead to an order that would not be made in the case of another offender.
[…]
Even these deliberately general observations, when applied to the circumstances of this particular case, demonstrate to me that a trial judge, properly instructing himself, could not judicially exercise his discretion to grant either a conditional or an absolute discharge in this case. The appelant was a mature woman, of high educational and intellectual attainment. The theft was not the result of a sudden momentary impulse. She stole a number of articles, from several different places in the store, stuffing them in a shopping bag obviously brought along for the purpose. It was not a matter of momentary forgetfulness, for she did pay for two trivial items, and stole the rest. The widespread incidence of shoplifting, mentioned by the Crown attorney as prevalent in Metropolitan Toronto – and obviously known to the trial Judge – is indeed a matter of public notoriety.» [soulignements ajoutés]
[57] Puis, dans l'affaire R. v. Fallofied, (1973) 13 C.C.C. (2d) 450 (C.A.C.-B.), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était confrontée au cas d'un déménageur qui s'était emparé de cinq morceaux de tapis laissés sur les lieux par l'occupant précédent. Il avait plaidé coupable à une accusation de possession illégale de biens volés, le tout d'une valeur de 33,07 $, et avait été condamné par le juge du procès à 100 $ d'amende. Caporal dans les Forces armées canadiennes et «l'un des meilleurs hommes à la disposition de son officier», la Cour d'appel l'a fait bénéficier d'une absolution inconditionnelle.
[58] De même, dans l'affaire R. c. Harouya, J.E. 87-590 (C.A.), la Cour d'appel du Québec devait statuer sur le sort d'un individu qui avait été déclaré coupable d'un attentat à la pudeur sur un garçon âgé de moins de 14 ans, que le juge de première instance avait condamné à 400 $ d'amende et placé sous probation pour un an. S'exprimant au nom d'une Cour unanime et refusant de substituer une absolution à cette peine par ailleurs qualifiée de «très généreuse à l'égard de l'appelant» (au par. 32), le juge Dubé écrit ce qui suit, aux paragraphes 28 à 30:
«Je rejetterais aussi l'appel de l'accusé quant à la sentence: l'accusé se plaint surtout du fait que la présente sentence pourrait lui faire perdre ses possibilités de devenir citoyen canadien et que le juge de première instance aurait dû lui accorder une libération sous l'article 662(1) du Code criminel.
Notre Cour d'appel s'est déjà clairement exprimée par la voix de notre collègue monsieur le juge Bernier sur ce principe dans la cause La Reine c. Sofia Vretakos, (1976) C.A. 526:
«Il a été décidé que les Tribunaux de juridiction pénale ne devaient pas tenter, en pareil cas, de se substituer aux fonctionnaires et Tribunaux de l'Immigration en accordant une libération en vertu de l'article 662(1) C.cr. sous prétexte qu'une autre sentence pourrait faire obstacle à l'octroi de la citoyenneté canadienne, mais que, par ailleurs, il s'agissait là d'un des facteurs que le premier juge devait prendre en considération.»
Notre collègue monsieur le juge Montgomery s'est aussi exprimé sur le même sujet dans la cause Luis Herlindc Duarte King c. La Reine, (1985) C.A. 117:
«I am prepared to leave it to the discretion of the immigration authorities to determine whether Appelant is the type of person who should be a permanent resident or citizen of Canada. They probably have more detailed information, as to his case than we do, especially as to the probable consequences of his deportation.»
[59] Puis, dans l'affaire R. v. Shokohi-Manesh, 1991 CanLII 1203 (BC C.A.), (1992) 69 C.C.C. (3d) 286 (C.A.C.-B.), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était saisie du dossier d'un réfugié iranien en attente de statut au Canada qui avait reçu une sentence suspendue assortie d'une probation de deux ans pour possession d'un téléphone cellulaire volé: il avait trouvé l'appareil, avait vainement tenté de retracer le propriétaire et se l'était finalement approprié. Il a été arrêté par la police au moment où il allait le récupérer à la boutique à laquelle il avait confié le soin de le reprogrammer. Acceptant de substituer une absolution inconditionnelle à la mesure probatoire, la Cour reconnaît que les problèmes anticipés avec les services d'immigration sont l'un des facteurs à soupeser, mais précise qu'il ne s'agit pas là d'un argument prééminent, au paragraphe 8:
«The fact that an accused person's immigration status will be adversely affected by a conviction does not in itself justify the granting of a discharge.»
[60] Il résulte des deux arrêts qui précèdent que l'incidence d'une condamnation sur le sort du délinquant en regard des lois et règlements régissant l'immigration n'est que l'un des facteurs qui doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si une absolution est appropriée ou non; en outre, comme on le verra plus loin, l'importance relative de ce facteur décroît de façon inversement proportionnelle à l'importance des crimes à sanctionner.
[61] En outre, dans l'affaire R. c. Moreau, J.E. 92-1237 (C.A.Q.), la Cour d'appel du Québec était saisie du cas d'une enseignante de 41 ans, sans antécédent judiciaire et souffrant de «serious personal and psychological problems», qui avait été condamnée par une Cour municipale, puis par la Cour supérieure, à une amende de 200 $ pour un vol à l'étalage de biens valant 66 $ dans un magasin à rayons. S'exprimant au nom d'une Cour unanime, le juge Rothman accepte de substituer une absolution inconditionnelle à l'amende initialement imposée, formulant dans les termes suivants ce qui deviendra par la suite la règle d'or en la matière, aux paragraphes 16 et 17:
«Section 736 is expressed in broad terms. To grant a discharge instead of convicting the accused of the offence, the court must consider it to be in the best interests of the accused and not contrary to the public interest to do so. While the section should, of course, be applied judiciously with those criteria in mind, I see no basis for interpreting or applying it restrictively or exceptionally.
It would be difficult, an probably unwise, to attempt a definition of the categories of cases where an absolute or a conditional discharge could appropriately be granted. But without attempting an exhaustive definition, I believe a discharge under s.736 should be considered a sentencing option when the conditions of the section are met and were, having regard to the nature of the offence and the age, character and circumstances of the accused, the registering of a criminal conviction, in itself, would have a prejudicial impact on the accused that is disproportionate to the offence he or she committed.» [soulignements ajoutés]
[62] Ce point de vue est repris quelques années plus tard dans l'affaire R. c. Abouabdellah, EYB 1996-72091 (C.A.Q.). L'accusée, qui résidait au Canada en vertu d'un visa d'étudiant, risquait la déportation à la suite de sa condamnation, par une Cour municipale puis par la Cour supérieure, à une amende de 100 $ pour le vol à l'étalage de marchandises d'une valeur de 28,98 $ dans une pharmacie. Substituant une absolution conditionnelle à l'amende initialement imposée, la Cour énonce dans les termes suivants le grand principe qui doit guider le juge de première instance saisi d'une demande d'absolution, au paragraphe 8:
«La règle d'or en la matière est qu'un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n'a aucune mesure avec sa faute, singulièrement, comme en l'espèce, lorsque le justiciable n'a pas de casier judiciaire et que l'acte criminel n'a pas été prémédité et que cet acte criminel, quoiqu'évidemment répréhensible, n'a pas une gravité relative importante.» [soulignements ajoutés]
[63] Absence d'antécédent judiciaire, absence de préméditation dans la commission de l'infraction et absence de gravité relative du geste répréhensible posé: voilà, selon la Cour d'appel, autant de facettes sous lesquelles le problème doit être envisagé avant que ne puisse être arrêtée la question de savoir si le châtiment que constitue la condamnation est disproportionné en regard de la faute commise.
[64] L'on est dès lors en mesure de constater que, dans les arrêts des Cours d'appel canadiennes dans lesquels ont été d'abord établis et ensuite appliqués les grands paramètres inhérents à la mesure sentencielle de l'absolution, les trames factuelles sous-jacentes révélaient essentiellement des crimes de peu d'importance, commis de façon isolée par des délinquants sans antécédent judiciaire, mais qui avaient chacun un intérêt particulier à ne pas hériter d'un casier judiciaire.
[65] Peut-être est-il, par ailleurs, opportun de souligner que, dans deux arrêts récents, la Cour d'appel du Québec a expressément refusé d'envisager la mesure sentencielle de l'absolution dans des contextes où, d'une part, des crimes plus graves avaient été prémédités et planifiés et où, d'autre part, les crimes à sanctionner s'inscrivaient dans un certain continuum organisationnel et criminel.
[66] Ainsi, dans l'arrêt R. c. Peterson, 2007 QCCA 519 (CanLII), 2007 QCCA 519, la Cour d'appel a unanimement confirmé la peine d'une année d'emprisonnement ferme assortie d'une probation de deux ans qui avait été infligée à un individu ayant, dans un continuum de trois transactions, obtenu une marge de crédit de 10 000 $ en usurpant l'identité d'un tiers. Fait intéressant à souligner, le Ministère public réclamait l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis d'une année assortie d'une ordonnance de probation imposant le remboursement de la somme fraudée, alors que la Défense demandait qu'une absolution conditionnelle soit prononcée pour ce troisième délit comme elle l'avait déjà été pour deux autres commis postérieurement. En confirmant l'infliction d'une peine supérieure à celle requise par le Ministère public, la Cour s'exprime de la façon suivante, aux paragraphes 10 et 16:
«Cela dit, le législateur n'exclut pas l'octroi d'une absolution pour les crimes commis de façon préméditée, mais le juge qui détermine une peine doit tenir compte des modalités et circonstances entourant la commission du crime, notamment la nature et l'étendue de la fraude.
[…]
Tel que mentionné précédemment, il ne s'agit pas ici d'un crime commis de façon irréfléchie ou spontanée, mais plutôt d'un agir criminel savamment orchestré dans le seul but d'escroquer des sommes importantes pour son bénéfice personnel. C'est l'attrait de l'argent obtenu facilement qui motive à commettre de tels crimes.» [soulignements ajoutés]
[67] De même, dans l'arrêt rendu le 13 mai 2009 dans l'affaire R. c. Leboeuf, 2009 QCCA 997 (CanLII), 2009 QCCA 997, la Cour d'appel a unanimement substitué une amende de 10 000 $ à l'absolution assortie d'une donation de 5 000 $ à un organisme communautaire qu'avait initialement prononcée le juge de première instance (en réalité, comme la somme de 5 000 $ avait déjà été versée par le délinquant, son déboursé réel a été porté à 15 000 $). Agent immobilier âgé de 42 ans sans antécédent judiciaire, l'accusé était passible d'un emprisonnement maximal de deux ans pour avoir, sur une période de neuf mois, empoché des profits de 30 000 $ par la vente, dans le cadre d'une organisation structurée, d'appareils permettant le décodage de signaux de télécommunications. En décidant que l'absolution était en l'espèce inappropriée, la Cour a insisté sur la planification des crimes et sur la motivation sous-jacente, aux paragraphes 6 et 7:
«[…] Il ne s'agit donc pas d'un incident isolé, mais d'une participation qui a nécessité une planification.
[…] Toutefois, même en tenant compte de cette déférence, la peine infligée ne tient pas suffisamment compte des facteurs de dissuasion générale et d'exemplarité eu égard aux circonstances de commission du crime. Elle est manifestement inappropriée si l'on tient compte qu'il s'agissait d'une organisation soigneusement mise en place dont le but est de contrer le paiement des frais d'abonnement par les acquéreurs de ces cartes de piratage tout en assurant aux vendeurs des bénéfices considérables.»
[68] Tout cela pour conclure que, finalement, l'état du droit sur la question n'a pas connu de modification significative depuis que le juge Doyon, avant qu'il n'accède à la Cour d'appel, le résume dans les termes suivants, dans l'affaire R. c. Courey, 1999 CanLII 5752 (QC C.Q.), 1999 CanLII 5752 (QCCQ), à la page 4:
«L'on retrouve, dans les arrêts Moreau, 1992 CanLII 3313 (QC C.A.), (1993) 76 C.C.C. (3d) 181 (C.A.Q.), Tanguay, (1976) 24 C.C.C. (2d) 77 (C.A.Q.), et Rozon, [1999] R.J.Q. 805 (C.S.Q.), de même que dans de nombreux cas d'absolution inconditionnelle, un dénominateur commun: il s'agit généralement de gestes ponctuels, irréfléchis et de courte durée.»
[69] Les enseignements de la Cour d'appel du Québec incitent dès lors le Tribunal à clarifier, à ce stade-ci du processus décisionnel, la question de savoir quelle serait normalement, indépendamment des motifs invoqués au soutien de la demande d'absolution, la peine la plus adéquate dans les circonstances. Car il faut avoir une idée relativement précise de ce que serait typiquement la peine à infliger pour pouvoir ensuite déterminer si l'intérêt public pourrait s'accommoder de la substitution d'une absolution à cette peine normale.
[70] Le Tribunal propose dès lors de suivre la démarche étapiste suivante: d'abord, la détermination de ce que serait normalement une peine adéquate dans les circonstances; ensuite, l'identification des paramètres régissant la mesure sentencielle de l'absolution, ce qui comprend l'examen du concept d'«intérêt véritable de l'accusé» et celui du concept d'«intérêt public»; et enfin l'appréciation, en l'espèce, de la question de savoir si l'intérêt public peut ici s'accommoder d'une mesure sentencielle substitutive à la condamnation.
[51] Il est en effet très fréquent que, devant les tribunaux de juridiction criminelle, des délinquants cherchent à échapper au stigmate que constitue un casier judiciaire ou encore aux conséquences légales qui en découlent. Il est donc très fréquent que, à l'égard de gestes la plupart du temps isolés, des demandes de prononcer une absolution plutôt qu'une condamnation soient formulées.
[52] Ce qui est moins fréquent, cependant, c'est que cette problématique se pose dans des dossiers dans lesquels les créneaux sentenciels envisagés par la Couronne et par la Défense sont inconciliables.
[53] C'est que, en effet, l'évaluation de ce que commande l'intérêt public est directement fonction de l'écart existant entre la mesure sentencielle alternative de l'absolution d'une part, et la peine qui s'imposerait normalement dans les circonstances d'autre part: plus cet écart sera marqué, et moins l'intérêt public pourra s'accommoder d'une absolution; et, à l'inverse, moins l'écart sera considérable, et plus alors l'intérêt public sera susceptible d'être adéquatement servi par une mesure sentencielle qui n'emporte pas de condamnation. Autrement dit, la marche est plus haute si le crime à sanctionner mérite, par exemple, une peine d'emprisonnement.
[54] Or, à la lecture de l'abondante jurisprudence citée par la Poursuivante et par la Défense au soutien de leur position respective, le Tribunal est frappé par le fait que, à chaque fois qu'une Cour d'appel a été saisie de la question de savoir si l'absolution inconditionnelle ou conditionnelle était une mesure adéquate dans les circonstances, le créneau sentenciel à l'intérieur duquel la peine à infliger aurait normalement dû se situer était celui que, dans l'arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, la Cour suprême identifiait comme étant celui des simples mesures probatoires. Ce créneau sentenciel inférieur, faut-il le rappeler, inclut la mesure sentencielle de la sentence suspendue assortie d'une ordonnance de probation ainsi que l'amende assortie ou non d'une probation.
[55] Le relevé suivant permet en effet de constater la constance du phénomène.
[56] D'abord, dans l'affaire R. v. Sanchez-Pino, (1973) 11 C.C.C. (2d) 53 (C.A.O.), la Cour d'appel de l'Ontario était saisie du cas d'une étudiante étrangère qui, sans antécédent judiciaire, avait commis un vol à l'étalage dont la valeur se situait à moins de 78 $: aucune perte n'avait été encourue puisque les biens avaient été récupérés. La décision du juge de première instance, qui avait refusé l'absolution et plutôt privilégié le créneau sentenciel des simples mesures probatoires, a été confirmée par une Cour d'appel unanime. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Arnup écrit alors, aux paragraphes 18 et 20:
«Obviously the section is not confined to «simple cases of possession of marijuana». It is not confined to any class of offences except to the extent I have noted. On the other hand, it is only common sense that the more serious the offence, the less likely it will appear that an absolute discharge, or even a conditional one, is «not contrary to the public interest». In some cases, the trivial nature of the offence will be an important consideration; in others, unusual circumstances peculiar to the offender in question may lead to an order that would not be made in the case of another offender.
[…]
Even these deliberately general observations, when applied to the circumstances of this particular case, demonstrate to me that a trial judge, properly instructing himself, could not judicially exercise his discretion to grant either a conditional or an absolute discharge in this case. The appelant was a mature woman, of high educational and intellectual attainment. The theft was not the result of a sudden momentary impulse. She stole a number of articles, from several different places in the store, stuffing them in a shopping bag obviously brought along for the purpose. It was not a matter of momentary forgetfulness, for she did pay for two trivial items, and stole the rest. The widespread incidence of shoplifting, mentioned by the Crown attorney as prevalent in Metropolitan Toronto – and obviously known to the trial Judge – is indeed a matter of public notoriety.» [soulignements ajoutés]
[57] Puis, dans l'affaire R. v. Fallofied, (1973) 13 C.C.C. (2d) 450 (C.A.C.-B.), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était confrontée au cas d'un déménageur qui s'était emparé de cinq morceaux de tapis laissés sur les lieux par l'occupant précédent. Il avait plaidé coupable à une accusation de possession illégale de biens volés, le tout d'une valeur de 33,07 $, et avait été condamné par le juge du procès à 100 $ d'amende. Caporal dans les Forces armées canadiennes et «l'un des meilleurs hommes à la disposition de son officier», la Cour d'appel l'a fait bénéficier d'une absolution inconditionnelle.
[58] De même, dans l'affaire R. c. Harouya, J.E. 87-590 (C.A.), la Cour d'appel du Québec devait statuer sur le sort d'un individu qui avait été déclaré coupable d'un attentat à la pudeur sur un garçon âgé de moins de 14 ans, que le juge de première instance avait condamné à 400 $ d'amende et placé sous probation pour un an. S'exprimant au nom d'une Cour unanime et refusant de substituer une absolution à cette peine par ailleurs qualifiée de «très généreuse à l'égard de l'appelant» (au par. 32), le juge Dubé écrit ce qui suit, aux paragraphes 28 à 30:
«Je rejetterais aussi l'appel de l'accusé quant à la sentence: l'accusé se plaint surtout du fait que la présente sentence pourrait lui faire perdre ses possibilités de devenir citoyen canadien et que le juge de première instance aurait dû lui accorder une libération sous l'article 662(1) du Code criminel.
Notre Cour d'appel s'est déjà clairement exprimée par la voix de notre collègue monsieur le juge Bernier sur ce principe dans la cause La Reine c. Sofia Vretakos, (1976) C.A. 526:
«Il a été décidé que les Tribunaux de juridiction pénale ne devaient pas tenter, en pareil cas, de se substituer aux fonctionnaires et Tribunaux de l'Immigration en accordant une libération en vertu de l'article 662(1) C.cr. sous prétexte qu'une autre sentence pourrait faire obstacle à l'octroi de la citoyenneté canadienne, mais que, par ailleurs, il s'agissait là d'un des facteurs que le premier juge devait prendre en considération.»
Notre collègue monsieur le juge Montgomery s'est aussi exprimé sur le même sujet dans la cause Luis Herlindc Duarte King c. La Reine, (1985) C.A. 117:
«I am prepared to leave it to the discretion of the immigration authorities to determine whether Appelant is the type of person who should be a permanent resident or citizen of Canada. They probably have more detailed information, as to his case than we do, especially as to the probable consequences of his deportation.»
[59] Puis, dans l'affaire R. v. Shokohi-Manesh, 1991 CanLII 1203 (BC C.A.), (1992) 69 C.C.C. (3d) 286 (C.A.C.-B.), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était saisie du dossier d'un réfugié iranien en attente de statut au Canada qui avait reçu une sentence suspendue assortie d'une probation de deux ans pour possession d'un téléphone cellulaire volé: il avait trouvé l'appareil, avait vainement tenté de retracer le propriétaire et se l'était finalement approprié. Il a été arrêté par la police au moment où il allait le récupérer à la boutique à laquelle il avait confié le soin de le reprogrammer. Acceptant de substituer une absolution inconditionnelle à la mesure probatoire, la Cour reconnaît que les problèmes anticipés avec les services d'immigration sont l'un des facteurs à soupeser, mais précise qu'il ne s'agit pas là d'un argument prééminent, au paragraphe 8:
«The fact that an accused person's immigration status will be adversely affected by a conviction does not in itself justify the granting of a discharge.»
[60] Il résulte des deux arrêts qui précèdent que l'incidence d'une condamnation sur le sort du délinquant en regard des lois et règlements régissant l'immigration n'est que l'un des facteurs qui doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si une absolution est appropriée ou non; en outre, comme on le verra plus loin, l'importance relative de ce facteur décroît de façon inversement proportionnelle à l'importance des crimes à sanctionner.
[61] En outre, dans l'affaire R. c. Moreau, J.E. 92-1237 (C.A.Q.), la Cour d'appel du Québec était saisie du cas d'une enseignante de 41 ans, sans antécédent judiciaire et souffrant de «serious personal and psychological problems», qui avait été condamnée par une Cour municipale, puis par la Cour supérieure, à une amende de 200 $ pour un vol à l'étalage de biens valant 66 $ dans un magasin à rayons. S'exprimant au nom d'une Cour unanime, le juge Rothman accepte de substituer une absolution inconditionnelle à l'amende initialement imposée, formulant dans les termes suivants ce qui deviendra par la suite la règle d'or en la matière, aux paragraphes 16 et 17:
«Section 736 is expressed in broad terms. To grant a discharge instead of convicting the accused of the offence, the court must consider it to be in the best interests of the accused and not contrary to the public interest to do so. While the section should, of course, be applied judiciously with those criteria in mind, I see no basis for interpreting or applying it restrictively or exceptionally.
It would be difficult, an probably unwise, to attempt a definition of the categories of cases where an absolute or a conditional discharge could appropriately be granted. But without attempting an exhaustive definition, I believe a discharge under s.736 should be considered a sentencing option when the conditions of the section are met and were, having regard to the nature of the offence and the age, character and circumstances of the accused, the registering of a criminal conviction, in itself, would have a prejudicial impact on the accused that is disproportionate to the offence he or she committed.» [soulignements ajoutés]
[62] Ce point de vue est repris quelques années plus tard dans l'affaire R. c. Abouabdellah, EYB 1996-72091 (C.A.Q.). L'accusée, qui résidait au Canada en vertu d'un visa d'étudiant, risquait la déportation à la suite de sa condamnation, par une Cour municipale puis par la Cour supérieure, à une amende de 100 $ pour le vol à l'étalage de marchandises d'une valeur de 28,98 $ dans une pharmacie. Substituant une absolution conditionnelle à l'amende initialement imposée, la Cour énonce dans les termes suivants le grand principe qui doit guider le juge de première instance saisi d'une demande d'absolution, au paragraphe 8:
«La règle d'or en la matière est qu'un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n'a aucune mesure avec sa faute, singulièrement, comme en l'espèce, lorsque le justiciable n'a pas de casier judiciaire et que l'acte criminel n'a pas été prémédité et que cet acte criminel, quoiqu'évidemment répréhensible, n'a pas une gravité relative importante.» [soulignements ajoutés]
[63] Absence d'antécédent judiciaire, absence de préméditation dans la commission de l'infraction et absence de gravité relative du geste répréhensible posé: voilà, selon la Cour d'appel, autant de facettes sous lesquelles le problème doit être envisagé avant que ne puisse être arrêtée la question de savoir si le châtiment que constitue la condamnation est disproportionné en regard de la faute commise.
[64] L'on est dès lors en mesure de constater que, dans les arrêts des Cours d'appel canadiennes dans lesquels ont été d'abord établis et ensuite appliqués les grands paramètres inhérents à la mesure sentencielle de l'absolution, les trames factuelles sous-jacentes révélaient essentiellement des crimes de peu d'importance, commis de façon isolée par des délinquants sans antécédent judiciaire, mais qui avaient chacun un intérêt particulier à ne pas hériter d'un casier judiciaire.
[65] Peut-être est-il, par ailleurs, opportun de souligner que, dans deux arrêts récents, la Cour d'appel du Québec a expressément refusé d'envisager la mesure sentencielle de l'absolution dans des contextes où, d'une part, des crimes plus graves avaient été prémédités et planifiés et où, d'autre part, les crimes à sanctionner s'inscrivaient dans un certain continuum organisationnel et criminel.
[66] Ainsi, dans l'arrêt R. c. Peterson, 2007 QCCA 519 (CanLII), 2007 QCCA 519, la Cour d'appel a unanimement confirmé la peine d'une année d'emprisonnement ferme assortie d'une probation de deux ans qui avait été infligée à un individu ayant, dans un continuum de trois transactions, obtenu une marge de crédit de 10 000 $ en usurpant l'identité d'un tiers. Fait intéressant à souligner, le Ministère public réclamait l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis d'une année assortie d'une ordonnance de probation imposant le remboursement de la somme fraudée, alors que la Défense demandait qu'une absolution conditionnelle soit prononcée pour ce troisième délit comme elle l'avait déjà été pour deux autres commis postérieurement. En confirmant l'infliction d'une peine supérieure à celle requise par le Ministère public, la Cour s'exprime de la façon suivante, aux paragraphes 10 et 16:
«Cela dit, le législateur n'exclut pas l'octroi d'une absolution pour les crimes commis de façon préméditée, mais le juge qui détermine une peine doit tenir compte des modalités et circonstances entourant la commission du crime, notamment la nature et l'étendue de la fraude.
[…]
Tel que mentionné précédemment, il ne s'agit pas ici d'un crime commis de façon irréfléchie ou spontanée, mais plutôt d'un agir criminel savamment orchestré dans le seul but d'escroquer des sommes importantes pour son bénéfice personnel. C'est l'attrait de l'argent obtenu facilement qui motive à commettre de tels crimes.» [soulignements ajoutés]
[67] De même, dans l'arrêt rendu le 13 mai 2009 dans l'affaire R. c. Leboeuf, 2009 QCCA 997 (CanLII), 2009 QCCA 997, la Cour d'appel a unanimement substitué une amende de 10 000 $ à l'absolution assortie d'une donation de 5 000 $ à un organisme communautaire qu'avait initialement prononcée le juge de première instance (en réalité, comme la somme de 5 000 $ avait déjà été versée par le délinquant, son déboursé réel a été porté à 15 000 $). Agent immobilier âgé de 42 ans sans antécédent judiciaire, l'accusé était passible d'un emprisonnement maximal de deux ans pour avoir, sur une période de neuf mois, empoché des profits de 30 000 $ par la vente, dans le cadre d'une organisation structurée, d'appareils permettant le décodage de signaux de télécommunications. En décidant que l'absolution était en l'espèce inappropriée, la Cour a insisté sur la planification des crimes et sur la motivation sous-jacente, aux paragraphes 6 et 7:
«[…] Il ne s'agit donc pas d'un incident isolé, mais d'une participation qui a nécessité une planification.
[…] Toutefois, même en tenant compte de cette déférence, la peine infligée ne tient pas suffisamment compte des facteurs de dissuasion générale et d'exemplarité eu égard aux circonstances de commission du crime. Elle est manifestement inappropriée si l'on tient compte qu'il s'agissait d'une organisation soigneusement mise en place dont le but est de contrer le paiement des frais d'abonnement par les acquéreurs de ces cartes de piratage tout en assurant aux vendeurs des bénéfices considérables.»
[68] Tout cela pour conclure que, finalement, l'état du droit sur la question n'a pas connu de modification significative depuis que le juge Doyon, avant qu'il n'accède à la Cour d'appel, le résume dans les termes suivants, dans l'affaire R. c. Courey, 1999 CanLII 5752 (QC C.Q.), 1999 CanLII 5752 (QCCQ), à la page 4:
«L'on retrouve, dans les arrêts Moreau, 1992 CanLII 3313 (QC C.A.), (1993) 76 C.C.C. (3d) 181 (C.A.Q.), Tanguay, (1976) 24 C.C.C. (2d) 77 (C.A.Q.), et Rozon, [1999] R.J.Q. 805 (C.S.Q.), de même que dans de nombreux cas d'absolution inconditionnelle, un dénominateur commun: il s'agit généralement de gestes ponctuels, irréfléchis et de courte durée.»
[69] Les enseignements de la Cour d'appel du Québec incitent dès lors le Tribunal à clarifier, à ce stade-ci du processus décisionnel, la question de savoir quelle serait normalement, indépendamment des motifs invoqués au soutien de la demande d'absolution, la peine la plus adéquate dans les circonstances. Car il faut avoir une idée relativement précise de ce que serait typiquement la peine à infliger pour pouvoir ensuite déterminer si l'intérêt public pourrait s'accommoder de la substitution d'une absolution à cette peine normale.
[70] Le Tribunal propose dès lors de suivre la démarche étapiste suivante: d'abord, la détermination de ce que serait normalement une peine adéquate dans les circonstances; ensuite, l'identification des paramètres régissant la mesure sentencielle de l'absolution, ce qui comprend l'examen du concept d'«intérêt véritable de l'accusé» et celui du concept d'«intérêt public»; et enfin l'appréciation, en l'espèce, de la question de savoir si l'intérêt public peut ici s'accommoder d'une mesure sentencielle substitutive à la condamnation.
Peine appropriée - étudiant étranger qui complète formation universitaire en administration - crimes d'honnêteté - abus de confiance
R. c. Douab, 2009 QCCQ 5734 (CanLII)
[108] Fondé sur la prémisse que des individus qui ont commis des crimes semblables dans des circonstances analogues devraient être traités de façon comparable, ce principe mène tout naturellement à l'analyse de la jurisprudence.
[109] La Poursuivante, quant à elle, propose quatre jugements récents de première instance provenant de quatre provinces différentes, dont le Québec: s'y ajoute en outre un autre jugement de première instance dont le Tribunal a connaissance. Toutes ces affaires ont en commun de mettre en cause des individus qui occupaient des postes de gestion et qui ont abusé de la confiance de leur employeur.
[110] Ainsi, dans l'affaire R c. Cameron, AZ-50343563 (C.Q.), le 17 novembre 2005, le juge Laurin devait imposer une peine au directeur des ventes d'un concessionnaire automobile qui, à trois reprises sur une période de six mois, avait procédé à des manipulations frauduleuses à l'égard de véhicules pris en échange: il en avait résulté une appropriation, pour le bénéfice personnel de l'accusé, «d'une somme d'au moins 34 006,38 $» (à la page 5). Fait important à noter, l'accusé désirait, dans cette affaire aussi, bénéficier d'une absolution conditionnelle au remboursement d'une somme de 15 000 $, à l'exécution de 100 heures de travaux communautaires et à l'obligation de suivre une thérapie. Or, après avoir procédé à une analyse exhaustive des principes et objectifs sentenciels applicables en semblable matière, le juge a refusé de prononcer une absolution et l'a plutôt condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis de 18 mois, assortie de l'obligation de rembourser aux victimes la somme de 34 006,38 $ et d'effectuer 120 heures de travaux communautaires.
[111] Puis, dans l'affaire R. v. Betke, 2007 ABPC 288 (CanLII), 2007 ABPC 288, le juge LeGrandeur, de la Cour provinciale de l'Alberta, devait imposer une peine à une femme de 32 ans qui n'avait aucun antécédent judiciaire et qui, sur une période de six mois, avait à trois reprises accordé des prêts à de faux clients alors qu'elle était gérante de la firme Rent Cash Inc.: la perte totalisait 4 500 $. Pendant qu'une vérification comptable avait cours, l'accusée avait laissé une enveloppe contenant une confession écrite de ses crimes ainsi que l'expression de ses excuses. La Couronne sollicitait l'imposition d'une période d'incarcération. Au moment où l'accusée demandait un emprisonnement avec sursis à la Cour, son procureur était par ailleurs en possession de la somme de 4 500 $ qu'elle lui avait remise pour qu'elle soit acheminée à la victime. Étant mère monoparentale responsable d'une adolescente de 13 ans et le crime ayant été perpétré alors qu'elle avait accumulé un surplus de dettes, elle fut condamnée à neuf mois d'emprisonnement avec sursis.
[112] De même, dans l'affaire R. v. Bent, 2007 NSPC 63 (CanLII), 2007 NSPC 63, le juge Williams, de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse, infligea lui aussi une peine d'emprisonnement de neuf mois avec sursis, assortie de 24 heures de travaux communautaires et d'une ordonnance de restitution au montant de 522,39 $, à un homme de 52 ans, sans antécédent judiciaire, qui était employé de la Défense nationale depuis 22 ans et qui, à quatre reprises sur une période de six ans, avait effectué des achats personnels totalisant 4 684,24 $ avec la carte de crédit corporative alors qu'il occupait la fonction de gérant de la maintenance. Une laveuse, une sécheuse et un moteur hors-bord, totalisant une valeur de 4 161,85 $, avaient cependant été récupérés et, au moment de l'acquisition du moteur hors-bord, l'accusé avait, comme c'est le cas ici, impliqué un tiers à qui il avait demandé de faciliter la perpétration du crime en falsifiant une pièce justificative. À noter que, comme dans la présente affaire aussi, l'accusé sollicitait une absolution, qui lui fut refusée.
[113] En outre, dans l'affaire R. v. Green, 2008 MBPC 15 (CanLII), 2008 MBPC 15, le juge Pollack, de la Cour provinciale du Manitoba, devait imposer une peine à l'assistante-gérante d'un restaurant qui, âgée de 39 ans et sans antécédent judiciaire, s'était fait de faux remboursements à partir de la carte de débit corporative à laquelle elle avait accès. Échelonnée sur seulement 16 jours, la fraude s'était produite à sept occasions et totalisait la somme de 4 400 $. Alors que la Défense réclamait l'imposition d'une sentence suspendue assortie d'une probation, le juge l'a plutôt condamnée à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis assortie d'une ordonnance de restitution pour le montant total de 4 400 $.
[114] L'on aura noté au passage que, dans les trois affaires qui précèdent, le nombre de gestes malhonnêtes imputés aux délinquants était inférieur à celui reconnu par monsieur Douab. Au surplus, le montant total des fraudes dont il était alors question était inférieur à 5 000 $: il s'agissait donc, en réalité, de sanctionner des crimes dont les conséquences pécuniaires étaient de l'ordre de quatre fois moins importantes que ceux admis par monsieur Douab.
[115] Ces quatre jugements récents rendus par des tribunaux de première instance sont par ailleurs compatibles avec des jugements plus anciens rendus dans des circonstances analogues, ce qui démontre que la jurisprudence a tendance à être relativement constante et cohérente en la matière.
[116] Par exemple, dans l'affaire R. c. Skoulikides, AZ-99031286 (C.Q.), le 8 juin 1999, la Cour du Québec a refusé de prononcer une absolution à l'égard de la directrice d'une succursale bancaire qui, sans antécédent judiciaire et sur une période de deux ans, avait détourné une somme totale de 91 977 $ pour assouvir sa dépendance au jeu: elle a plutôt été condamnée à une peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis assortie d'une probation de deux ans incluant l'obligation de suivre une thérapie.
[117] La Défense a par ailleurs, de son côté, produit neuf précédents dans lesquels des absolutions, des sursis de sentence ou une amende ont été imposés dans des circonstances où des crimes avaient été commis après avoir été planifiés et, parfois, répétés. S'y ajoute un dixième jugement, plus ancien, retracé par le Tribunal.
[118] Mais, avant de se consacrer à leur analyse, deux observations s'imposent. La première, c'est qu'il s'agit, dans neuf de ces dix cas, de jugements de première instance rendus par la Cour du Québec ou par la Cour supérieure, le dixième l'ayant été par la Cour supérieure en appel d'un jugement rendu par la Cour du Québec en matière sommaire. Quant à la seconde observation, elle découle du fait que dans quelques-unes de ces affaires, il ne s'agissait pas de cas de vol ou de fraude: nous y reviendrons.
[119] Cela dit, ce sont, parmi les causes citées par la Défense, les affaires Meunier et Cadoch qui s'avèrent les plus intéressantes et les plus pertinentes pour les fins du présent dossier: dans les deux cas, les absolutions sollicitées n'ont pas été prononcées.
[120] D'abord, dans l'affaire R. c. Meunier, AZ-50155344 (C.Q.), le 12 décembre 2002, le juge Marchand, de la Cour du Québec, a refusé d'accorder une absolution à une directrice d'école de 45 ans, sans antécédent judiciaire, qui avait détourné, sur une période de huit mois, une somme de 30 000 $ de l'organisme Consortium Allô Prof, dont elle était par ailleurs la directrice générale.
[121] Elle avait dépensé un montant de 7 000 $, provenant des sommes subtilisées, pour offrir un voyage à sa fille et avait injecté le résidu dans une entreprise dont elle était partenaire. Elle avait en outre perdu ses deux emplois à la suite de la découverte des malversations et gagnait depuis sa vie comme suppléante, en plus de devoir travailler pour l'entreprise de son mari. Elle a néanmoins bénéficié d'un sursis de sentence, assorti d'une probation de trois ans incluant l'obligation d'effectuer 200 heures de travaux communautaires.
[122] Puis, dans l'affaire R. c. Cadoch, EYB 2008-150143, J.E. 2009-281 (C.Q.), le juge Bélisle, de la Cour du Québec, devait imposer une peine à un homme sans antécédent judiciaire qui, sur une période de huit jours, avait effectué des transactions non autorisées dans le compte détenu par la victime chez le courtier en valeurs mobilières à escompte Disnat: le client avait subi des pertes de 15 000 $ que l'accusé avait déjà remboursées en totalité au moment de la détermination de la peine, la perpétration du crime ayant par ailleurs été motivée par un problème de jeu compulsif.
[123] Or, alors que la Poursuivante proposait une sentence suspendue assortie d'une probation de trois ans et que l'accusé sollicitait une absolution inconditionnelle au motif que son nouvel emploi requérait de fréquents déplacements aux États-Unis, le juge a estimé «qu'un public bien informé pourrait perdre confiance dans la crédibilité du système judiciaire si l'accusé bénéficiait d'une absolution»: qualifiée de «raisonnable dans les circonstances», c'est la peine suggérée par le Ministère public qui fut infligée, et ce malgré le remboursement total dont avait déjà bénéficié la victime et malgré le fait que les crimes n'avaient pas clairement été commis dans un but d'enrichissement personnel.
[124] Cela dit, il convient d'analyser aussi les jugements dans lesquels des absolutions ont été prononcées.
[125] D'abord, dans l'affaire R. c. Mattey, AZ-96031127 (C.Q.), le 12 février 1996, le juge Bonin a entériné une suggestion commune de la Couronne et de la Défense et prononcé une absolution inconditionnelle dans le dossier très particulier d'une vice-présidente, taxation et relations avec les investisseurs, d'une multinationale qui avait gonflé ses comptes de dépense d'une somme de 67 042,80 $ au fil des ans. Comptable agréée de profession et professeure à temps partiel à l'Université McGill, elle avait perdu ses deux emplois et avait été radiée de son Ordre professionnel pour une durée de trois ans. Ayant remboursé la totalité du montant détourné et effectué un don de 5 000 $ à une œuvre de charité, elle avait refait sa vie aux États-Unis, où son permis de travail était cependant conditionnel à l'absence d'antécédent judiciaire. Après avoir pris l'affaire en délibéré et soupesé le tout, le juge Bonin en est venu à la conclusion que la suggestion commune des procureurs n'était pas déraisonnable dans les circonstances. La décision n'a évidemment pas été portée en appel.
[126] Puis, dans l'affaire R. c. Blain, 2004 CanLII 13737 (QC C.Q.), 2004 CanLII 13737 (QCCQ), le juge Séguin devait imposer une peine à un président d'élection qui avait plaidé coupable à une accusation d'abus de confiance «en rapport avec l'utilisation de faux documents»: sur une période de moins de trois mois, il avait transmis trois factures sur lesquelles il avait signé le nom de son épouse et qui correspondaient, semble-t-il, à de la «surfacturation». Or, il est important de le souligner, le juge retient que la somme totale de 7 750 $ dont il était question «représente la partie de la rémunération touchée illégalement par l'accusé pour des services qui ont quand même été rendus et pour lesquels n'est pas discuté l'à-propos ou la qualité des services» (au par. 24), et ce dans un contexte où «l'accusé qui était déjà rémunéré pour ses services comme président des élections n'avait pas droit à un supplément» (au par. 25). Tenant compte du remboursement intégral de la somme de 7 750 $, le Ministère public requérait l'imposition d'une amende de 3 500 $ alors que la Défense proposait que la même somme soit versée à un organisme de charité dans le cadre d'une absolution. Comme l'accusé avait par ailleurs été congédié de la fonction publique fédérale pour son geste et qu'il avait aussi été exposé à la réprobation générale en raison de la médiatisation de l'affaire, il bénéficia, sur remboursement des sommes illégalement perçues et versement de la donation de 3 500 $, d'une absolution inconditionnelle.
[127] Par ailleurs, dans l'affaire R. c. Lebel, 2006 QCCQ 12803 (CanLII), 2006 QCCQ 12803, la juge Paradis, de la Cour du Québec, était saisie d'un dossier très particulier. L'accusé, qui opérait une entreprise de comptabilité à domicile, s'était vu confier par une Caisse populaire le mandat d'examiner la conformité des états financiers de l'une de ses clientes. Or, comme l'accusé ne détenait pas les affiliations professionnelles requises pour pouvoir signer le rapport de la «mission d'examen», il a, pendant quatre années consécutives, signé ce rapport du nom d'une femme qu'il prétendait connaître. Mais les chiffres apparaissant dans les états financiers joints à l'examen de mission étaient exacts et la Caisse populaire n'en a subi aucun préjudice: l'accusé lui-même n'avait d'ailleurs retiré aucun gain personnel de l'affaire, le véritable bénéficiaire ayant été son client qui avait ainsi économisé 2 000 $ par année en honoraires. Or, une personne qui portait le même nom que la signataire apparente des rapports de mission se trouvait à être membre de l'Ordre des comptables en management accrédité (CMA): l'usurpation d'identité lui a causé de nombreux problèmes, dynamique que l'accusé ne pouvait semble-t-il pas anticiper au moment de la commission des infractions. Vu l'absence d'intention frauduleuse et l'absence de perte matérielle, la juge a accepté, pour quatre chefs de fabrication et d'utilisation de faux documents, de prononcer une absolution conditionnelle au versement d'une donation de 2 000 $ à un organisme de charité.
[128] En outre, dans l'affaire R. c. Ngankoy, 2007 QCCQ 6028 (CanLII), 2007 QCCQ 6028, le juge Vauclair, de la Cour du Québec, était saisi du cas d'un réfugié en attente de statut de résidence permanente, qui avait plaidé coupable à une infraction de vol «à hauteur de 1 650 $» alors qu'il occupait un poste à l'Archevêché de Montréal. En fait, il avait obtenu, d'une personne ayant un retard mental, une somme d'argent destinée à permettre à cette personne de se rendre à la Journée mondiale de la jeunesse à Cologne, mais le voyage n'avait pu avoir lieu faute de vols disponibles. Lorsque le remboursement a été demandé, l'accusé a confié avoir dans l'intervalle utilisé l'argent à des fins personnelles. Il a néanmoins remboursé promptement la moitié de la somme due mais, comme le solde tardait à suivre, le client a porté plainte à la police. Dès le dépôt de cette plainte, l'accusé a payé intégralement le solde dû. Alors que le Ministère public demandait à la Cour de surseoir au prononcé de la peine et de placer l'accusé sous probation avec obligation d'accomplir 30 heures de travaux communautaires, le juge a pris en compte les remords et les excuses exprimées par le délinquant, les conséquences possibles d'une condamnation sur le processus en cours en matière d'immigration, ainsi que le remboursement total déjà effectué: il l'a fait bénéficier d'une absolution conditionnelle assortie d'une probation comportant l'obligation d'effectuer 25 heures de travaux communautaires.
[129] Par ailleurs, dans l'affaire R. c. X., 2007 QCCQ 4043 (CanLII), 2007 QCCQ 4043, la juge Lefebvre, de la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec, devait infliger une peine à un adolescent, âgé de 16 ans au moment des événements, qui avait fraudé un collège d'une somme de 14 125,25 $ en recourant à une carte de guichet, selon les instructions qui lui avaient été données par des gens que la police soupçonnait d'appartenir à des gangs de rue. Invoquant le manque de maturité et le caractère très influençable de l'adolescent, la juge insiste sur les objectifs et principes de détermination de la peine prévus à l'article 38 de la LSJPA, lesquels ajoutent à ceux codifiés aux articles 718 à 718.2 C.cr., et accorde, conformément à la recommandation de l'auteur du rapport prédécisionnel, une absolution conditionnelle au versement d'une indemnité de 500 $ au collège et à l'exécution de 50 heures de travaux bénévoles.
[130] Quant à l'affaire R. c. Beauchamp, 2008 QCCS 3966 (CanLII), 2008 QCCS 3966, elle résulte d'un procès par jury au terme duquel l'accusé n'a été déclaré coupable que de deux des cinq chefs d'accusation déposés contre lui. Le juge Champagne, de la Cour supérieure, devait dès lors lui imposer une peine dans un contexte de saga successorale alors que, à la suite du décès de sa mère de 90 ans, sa sœur et sa fille l'avaient poursuivi. Or, après cinq ans de guérilla et un jugement final qui rejeta toutes les demandes, «Claudette Beauchamp et le prévenu, qui devaient se partager ces avoirs, n'auront rien»; «seule la liquidatrice obtiendra la maison de la défunte, qu'elle hypothéquera d'ailleurs pour payer le solde des honoraires!» (au par. 13). Concluant «qu'il s'agit ici d'une fraude dépassant 5000 $, mais dont on ne connaît pas l'étendue exacte» (au par. 16), le juge est confronté, comme c'est le cas ici, à des positions irréconciliables: le Ministère public réclame l'imposition d'une peine d'emprisonnement de 18 à 24 mois à purger dans la collectivité, assortie de travaux communautaires, alors que la Défense recherche le prononcé d'une absolution inconditionnelle. Tenant compte du fait que «les crimes commis l'ont été dans le cadre d'un conflit familial que toute autre peine ne contribuerait pas à régler» (au par. 49) ainsi que du fait que «la relance de [son entreprise] HiCat demandera un grand nombre de démarches de sa part auprès de partenaires privés comme AON, d'organismes du gouvernement comme le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), d'universités étrangères telles que le Massachusetts Institute of Technology (MIT)» (au par. 33), le juge opte finalement pour «favoriser la réinsertion sociale de Beauchamp» (au par. 38) en le faisant bénéficier d'une absolution conditionnelle au versement d'un don de 5 000 $ à un organisme de charité.
[131] Puis, dans l'affaire R. c. Marcoux, 2009 QCCQ 1472 (CanLII), 2009 QCCQ 1472, le juge Barrière, de la Cour du Québec, devait lui aussi infliger une peine dans des circonstances très particulières, alors qu'un jeune finissant en techniques policières, qui n'avait pas encore amorcé ses études à l'Institut national de la police, s'était retrouvé, seul et portant une bonbonne de poivre de cayenne pour toute arme, dans le village inuit isolé de Kangigsujuaq. Pendant son contrat d'une durée de six mois, tant le poste de police que sa résidence temporaire avaient été attaqués par des adolescents qui lançaient des bombes incendiaires, provoquant stress et anxiété chez la jeune recrue. Pour «calmer ses nerfs et dormir adéquatement», il avait pris, dans la salle des exhibits, l'équivalent de dix cigarettes de marijuana, drogue qui devait être détruite puisque les dossiers étaient terminés. Alors que le Ministère public réclamait l'imposition d'une peine de détention ferme, le juge a plutôt opté pour une absolution conditionnelle assortie d'une probation de six mois comportant l'obligation d'effectuer 120 heures de travaux communautaires, non sans préciser par la même occasion que «de laisser un jeune candidat seul, non armé, dans un endroit problématique où sa propre sécurité est en danger, n'est pas une situation tolérable».
[132] Enfin, l'affaire Ledieu c. R., AZ-50549501 (C.S.), le 25 mars 2009, que le procureur de la Défense a incluse dans son cahier d'autorités (sous l'onglet 9), n'a aucune pertinence en l'espèce: il s'agit du cas d'un immigrant français qui, devant la Cour du Québec, avait enregistré un plaidoyer de culpabilité à une accusation de menaces à l'égard de son épouse, et ce alors que son état mental posait problème, qu'il n'avait pas reconnu l'exactitude des faits qu'on lui reprochait et qu'il s'était mépris quant aux conséquences de son plaidoyer sur son projet d'immigration. En appel, le juge Champagne, de la Cour supérieure, a annulé le verdict et ordonné la tenue d'un nouveau procès.
[133] Que faut-il retenir maintenant de la jurisprudence citée par la Défense? Essentiellement que, si l'absolution est parfois une mesure sentencielle appropriée lorsqu'il s'agit de sanctionner des crimes d'honnêteté qui ne sont pas purement ponctuels ou spontanés, une telle sentence ne peut être prononcée que lorsqu'existent de très importantes circonstances atténuantes liées tant à la commission de l'infraction qu'à la situation du délinquant. Une vice-présidente qui perd tout et doit s'exiler aux États-Unis pour des comptes de dépense exagérés; des heures surfacturées mais réellement travaillées; une signature fausse sur des documents vrais; un remboursement à moitié fait dont l'autre moitié tarde trop; un adolescent immature et très influençable sous le joug d'un gang; une fraude dont le montant est inconnu dans le cadre d'une guérilla intra-familiale; un jeune homme seul et vulnérable qui soigne lui-même son anxiété; tout cela sur fond de remboursements déjà effectués lorsque les crimes ont causé des pertes, ce qui n'était quand même pas le cas dans tous ces dossiers: voilà ce que la jurisprudence a considéré comme constituant des circonstances très particulières justifiant l'octroi d'une absolution.
[134] Or, dans la présente affaire, ces circonstances très particulières n'existent pas. Il suffira en effet de relire les extraits du présent jugement relatifs à la détermination du degré de responsabilité pénale du délinquant [par. 81 à 95] ainsi qu'à l'identification des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes [par. 101 à 106] pour constater que monsieur Douab a très peu de facteurs exceptionnels à faire valoir, si l'on exclut du débat la dynamique de l'immigration.
[108] Fondé sur la prémisse que des individus qui ont commis des crimes semblables dans des circonstances analogues devraient être traités de façon comparable, ce principe mène tout naturellement à l'analyse de la jurisprudence.
[109] La Poursuivante, quant à elle, propose quatre jugements récents de première instance provenant de quatre provinces différentes, dont le Québec: s'y ajoute en outre un autre jugement de première instance dont le Tribunal a connaissance. Toutes ces affaires ont en commun de mettre en cause des individus qui occupaient des postes de gestion et qui ont abusé de la confiance de leur employeur.
[110] Ainsi, dans l'affaire R c. Cameron, AZ-50343563 (C.Q.), le 17 novembre 2005, le juge Laurin devait imposer une peine au directeur des ventes d'un concessionnaire automobile qui, à trois reprises sur une période de six mois, avait procédé à des manipulations frauduleuses à l'égard de véhicules pris en échange: il en avait résulté une appropriation, pour le bénéfice personnel de l'accusé, «d'une somme d'au moins 34 006,38 $» (à la page 5). Fait important à noter, l'accusé désirait, dans cette affaire aussi, bénéficier d'une absolution conditionnelle au remboursement d'une somme de 15 000 $, à l'exécution de 100 heures de travaux communautaires et à l'obligation de suivre une thérapie. Or, après avoir procédé à une analyse exhaustive des principes et objectifs sentenciels applicables en semblable matière, le juge a refusé de prononcer une absolution et l'a plutôt condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis de 18 mois, assortie de l'obligation de rembourser aux victimes la somme de 34 006,38 $ et d'effectuer 120 heures de travaux communautaires.
[111] Puis, dans l'affaire R. v. Betke, 2007 ABPC 288 (CanLII), 2007 ABPC 288, le juge LeGrandeur, de la Cour provinciale de l'Alberta, devait imposer une peine à une femme de 32 ans qui n'avait aucun antécédent judiciaire et qui, sur une période de six mois, avait à trois reprises accordé des prêts à de faux clients alors qu'elle était gérante de la firme Rent Cash Inc.: la perte totalisait 4 500 $. Pendant qu'une vérification comptable avait cours, l'accusée avait laissé une enveloppe contenant une confession écrite de ses crimes ainsi que l'expression de ses excuses. La Couronne sollicitait l'imposition d'une période d'incarcération. Au moment où l'accusée demandait un emprisonnement avec sursis à la Cour, son procureur était par ailleurs en possession de la somme de 4 500 $ qu'elle lui avait remise pour qu'elle soit acheminée à la victime. Étant mère monoparentale responsable d'une adolescente de 13 ans et le crime ayant été perpétré alors qu'elle avait accumulé un surplus de dettes, elle fut condamnée à neuf mois d'emprisonnement avec sursis.
[112] De même, dans l'affaire R. v. Bent, 2007 NSPC 63 (CanLII), 2007 NSPC 63, le juge Williams, de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse, infligea lui aussi une peine d'emprisonnement de neuf mois avec sursis, assortie de 24 heures de travaux communautaires et d'une ordonnance de restitution au montant de 522,39 $, à un homme de 52 ans, sans antécédent judiciaire, qui était employé de la Défense nationale depuis 22 ans et qui, à quatre reprises sur une période de six ans, avait effectué des achats personnels totalisant 4 684,24 $ avec la carte de crédit corporative alors qu'il occupait la fonction de gérant de la maintenance. Une laveuse, une sécheuse et un moteur hors-bord, totalisant une valeur de 4 161,85 $, avaient cependant été récupérés et, au moment de l'acquisition du moteur hors-bord, l'accusé avait, comme c'est le cas ici, impliqué un tiers à qui il avait demandé de faciliter la perpétration du crime en falsifiant une pièce justificative. À noter que, comme dans la présente affaire aussi, l'accusé sollicitait une absolution, qui lui fut refusée.
[113] En outre, dans l'affaire R. v. Green, 2008 MBPC 15 (CanLII), 2008 MBPC 15, le juge Pollack, de la Cour provinciale du Manitoba, devait imposer une peine à l'assistante-gérante d'un restaurant qui, âgée de 39 ans et sans antécédent judiciaire, s'était fait de faux remboursements à partir de la carte de débit corporative à laquelle elle avait accès. Échelonnée sur seulement 16 jours, la fraude s'était produite à sept occasions et totalisait la somme de 4 400 $. Alors que la Défense réclamait l'imposition d'une sentence suspendue assortie d'une probation, le juge l'a plutôt condamnée à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis assortie d'une ordonnance de restitution pour le montant total de 4 400 $.
[114] L'on aura noté au passage que, dans les trois affaires qui précèdent, le nombre de gestes malhonnêtes imputés aux délinquants était inférieur à celui reconnu par monsieur Douab. Au surplus, le montant total des fraudes dont il était alors question était inférieur à 5 000 $: il s'agissait donc, en réalité, de sanctionner des crimes dont les conséquences pécuniaires étaient de l'ordre de quatre fois moins importantes que ceux admis par monsieur Douab.
[115] Ces quatre jugements récents rendus par des tribunaux de première instance sont par ailleurs compatibles avec des jugements plus anciens rendus dans des circonstances analogues, ce qui démontre que la jurisprudence a tendance à être relativement constante et cohérente en la matière.
[116] Par exemple, dans l'affaire R. c. Skoulikides, AZ-99031286 (C.Q.), le 8 juin 1999, la Cour du Québec a refusé de prononcer une absolution à l'égard de la directrice d'une succursale bancaire qui, sans antécédent judiciaire et sur une période de deux ans, avait détourné une somme totale de 91 977 $ pour assouvir sa dépendance au jeu: elle a plutôt été condamnée à une peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis assortie d'une probation de deux ans incluant l'obligation de suivre une thérapie.
[117] La Défense a par ailleurs, de son côté, produit neuf précédents dans lesquels des absolutions, des sursis de sentence ou une amende ont été imposés dans des circonstances où des crimes avaient été commis après avoir été planifiés et, parfois, répétés. S'y ajoute un dixième jugement, plus ancien, retracé par le Tribunal.
[118] Mais, avant de se consacrer à leur analyse, deux observations s'imposent. La première, c'est qu'il s'agit, dans neuf de ces dix cas, de jugements de première instance rendus par la Cour du Québec ou par la Cour supérieure, le dixième l'ayant été par la Cour supérieure en appel d'un jugement rendu par la Cour du Québec en matière sommaire. Quant à la seconde observation, elle découle du fait que dans quelques-unes de ces affaires, il ne s'agissait pas de cas de vol ou de fraude: nous y reviendrons.
[119] Cela dit, ce sont, parmi les causes citées par la Défense, les affaires Meunier et Cadoch qui s'avèrent les plus intéressantes et les plus pertinentes pour les fins du présent dossier: dans les deux cas, les absolutions sollicitées n'ont pas été prononcées.
[120] D'abord, dans l'affaire R. c. Meunier, AZ-50155344 (C.Q.), le 12 décembre 2002, le juge Marchand, de la Cour du Québec, a refusé d'accorder une absolution à une directrice d'école de 45 ans, sans antécédent judiciaire, qui avait détourné, sur une période de huit mois, une somme de 30 000 $ de l'organisme Consortium Allô Prof, dont elle était par ailleurs la directrice générale.
[121] Elle avait dépensé un montant de 7 000 $, provenant des sommes subtilisées, pour offrir un voyage à sa fille et avait injecté le résidu dans une entreprise dont elle était partenaire. Elle avait en outre perdu ses deux emplois à la suite de la découverte des malversations et gagnait depuis sa vie comme suppléante, en plus de devoir travailler pour l'entreprise de son mari. Elle a néanmoins bénéficié d'un sursis de sentence, assorti d'une probation de trois ans incluant l'obligation d'effectuer 200 heures de travaux communautaires.
[122] Puis, dans l'affaire R. c. Cadoch, EYB 2008-150143, J.E. 2009-281 (C.Q.), le juge Bélisle, de la Cour du Québec, devait imposer une peine à un homme sans antécédent judiciaire qui, sur une période de huit jours, avait effectué des transactions non autorisées dans le compte détenu par la victime chez le courtier en valeurs mobilières à escompte Disnat: le client avait subi des pertes de 15 000 $ que l'accusé avait déjà remboursées en totalité au moment de la détermination de la peine, la perpétration du crime ayant par ailleurs été motivée par un problème de jeu compulsif.
[123] Or, alors que la Poursuivante proposait une sentence suspendue assortie d'une probation de trois ans et que l'accusé sollicitait une absolution inconditionnelle au motif que son nouvel emploi requérait de fréquents déplacements aux États-Unis, le juge a estimé «qu'un public bien informé pourrait perdre confiance dans la crédibilité du système judiciaire si l'accusé bénéficiait d'une absolution»: qualifiée de «raisonnable dans les circonstances», c'est la peine suggérée par le Ministère public qui fut infligée, et ce malgré le remboursement total dont avait déjà bénéficié la victime et malgré le fait que les crimes n'avaient pas clairement été commis dans un but d'enrichissement personnel.
[124] Cela dit, il convient d'analyser aussi les jugements dans lesquels des absolutions ont été prononcées.
[125] D'abord, dans l'affaire R. c. Mattey, AZ-96031127 (C.Q.), le 12 février 1996, le juge Bonin a entériné une suggestion commune de la Couronne et de la Défense et prononcé une absolution inconditionnelle dans le dossier très particulier d'une vice-présidente, taxation et relations avec les investisseurs, d'une multinationale qui avait gonflé ses comptes de dépense d'une somme de 67 042,80 $ au fil des ans. Comptable agréée de profession et professeure à temps partiel à l'Université McGill, elle avait perdu ses deux emplois et avait été radiée de son Ordre professionnel pour une durée de trois ans. Ayant remboursé la totalité du montant détourné et effectué un don de 5 000 $ à une œuvre de charité, elle avait refait sa vie aux États-Unis, où son permis de travail était cependant conditionnel à l'absence d'antécédent judiciaire. Après avoir pris l'affaire en délibéré et soupesé le tout, le juge Bonin en est venu à la conclusion que la suggestion commune des procureurs n'était pas déraisonnable dans les circonstances. La décision n'a évidemment pas été portée en appel.
[126] Puis, dans l'affaire R. c. Blain, 2004 CanLII 13737 (QC C.Q.), 2004 CanLII 13737 (QCCQ), le juge Séguin devait imposer une peine à un président d'élection qui avait plaidé coupable à une accusation d'abus de confiance «en rapport avec l'utilisation de faux documents»: sur une période de moins de trois mois, il avait transmis trois factures sur lesquelles il avait signé le nom de son épouse et qui correspondaient, semble-t-il, à de la «surfacturation». Or, il est important de le souligner, le juge retient que la somme totale de 7 750 $ dont il était question «représente la partie de la rémunération touchée illégalement par l'accusé pour des services qui ont quand même été rendus et pour lesquels n'est pas discuté l'à-propos ou la qualité des services» (au par. 24), et ce dans un contexte où «l'accusé qui était déjà rémunéré pour ses services comme président des élections n'avait pas droit à un supplément» (au par. 25). Tenant compte du remboursement intégral de la somme de 7 750 $, le Ministère public requérait l'imposition d'une amende de 3 500 $ alors que la Défense proposait que la même somme soit versée à un organisme de charité dans le cadre d'une absolution. Comme l'accusé avait par ailleurs été congédié de la fonction publique fédérale pour son geste et qu'il avait aussi été exposé à la réprobation générale en raison de la médiatisation de l'affaire, il bénéficia, sur remboursement des sommes illégalement perçues et versement de la donation de 3 500 $, d'une absolution inconditionnelle.
[127] Par ailleurs, dans l'affaire R. c. Lebel, 2006 QCCQ 12803 (CanLII), 2006 QCCQ 12803, la juge Paradis, de la Cour du Québec, était saisie d'un dossier très particulier. L'accusé, qui opérait une entreprise de comptabilité à domicile, s'était vu confier par une Caisse populaire le mandat d'examiner la conformité des états financiers de l'une de ses clientes. Or, comme l'accusé ne détenait pas les affiliations professionnelles requises pour pouvoir signer le rapport de la «mission d'examen», il a, pendant quatre années consécutives, signé ce rapport du nom d'une femme qu'il prétendait connaître. Mais les chiffres apparaissant dans les états financiers joints à l'examen de mission étaient exacts et la Caisse populaire n'en a subi aucun préjudice: l'accusé lui-même n'avait d'ailleurs retiré aucun gain personnel de l'affaire, le véritable bénéficiaire ayant été son client qui avait ainsi économisé 2 000 $ par année en honoraires. Or, une personne qui portait le même nom que la signataire apparente des rapports de mission se trouvait à être membre de l'Ordre des comptables en management accrédité (CMA): l'usurpation d'identité lui a causé de nombreux problèmes, dynamique que l'accusé ne pouvait semble-t-il pas anticiper au moment de la commission des infractions. Vu l'absence d'intention frauduleuse et l'absence de perte matérielle, la juge a accepté, pour quatre chefs de fabrication et d'utilisation de faux documents, de prononcer une absolution conditionnelle au versement d'une donation de 2 000 $ à un organisme de charité.
[128] En outre, dans l'affaire R. c. Ngankoy, 2007 QCCQ 6028 (CanLII), 2007 QCCQ 6028, le juge Vauclair, de la Cour du Québec, était saisi du cas d'un réfugié en attente de statut de résidence permanente, qui avait plaidé coupable à une infraction de vol «à hauteur de 1 650 $» alors qu'il occupait un poste à l'Archevêché de Montréal. En fait, il avait obtenu, d'une personne ayant un retard mental, une somme d'argent destinée à permettre à cette personne de se rendre à la Journée mondiale de la jeunesse à Cologne, mais le voyage n'avait pu avoir lieu faute de vols disponibles. Lorsque le remboursement a été demandé, l'accusé a confié avoir dans l'intervalle utilisé l'argent à des fins personnelles. Il a néanmoins remboursé promptement la moitié de la somme due mais, comme le solde tardait à suivre, le client a porté plainte à la police. Dès le dépôt de cette plainte, l'accusé a payé intégralement le solde dû. Alors que le Ministère public demandait à la Cour de surseoir au prononcé de la peine et de placer l'accusé sous probation avec obligation d'accomplir 30 heures de travaux communautaires, le juge a pris en compte les remords et les excuses exprimées par le délinquant, les conséquences possibles d'une condamnation sur le processus en cours en matière d'immigration, ainsi que le remboursement total déjà effectué: il l'a fait bénéficier d'une absolution conditionnelle assortie d'une probation comportant l'obligation d'effectuer 25 heures de travaux communautaires.
[129] Par ailleurs, dans l'affaire R. c. X., 2007 QCCQ 4043 (CanLII), 2007 QCCQ 4043, la juge Lefebvre, de la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec, devait infliger une peine à un adolescent, âgé de 16 ans au moment des événements, qui avait fraudé un collège d'une somme de 14 125,25 $ en recourant à une carte de guichet, selon les instructions qui lui avaient été données par des gens que la police soupçonnait d'appartenir à des gangs de rue. Invoquant le manque de maturité et le caractère très influençable de l'adolescent, la juge insiste sur les objectifs et principes de détermination de la peine prévus à l'article 38 de la LSJPA, lesquels ajoutent à ceux codifiés aux articles 718 à 718.2 C.cr., et accorde, conformément à la recommandation de l'auteur du rapport prédécisionnel, une absolution conditionnelle au versement d'une indemnité de 500 $ au collège et à l'exécution de 50 heures de travaux bénévoles.
[130] Quant à l'affaire R. c. Beauchamp, 2008 QCCS 3966 (CanLII), 2008 QCCS 3966, elle résulte d'un procès par jury au terme duquel l'accusé n'a été déclaré coupable que de deux des cinq chefs d'accusation déposés contre lui. Le juge Champagne, de la Cour supérieure, devait dès lors lui imposer une peine dans un contexte de saga successorale alors que, à la suite du décès de sa mère de 90 ans, sa sœur et sa fille l'avaient poursuivi. Or, après cinq ans de guérilla et un jugement final qui rejeta toutes les demandes, «Claudette Beauchamp et le prévenu, qui devaient se partager ces avoirs, n'auront rien»; «seule la liquidatrice obtiendra la maison de la défunte, qu'elle hypothéquera d'ailleurs pour payer le solde des honoraires!» (au par. 13). Concluant «qu'il s'agit ici d'une fraude dépassant 5000 $, mais dont on ne connaît pas l'étendue exacte» (au par. 16), le juge est confronté, comme c'est le cas ici, à des positions irréconciliables: le Ministère public réclame l'imposition d'une peine d'emprisonnement de 18 à 24 mois à purger dans la collectivité, assortie de travaux communautaires, alors que la Défense recherche le prononcé d'une absolution inconditionnelle. Tenant compte du fait que «les crimes commis l'ont été dans le cadre d'un conflit familial que toute autre peine ne contribuerait pas à régler» (au par. 49) ainsi que du fait que «la relance de [son entreprise] HiCat demandera un grand nombre de démarches de sa part auprès de partenaires privés comme AON, d'organismes du gouvernement comme le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), d'universités étrangères telles que le Massachusetts Institute of Technology (MIT)» (au par. 33), le juge opte finalement pour «favoriser la réinsertion sociale de Beauchamp» (au par. 38) en le faisant bénéficier d'une absolution conditionnelle au versement d'un don de 5 000 $ à un organisme de charité.
[131] Puis, dans l'affaire R. c. Marcoux, 2009 QCCQ 1472 (CanLII), 2009 QCCQ 1472, le juge Barrière, de la Cour du Québec, devait lui aussi infliger une peine dans des circonstances très particulières, alors qu'un jeune finissant en techniques policières, qui n'avait pas encore amorcé ses études à l'Institut national de la police, s'était retrouvé, seul et portant une bonbonne de poivre de cayenne pour toute arme, dans le village inuit isolé de Kangigsujuaq. Pendant son contrat d'une durée de six mois, tant le poste de police que sa résidence temporaire avaient été attaqués par des adolescents qui lançaient des bombes incendiaires, provoquant stress et anxiété chez la jeune recrue. Pour «calmer ses nerfs et dormir adéquatement», il avait pris, dans la salle des exhibits, l'équivalent de dix cigarettes de marijuana, drogue qui devait être détruite puisque les dossiers étaient terminés. Alors que le Ministère public réclamait l'imposition d'une peine de détention ferme, le juge a plutôt opté pour une absolution conditionnelle assortie d'une probation de six mois comportant l'obligation d'effectuer 120 heures de travaux communautaires, non sans préciser par la même occasion que «de laisser un jeune candidat seul, non armé, dans un endroit problématique où sa propre sécurité est en danger, n'est pas une situation tolérable».
[132] Enfin, l'affaire Ledieu c. R., AZ-50549501 (C.S.), le 25 mars 2009, que le procureur de la Défense a incluse dans son cahier d'autorités (sous l'onglet 9), n'a aucune pertinence en l'espèce: il s'agit du cas d'un immigrant français qui, devant la Cour du Québec, avait enregistré un plaidoyer de culpabilité à une accusation de menaces à l'égard de son épouse, et ce alors que son état mental posait problème, qu'il n'avait pas reconnu l'exactitude des faits qu'on lui reprochait et qu'il s'était mépris quant aux conséquences de son plaidoyer sur son projet d'immigration. En appel, le juge Champagne, de la Cour supérieure, a annulé le verdict et ordonné la tenue d'un nouveau procès.
[133] Que faut-il retenir maintenant de la jurisprudence citée par la Défense? Essentiellement que, si l'absolution est parfois une mesure sentencielle appropriée lorsqu'il s'agit de sanctionner des crimes d'honnêteté qui ne sont pas purement ponctuels ou spontanés, une telle sentence ne peut être prononcée que lorsqu'existent de très importantes circonstances atténuantes liées tant à la commission de l'infraction qu'à la situation du délinquant. Une vice-présidente qui perd tout et doit s'exiler aux États-Unis pour des comptes de dépense exagérés; des heures surfacturées mais réellement travaillées; une signature fausse sur des documents vrais; un remboursement à moitié fait dont l'autre moitié tarde trop; un adolescent immature et très influençable sous le joug d'un gang; une fraude dont le montant est inconnu dans le cadre d'une guérilla intra-familiale; un jeune homme seul et vulnérable qui soigne lui-même son anxiété; tout cela sur fond de remboursements déjà effectués lorsque les crimes ont causé des pertes, ce qui n'était quand même pas le cas dans tous ces dossiers: voilà ce que la jurisprudence a considéré comme constituant des circonstances très particulières justifiant l'octroi d'une absolution.
[134] Or, dans la présente affaire, ces circonstances très particulières n'existent pas. Il suffira en effet de relire les extraits du présent jugement relatifs à la détermination du degré de responsabilité pénale du délinquant [par. 81 à 95] ainsi qu'à l'identification des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes [par. 101 à 106] pour constater que monsieur Douab a très peu de facteurs exceptionnels à faire valoir, si l'on exclut du débat la dynamique de l'immigration.
Excuse raisonnable VS refus de fournir un échantillon d’haleine
R. c. Normandin, 2009 QCCQ 2468 (CanLII)
[33] Les tribunaux ont déjà largement disserté sur cette notion d’excuse raisonnable et, sans pour autant établir une définition hermétique, ont fixé les balises principales qui devaient encadrer celle-ci. L’énoncé de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans la cause R. v. Nadeau, retenu comme bien fondé par la Cour suprême, demeure toujours d’actualité, bien qu’il ait été fait en 1974.
[34] Ainsi, le sens que l’on peut retenir de l’expression « excuse raisonnable » dans le contexte actuel fût exposé de la façon suivante :
«In my judgment the "reasonable excuse" envisaged must be some circumstance which renders compliance with the demand either extremely difficult or likely to involve a substantial risk to the health of the person on whom the demand has been made. »
[35] On comprend que, malgré son étroitesse, cette définition demeure un énoncé général et les tribunaux sont demeurés réticents à élaborer une définition qui se voudrait exhaustive de ce qui est susceptible de constituer une excuse raisonnable telle que l’illustrent les propos du juge Hart dans l’arrêt Phinney.
«In my opinion it would be dangerous for the courts to try to enunciate an all inclusive meaning to the expression "reasonable excuse" because there are always factual situations arising that are novel and do not fit into static categories. This is the approach that most of the court decisions have been taking and the results have been confined to the individual factual situations in the various cases. »
[36] C’est donc en portant attention aux particularités de chaque espèce qu’un tribunal doit évaluer si l’excuse raisonnable alléguée par la défense est telle qu’on peut en inférer que l’obéissance à l’ordre donné de fournir un échantillon d’haleine était extrêmement difficile ou représentait un risque substantiel pour la santé de l’individu en cause.
[37] Ajoutons que dans l’appréciation du caractère raisonnable de l’excuse invoquée la jurisprudence a également établi qu’un critère d’objectivité devait entrer en ligne de compte.
[38] C’est donc par le biais d’une analyse objective qu’on doit considérer de la « raisonnabilité » de l’excuse. Autrement dit, est-ce que dans des circonstances similaires une personne raisonnable aurait adopté le même comportement et signifié un refus à l’agent de la paix qui lui a formulé une demande en vertu de l’article 254?
[39] Par ailleurs, s’est posée la question dans la présente affaire de déterminer la nature exacte du fardeau de preuve incombant à l’accusé qui allègue qu’il dispose d’une excuse raisonnable pour ne pas s’être conformé à l’ordre donné par un agent de la paix.
[40] La défense soumet à cet égard qu’il lui suffit de soulever un doute concernant l’existence d’une telle excuse et appuie ses dires en reprenant le raisonnement de la Cour d’appel de Saskatchewan dans l’affaire R. v. Lewko; décision qui s’adresse particulièrement à cette question du niveau de preuve requis de la part de la défense.
[41] Sans reprendre de façon exhaustive le raisonnement élaboré du juge en chef Bayda, on comprend que celui-ci est d’avis que le législateur, tant en édictant les articles 254 que 794(2) du Code criminel, a voulu que le fardeau de preuve reposant sur les épaules de la défense n’en soit un que de présentation et non de persuasion.
[42] Il tire cette conclusion du libellé même de l’article 794(2) qui n’aurait pas prévu le droit de la poursuite de réfuter cette preuve si cette dernière avait dû être établie suivant la balance des probabilités.
[43] Ce raisonnement sophistiqué n’a pas connu beaucoup d’écho dans la jurisprudence et celle-ci de façon majoritaire considère que c’est suivant la règle de la balance des probabilités qu’un accusé doit faire la démonstration de l’existence d’une excuse raisonnable répondant aux critères mentionnés plus avant.
[44] L’énoncé suivant extrait de la décision Peck v. R. de la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse synthétise bien l’état du droit et demeure d’actualité.
«The reasonable excuse the accused must prove on a balance of probabilities is not tied to a presumed fact. Rather, the accused is presented with an opportunity to mount a defence. The accused may, by proof on a balance of probabilities, establish that he or she has a reasonable excuse for the failure to provide the sample. »
[45] La question est donc maintenant, suivant cette norme, de savoir si l’accusé a démontré une excuse qui, de façon objective, peut être considérée comme raisonnable suite à son refus d’obéir à la demande qui lui était formulée par l’agent de la paix.
[50] De la même façon, le motif même du refus de souffler, soit la condition physique de M. Normandin, demeure relativement peu documenté et le Tribunal n’estime pas avoir une preuve probante qu’il aurait, résultat de celui-ci, été exposé à un risque sérieux s’il s’était conformé à la demande ou encore qu’il aurait été extrêmement difficile pour lui de le faire.
[51] D’un point de vue strictement médical, la preuve entendue soulève davantage de questions qu’elle ne donne de réponses.
[52] Dans une décision récente, l’honorable Paul Cloutier, J.C.M., s’exprimait de la façon suivante à l’égard de la nature et de la qualité de la preuve devant être présentées en semblable matière :
139 En matière de preuve, il importe de rappeler que lorsqu'une preuve comporte des éléments de nature scientifique, technique ou médicale, cette preuve doit être apportée par un témoin spécialiste dans le domaine sur lequel porte son témoignage. À moins que l'accusé ne soit lui-même formé dans le domaine scientifique qui est à la base de son explication, il ne peut lui-même présenter cette preuve technique ou scientifique.
140 Ainsi, un accusé ne peut, s'il n'est pas médecin, diagnostiquer une condition médicale et en évaluer les causes et les effets (Fontaine c. R., [2002] J.Q. no 2120, REJB 2002-32390 (C.A.). L'opinion du médecin s'avère nécessaire pour identifier un problème de nature médicale, pour en expliquer les causes et en préciser les conséquences, plus particulièrement celles qui pouvaient se retrouver chez l'accusé à l'époque pertinente.
[53] Sans dire qu’un accusé ne peut témoigner de son état, des symptômes qui l’affectent et des malaises qu’il ressent, il est évidemment nécessaire que la preuve soit complète et probante pour que le Tribunal puisse conclure en faveur de la thèse qu’il soutient.
[54] En l’espèce, la conclusion qui s’impose est que M. Normandin n’a pas réussi à se décharger de son fardeau de prouver, suivant la balance des probabilités, qu’il disposait d’une excuse raisonnable pour refuser de se conformer à l’ordre qui lui avait été donné par le policier.
[33] Les tribunaux ont déjà largement disserté sur cette notion d’excuse raisonnable et, sans pour autant établir une définition hermétique, ont fixé les balises principales qui devaient encadrer celle-ci. L’énoncé de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans la cause R. v. Nadeau, retenu comme bien fondé par la Cour suprême, demeure toujours d’actualité, bien qu’il ait été fait en 1974.
[34] Ainsi, le sens que l’on peut retenir de l’expression « excuse raisonnable » dans le contexte actuel fût exposé de la façon suivante :
«In my judgment the "reasonable excuse" envisaged must be some circumstance which renders compliance with the demand either extremely difficult or likely to involve a substantial risk to the health of the person on whom the demand has been made. »
[35] On comprend que, malgré son étroitesse, cette définition demeure un énoncé général et les tribunaux sont demeurés réticents à élaborer une définition qui se voudrait exhaustive de ce qui est susceptible de constituer une excuse raisonnable telle que l’illustrent les propos du juge Hart dans l’arrêt Phinney.
«In my opinion it would be dangerous for the courts to try to enunciate an all inclusive meaning to the expression "reasonable excuse" because there are always factual situations arising that are novel and do not fit into static categories. This is the approach that most of the court decisions have been taking and the results have been confined to the individual factual situations in the various cases. »
[36] C’est donc en portant attention aux particularités de chaque espèce qu’un tribunal doit évaluer si l’excuse raisonnable alléguée par la défense est telle qu’on peut en inférer que l’obéissance à l’ordre donné de fournir un échantillon d’haleine était extrêmement difficile ou représentait un risque substantiel pour la santé de l’individu en cause.
[37] Ajoutons que dans l’appréciation du caractère raisonnable de l’excuse invoquée la jurisprudence a également établi qu’un critère d’objectivité devait entrer en ligne de compte.
[38] C’est donc par le biais d’une analyse objective qu’on doit considérer de la « raisonnabilité » de l’excuse. Autrement dit, est-ce que dans des circonstances similaires une personne raisonnable aurait adopté le même comportement et signifié un refus à l’agent de la paix qui lui a formulé une demande en vertu de l’article 254?
[39] Par ailleurs, s’est posée la question dans la présente affaire de déterminer la nature exacte du fardeau de preuve incombant à l’accusé qui allègue qu’il dispose d’une excuse raisonnable pour ne pas s’être conformé à l’ordre donné par un agent de la paix.
[40] La défense soumet à cet égard qu’il lui suffit de soulever un doute concernant l’existence d’une telle excuse et appuie ses dires en reprenant le raisonnement de la Cour d’appel de Saskatchewan dans l’affaire R. v. Lewko; décision qui s’adresse particulièrement à cette question du niveau de preuve requis de la part de la défense.
[41] Sans reprendre de façon exhaustive le raisonnement élaboré du juge en chef Bayda, on comprend que celui-ci est d’avis que le législateur, tant en édictant les articles 254 que 794(2) du Code criminel, a voulu que le fardeau de preuve reposant sur les épaules de la défense n’en soit un que de présentation et non de persuasion.
[42] Il tire cette conclusion du libellé même de l’article 794(2) qui n’aurait pas prévu le droit de la poursuite de réfuter cette preuve si cette dernière avait dû être établie suivant la balance des probabilités.
[43] Ce raisonnement sophistiqué n’a pas connu beaucoup d’écho dans la jurisprudence et celle-ci de façon majoritaire considère que c’est suivant la règle de la balance des probabilités qu’un accusé doit faire la démonstration de l’existence d’une excuse raisonnable répondant aux critères mentionnés plus avant.
[44] L’énoncé suivant extrait de la décision Peck v. R. de la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse synthétise bien l’état du droit et demeure d’actualité.
«The reasonable excuse the accused must prove on a balance of probabilities is not tied to a presumed fact. Rather, the accused is presented with an opportunity to mount a defence. The accused may, by proof on a balance of probabilities, establish that he or she has a reasonable excuse for the failure to provide the sample. »
[45] La question est donc maintenant, suivant cette norme, de savoir si l’accusé a démontré une excuse qui, de façon objective, peut être considérée comme raisonnable suite à son refus d’obéir à la demande qui lui était formulée par l’agent de la paix.
[50] De la même façon, le motif même du refus de souffler, soit la condition physique de M. Normandin, demeure relativement peu documenté et le Tribunal n’estime pas avoir une preuve probante qu’il aurait, résultat de celui-ci, été exposé à un risque sérieux s’il s’était conformé à la demande ou encore qu’il aurait été extrêmement difficile pour lui de le faire.
[51] D’un point de vue strictement médical, la preuve entendue soulève davantage de questions qu’elle ne donne de réponses.
[52] Dans une décision récente, l’honorable Paul Cloutier, J.C.M., s’exprimait de la façon suivante à l’égard de la nature et de la qualité de la preuve devant être présentées en semblable matière :
139 En matière de preuve, il importe de rappeler que lorsqu'une preuve comporte des éléments de nature scientifique, technique ou médicale, cette preuve doit être apportée par un témoin spécialiste dans le domaine sur lequel porte son témoignage. À moins que l'accusé ne soit lui-même formé dans le domaine scientifique qui est à la base de son explication, il ne peut lui-même présenter cette preuve technique ou scientifique.
140 Ainsi, un accusé ne peut, s'il n'est pas médecin, diagnostiquer une condition médicale et en évaluer les causes et les effets (Fontaine c. R., [2002] J.Q. no 2120, REJB 2002-32390 (C.A.). L'opinion du médecin s'avère nécessaire pour identifier un problème de nature médicale, pour en expliquer les causes et en préciser les conséquences, plus particulièrement celles qui pouvaient se retrouver chez l'accusé à l'époque pertinente.
[53] Sans dire qu’un accusé ne peut témoigner de son état, des symptômes qui l’affectent et des malaises qu’il ressent, il est évidemment nécessaire que la preuve soit complète et probante pour que le Tribunal puisse conclure en faveur de la thèse qu’il soutient.
[54] En l’espèce, la conclusion qui s’impose est que M. Normandin n’a pas réussi à se décharger de son fardeau de prouver, suivant la balance des probabilités, qu’il disposait d’une excuse raisonnable pour refuser de se conformer à l’ordre qui lui avait été donné par le policier.
mercredi 30 décembre 2009
Demande d’exclusion d’une déclaration d’accident obtenue dans le cadre d’une enquête sur un délit de fuite - Absence de contrainte
R. c. St-Onge, 2009 QCCQ 191 (CanLII)
[6] Les droits protégés par les articles 9 et 10 de la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquent lorsqu’une personne est arrêtée ou détenue. Dans ce cas-ci, il est clair que l’accusé n’était pas en état d’arrestation au moment où il a répondu à la question de la policière. Il n’était pas non plus détenu, même s’il pouvait être suspect à la suite d’informations obtenues du CRPQ et des déclarations de témoins oculaires. De plus, il pouvait quitter le poste de poste de police comme bon lui semblait.
[7] Cependant, qu’en est-il de la déclaration recueillie dans le cadre d’une enquête pour délit de fuite au C.S.R. ou au Code criminel?
[8] Dans l’arrêt R. c. White, 1999 CanLII 689 (C.S.C.), [1999] 2 R.C.S. 417, la Cour suprême du Canada énonce, au paragr. 45, que le principe interdisant l’auto-incrimination […] ne signifie pas que l’accusé jouit d’une protection absolue contre toute utilisation des renseignements dont la divulgation a été forcée en vertu de la loi ou d’une autre manière.
[9] L’auteur de déclarations faites en vertu de l’art. 61 de la Motor Vehicule Act (dans le cas en l’espèce, au C.S.R.) n’est protégé par l’immunité contre leur utilisation, en vertu de l’art. 7 de la Charte, que lorsque les déclarations pertinentes peuvent être considérées comme faites sous la contrainte : White, précité, paragr. 74.
[10] La contrainte est établie si, au moment où l’accident a été déclaré par le conducteur, ce dernier a fait sa déclaration en raison de la croyance sincère et raisonnable qu’il était tenu de déclarer l’accident à la personne à qui la déclaration a été faite : White, précité, paragr. 75.
[11] Si une personne fait volontairement une déclaration d’accident, sans croire qu’elle est légalement tenue de le faire, ou sans être influencée par ce fait, on ne peut pas dire alors que la loi est la cause de ses déclarations : White, précité, paragr. 76.
[12] L’exigence d’une croyance sincère et raisonnable est un élément essentiel de la pondération à laquelle donne lieu l’art. 7. L’application du principe interdisant l’auto-incrimination commence, […] dès que le conducteur parle en raison de la croyance raisonnable et sincère qu’il est légalement obligé de le faire : White, précité, paragr. 77.
[13] L’accusé qui conteste l’admissibilité de la preuve en se fondant sur la Charte a le fardeau de démontrer que l’utilisation d’une déclaration porterait atteinte au principe interdisant l’auto-incrimination qui est prévu par l’art. 7 parce qu’il a été contraint de faire cette déclaration en vertu des dispositions d’une loi provinciale, c’est lui qui doit prouver selon la prépondérance des probabilités que la déclaration était forcée : White, précité, paragr. 81.
[14] Or, en l’espèce, rien dans la preuve n’indique que l’accusé se croyait forcé de faire une telle déclaration. Au contraire, dans son témoignage, il a affirmé qu’il ne se sentait pas obligé de se rendre au poste de police ni de répondre aux questions de la policière.
[6] Les droits protégés par les articles 9 et 10 de la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquent lorsqu’une personne est arrêtée ou détenue. Dans ce cas-ci, il est clair que l’accusé n’était pas en état d’arrestation au moment où il a répondu à la question de la policière. Il n’était pas non plus détenu, même s’il pouvait être suspect à la suite d’informations obtenues du CRPQ et des déclarations de témoins oculaires. De plus, il pouvait quitter le poste de poste de police comme bon lui semblait.
[7] Cependant, qu’en est-il de la déclaration recueillie dans le cadre d’une enquête pour délit de fuite au C.S.R. ou au Code criminel?
[8] Dans l’arrêt R. c. White, 1999 CanLII 689 (C.S.C.), [1999] 2 R.C.S. 417, la Cour suprême du Canada énonce, au paragr. 45, que le principe interdisant l’auto-incrimination […] ne signifie pas que l’accusé jouit d’une protection absolue contre toute utilisation des renseignements dont la divulgation a été forcée en vertu de la loi ou d’une autre manière.
[9] L’auteur de déclarations faites en vertu de l’art. 61 de la Motor Vehicule Act (dans le cas en l’espèce, au C.S.R.) n’est protégé par l’immunité contre leur utilisation, en vertu de l’art. 7 de la Charte, que lorsque les déclarations pertinentes peuvent être considérées comme faites sous la contrainte : White, précité, paragr. 74.
[10] La contrainte est établie si, au moment où l’accident a été déclaré par le conducteur, ce dernier a fait sa déclaration en raison de la croyance sincère et raisonnable qu’il était tenu de déclarer l’accident à la personne à qui la déclaration a été faite : White, précité, paragr. 75.
[11] Si une personne fait volontairement une déclaration d’accident, sans croire qu’elle est légalement tenue de le faire, ou sans être influencée par ce fait, on ne peut pas dire alors que la loi est la cause de ses déclarations : White, précité, paragr. 76.
[12] L’exigence d’une croyance sincère et raisonnable est un élément essentiel de la pondération à laquelle donne lieu l’art. 7. L’application du principe interdisant l’auto-incrimination commence, […] dès que le conducteur parle en raison de la croyance raisonnable et sincère qu’il est légalement obligé de le faire : White, précité, paragr. 77.
[13] L’accusé qui conteste l’admissibilité de la preuve en se fondant sur la Charte a le fardeau de démontrer que l’utilisation d’une déclaration porterait atteinte au principe interdisant l’auto-incrimination qui est prévu par l’art. 7 parce qu’il a été contraint de faire cette déclaration en vertu des dispositions d’une loi provinciale, c’est lui qui doit prouver selon la prépondérance des probabilités que la déclaration était forcée : White, précité, paragr. 81.
[14] Or, en l’espèce, rien dans la preuve n’indique que l’accusé se croyait forcé de faire une telle déclaration. Au contraire, dans son témoignage, il a affirmé qu’il ne se sentait pas obligé de se rendre au poste de police ni de répondre aux questions de la policière.
La règle en matière d'actes similaires en est une d'exclusion et elle est essentiellement une preuve de propension
R. c. Cormier, 2009 QCCQ 449 (CanLII)
[29] Dans R. c. Handy, la Cour suprême réitère que la règle en matière d'actes similaires en est une d'exclusion.
« Il est évident que l’intimé a raison de plaider l’inadmissibilité de la preuve d’inconduite qui va au-delà de ce qui est allégué dans l’acte d’accusation et qui ne fait que ternir sa réputation. Personne n’est accusé d’avoir une prédisposition ou propension « générale » au vol, à la violence ou à quoi que ce soit d’autre. En général, l’exclusion vise à interdire l’utilisation de la preuve de moralité en tant que preuve circonstancielle d’une conduite, c’est-à-dire pour inférer des « faits similaires » que l’accusé avait une propension ou une prédisposition à accomplir le type d’actes reprochés et qu’il est donc coupable de l’infraction. »
[30] Évidemment, la poursuite cherche par cette preuve à tirer une inférence. Une telle inférence doit cependant rencontrer des exigences précises.
« Les inférences que l’on cherche à faire doivent être conformes au bon sens, aux notions intuitives de probabilité et à l’improbabilité d’une coïncidence. »
[31] La preuve d'actes similaires est essentiellement une preuve de propension dont la valeur probante doit l’emporter sur tout préjudice susceptible d’être causé pour être admissible.
[32] Le préjudice considéré est le préjudice moral et le préjudice de raisonnement.
[33] Évidemment, le préjudice potentiel est moindre dans le cas d'un procès devant juge seul.
[34] La question de savoir si la valeur probante d’une preuve l’emporte ou non sur son effet préjudiciable ne peut être tranchée qu’en fonction de la fin, i.e de la question soulevée et donc de la question en litige.
« Les questions soulevées découlent des faits allégués dans l’accusation ainsi que des moyens de défense invoqués ou raisonnablement escomptés. Il incombe donc au ministère public de cerner la question en litige dans le procès, à laquelle on prétend que la preuve de prédisposition se rapporte. Si la question n’est plus litigieuse, comme, par exemple, lorsque l’accusé a admis le fait, la preuve n’est plus pertinente et doit être exclue. »
[35] La question de la valeur probante en rapport avec l'effet préjudiciable en est une de degré.
« La valeur probante l’emporte sur le préjudice du fait que la force des circonstances similaires écarte toute coïncidence ou autre explication tendant à innocenter l’accusé.
La jurisprudence canadienne reconnaît que plus les « faits similaires » se rapprochent spécifiquement des circonstances de l’accusation (c’est-à-dire lorsqu’ils se rapportent davantage à la situation), plus la valeur probante de la propension, ainsi circonscrite, augmente. On considère que plus s’estompent les différences et les variables qui distinguent les « faits similaires » antérieurs de l’objet de l’accusation dans ce type de dossier, plus s’intensifie la force probante des inférences souhaitées. En fin de compte, la prémisse qui sous-tend la règle générale d’exclusion (le préjudice l’emporte sur la valeur probante) ne s’applique plus. »
[36] Lorsqu'une preuve d'actes similaires est présentée pour étayer la crédibilité d'une plaignante, la Cour suprême émet quelques réserves.
« Selon le ministère public, la question en litige concerne de façon générale la « crédibilité de la plaignante » et plus particulièrement [traduction] « le fait que l’accusé est fortement prédisposé à accomplir l’acte même qui est allégué dans les accusations portées contre lui ». Toutefois, il y a des précisions à apporter. Il faut prendre garde de trop ouvrir la porte à l’admission de la preuve de propension ou, comme on le dit parfois, de permettre qu’elle ait une trop grande incidence sur la preuve que le ministère public doit présenter (Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., § 11.26). La crédibilité est une question omniprésente dans la plupart des procès, qui, dans sa portée la plus étendue, peut équivaloir à une décision sur la culpabilité ou l’innocence.
Tout ce qui ternit la moralité de l’accusé peut accessoirement accroître la crédibilité du plaignant. Décider que la « question soulevée » porte sur la crédibilité risque, à moins qu’on en limite la portée, de donner lieu à l’admission de rien de plus qu’une preuve de prédisposition générale (« mauvaise personnalité »). »
[29] Dans R. c. Handy, la Cour suprême réitère que la règle en matière d'actes similaires en est une d'exclusion.
« Il est évident que l’intimé a raison de plaider l’inadmissibilité de la preuve d’inconduite qui va au-delà de ce qui est allégué dans l’acte d’accusation et qui ne fait que ternir sa réputation. Personne n’est accusé d’avoir une prédisposition ou propension « générale » au vol, à la violence ou à quoi que ce soit d’autre. En général, l’exclusion vise à interdire l’utilisation de la preuve de moralité en tant que preuve circonstancielle d’une conduite, c’est-à-dire pour inférer des « faits similaires » que l’accusé avait une propension ou une prédisposition à accomplir le type d’actes reprochés et qu’il est donc coupable de l’infraction. »
[30] Évidemment, la poursuite cherche par cette preuve à tirer une inférence. Une telle inférence doit cependant rencontrer des exigences précises.
« Les inférences que l’on cherche à faire doivent être conformes au bon sens, aux notions intuitives de probabilité et à l’improbabilité d’une coïncidence. »
[31] La preuve d'actes similaires est essentiellement une preuve de propension dont la valeur probante doit l’emporter sur tout préjudice susceptible d’être causé pour être admissible.
[32] Le préjudice considéré est le préjudice moral et le préjudice de raisonnement.
[33] Évidemment, le préjudice potentiel est moindre dans le cas d'un procès devant juge seul.
[34] La question de savoir si la valeur probante d’une preuve l’emporte ou non sur son effet préjudiciable ne peut être tranchée qu’en fonction de la fin, i.e de la question soulevée et donc de la question en litige.
« Les questions soulevées découlent des faits allégués dans l’accusation ainsi que des moyens de défense invoqués ou raisonnablement escomptés. Il incombe donc au ministère public de cerner la question en litige dans le procès, à laquelle on prétend que la preuve de prédisposition se rapporte. Si la question n’est plus litigieuse, comme, par exemple, lorsque l’accusé a admis le fait, la preuve n’est plus pertinente et doit être exclue. »
[35] La question de la valeur probante en rapport avec l'effet préjudiciable en est une de degré.
« La valeur probante l’emporte sur le préjudice du fait que la force des circonstances similaires écarte toute coïncidence ou autre explication tendant à innocenter l’accusé.
La jurisprudence canadienne reconnaît que plus les « faits similaires » se rapprochent spécifiquement des circonstances de l’accusation (c’est-à-dire lorsqu’ils se rapportent davantage à la situation), plus la valeur probante de la propension, ainsi circonscrite, augmente. On considère que plus s’estompent les différences et les variables qui distinguent les « faits similaires » antérieurs de l’objet de l’accusation dans ce type de dossier, plus s’intensifie la force probante des inférences souhaitées. En fin de compte, la prémisse qui sous-tend la règle générale d’exclusion (le préjudice l’emporte sur la valeur probante) ne s’applique plus. »
[36] Lorsqu'une preuve d'actes similaires est présentée pour étayer la crédibilité d'une plaignante, la Cour suprême émet quelques réserves.
« Selon le ministère public, la question en litige concerne de façon générale la « crédibilité de la plaignante » et plus particulièrement [traduction] « le fait que l’accusé est fortement prédisposé à accomplir l’acte même qui est allégué dans les accusations portées contre lui ». Toutefois, il y a des précisions à apporter. Il faut prendre garde de trop ouvrir la porte à l’admission de la preuve de propension ou, comme on le dit parfois, de permettre qu’elle ait une trop grande incidence sur la preuve que le ministère public doit présenter (Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., § 11.26). La crédibilité est une question omniprésente dans la plupart des procès, qui, dans sa portée la plus étendue, peut équivaloir à une décision sur la culpabilité ou l’innocence.
Tout ce qui ternit la moralité de l’accusé peut accessoirement accroître la crédibilité du plaignant. Décider que la « question soulevée » porte sur la crédibilité risque, à moins qu’on en limite la portée, de donner lieu à l’admission de rien de plus qu’une preuve de prédisposition générale (« mauvaise personnalité »). »
Délit de fuite – Intention spécifique – Doute raisonnable
R. c. Lavoie, 2009 QCCQ 647 (CanLII)
[10] Il est entendu que cette présomption n'impose pas à l'accusé un fardeau de persuasion, mais plutôt un fardeau de présentation, et qu'elle peut être repoussée en soulevant un doute raisonnable (R. c. Poulin-Chénard, [2007] J.Q. no 1738, (C.A.Q).
[12] Il existe dans la jurisprudence des jugements qui ont eu à examiner ce que certains qualifient, à tort ou à raison, de "défense de peur ou de panique".
[13] Par exemple, dans R. v. Brautigam, [1988] B.C.J. no. 417 (C.A.C.B.), l'accusé s'était contenté de déclarer qu'il avait quitté les lieux de l'accident car il avait eu peur (scared), sans plus, sans expliquer pourquoi il avait eu peur:
(…) Unusual circumstances might conceivably occur where fright may be caused for reasons other than escaping criminal or civil liability. But fright or panic are not by themselves sufficient to displace the presumption established by Parliament to force drivers who injure persons in motor vehicle accidents to render assistance to their victims. Being scared describes a man's reaction to the events but does not disclose why he flees. In this case there was no other evidence for the judge to consider, as there was in Emery. Absent reasonable and explicit other specific reasons for leaving the scene of the accident the judge was right in concluding the presumption to escape liability was not displaced. The expression "I was scared" is not by itself evidence of a lack of intent to escape criminal or civil liability.
[14] Dans R. v. Emery [1981] B.C.J. No. 889 (C.A.C.B.), auquel il est fait allusion dans l'extrait précédent de Brautigam, l'accusé avait quitté les lieux de l'accident non pas dans l'intention d'échapper à sa responsabilité civile ou criminelle, mais, parce que, disait-il, il avait paniqué, car "he was afraid of […] the view of a dead man at the scene".
[15] Malgré cette explication, et malgré que le juge de première instance ait dit croire l'explication de l'accusé, celui-ci a tout de même été trouvé coupable. Cette condamnation a été maintenue en appel devant la County Court.
[16] En appel devant la Cour d'appel de Colombie-Britannique, l'appel de l'accusé a été rejeté, mais non sans une forte dissidence du juge Anderson. La majorité a dû interpréter la décision du premier juge pour maintenir la condamnation. Quant au juge Anderson, il aurait accueilli l'appel de l'accusé et cassé la condamnation au motif que:
[34] The learned trial judge, in my opinion, fell into error in holding that panic or fear could not constitute a lawful excuse for leaving the scene of an accident. In so doing, the learned trial judge applied the wrong test. The issue to be determined was not whether the accused left the scene because he panicked, but whether when he left the scene he did so with the intention of escaping civil or criminal liability. The accused testified that it was not his intention to escape liability, either criminal or civil, and that he left the scene because, "I was just afraid that I was pretty positive the fellow was dead and I just didn't want to go there. I don't think I could have handled it if he was, to see his dead body lying."
[35] As the learned trial judge accepted this evidence, he was bound in law to reach the conclusion that the presumption contained in Section 233 subsection (3) had been rebutted and that the accused must be acquitted.
[17] Par ailleurs, la jurisprudence contient de multiples exemples où l'explication de l'accusé à l'effet qu'il avait quitté les lieux de l'accident parce qu'il avait eu peur ou parce qu'il avait paniqué a été retenue.
[18] Par exemple, dans une affaire de R. v. Vitzthum, [1988] B.C.J. no. 3112, (C.C.C.B.), le juge retient que:
8. The learned trial Judge found that with regard to the appellant's failure to stop his vehicle, there was evidence to the contrary. In this regard, he refers to the appellant's "panic" and "the general excitement of the situation" and concludes that stopping his vehicle might only have aggravated the already violent situation between himself and the complainant and the complainant's friend
[19] Dans cette affaire, l'accusé était confronté à une prostituée qui venait d'accepter son argent sans lui rendre les services escomptés, et de laquelle il avait bien l'intention de récupérer la somme d'argent avancée.
[20] Dans ses efforts pour récupérer ladite somme d'argent, l'accusé s'est retrouvé face à cette dame, qui est soudainement sortie de l'auto de son souteneur, cette fois armée d'un couteau avec une lame de 6 pouces, et face au souteneur lui-même, armé quant à lui d'un "2 x 4", dont il s'est d'ailleurs servi pour frapper violemment une des portes du véhicule de l'accusé.
[21] Pris de panique, l'accusé a omis de s'arrêter après qu'il eût accidentellement frappé le souteneur en voulant prendre la fuite. Accusé de délit de fuite, le juge d'appel a jugé que l'accusé avait de bonnes raisons d'avoir peur, et que sa responsabilité civile et criminelle était le moindre de ses soucis dans les circonstances. L'accusé a donc été acquitté.
[22] Pour un autre exemple, voir aussi R. v. Kleberc, [2007] Y.J. No.58 (YK. T.C.).
[23] Dans Poulin-Chénard, précité, la Cour d'appel écrit dans son jugement que la preuve présentée laissait, dans les circonstances, amplement place pour un doute raisonnable quant à l'intention spécifique de l'accusé:
6. Tel que mentionné précédemment, l'état de panique dont il est question ne se limite pas à une simple affirmation de l'intimée quant à un tel état. Au contraire, la défense était fondée à la fois sur la déclaration de l'intimée, qui n'a pas limité son explication à un état de panique, et sur une preuve scientifique, déclaration et preuve que le juge a retenues dans leur entièreté et qui ont soulevé, dans son esprit, un doute raisonnable quant à l'existence de l'intention spécifique. Ceci distingue le présent dossier des arrêts R. v. Emery, 61 C.C.C. (2d) 84 (B.C. C.A.) et R. v. Brautigam, 6 M.V.R. (2d) 135 (B.C. C.A.), cités par l'appelante.
[24] Dans l'affaire R. c. Breault, [1995] J.Q. no. 3137 (C.Q.), citée par la défense, l'accusé a soulevé dans l'esprit de la juge d'instance un doute raisonnable quant à son intention de quitter les lieux dans le but d'éviter "une poursuite criminelle ou civile", et l'accusé a été acquitté.
[25] Pour ce faire, l'accusé a témoigné sur son état d'esprit après l'accident, et a fait entendre des témoins qui ont "corroboré" ou ajouté à la version de l'accusé.
[26] Dans Breault, aucune preuve de nature médicale relative à l'état d'esprit de l'accusé n'a été présentée. Manifestement, une preuve de nature médicale de l'état mental de l'accusé est pertinente dans l'évaluation de l'intention qui animait l'accusé lorsqu'il a quitté les lieux de l'accident. Mais elle n'est pas essentielle.
[27] Dans une affaire de F.F.T, [2003], AZ-50176834 (C.Q.), le juge de première instance, face aux explications de l'accusée, conclut que l'état de l'accusée
[…] est celui d'une personne normale qui a vu un homme en train de mourir des suites d'un accident où elle a été impliquée et où elle n'avait rien à se reprocher. Elle ne circulait pas trop vite ni négligemment avant l'accident. Elle n'était pas intoxiquée au moment de l'écrasement de monsieur A.
[28] L'accusée a été trouvée coupable.
[29] Finalement, dans une affaire de Fournier, rapportée à [1979] J.Q. no 215 (C.A.Q.), les faits étaient les suivants:
[20] [L'accusé] réside à St-Antoine de Pontbriand, mais passe la soirée dans un hôtel de St-Jacques de Leeds, où, en compagnie d'un ami, il consomme, dit-il, de 7:30 p.m. environ jusque vers 3:00 a.m., cinq ou six petites bouteilles de bière. Au volant de sa voiture il quitte l'hôtel dans l'intention d'aller coucher chez son beau-frère, à St-Jacques. Arrivant à destination il freine, dévie à gauche dans l'intention de faire un virage à droite, dérape et heurte les voitures stationnées de Chabot et de Poulin. Il conduit sa voiture dans l'entrée de la cour de son beau-frère, en descend, examine les dégâts.
[21] Enervé, dit-il, il remonte dans son automobile, réfléchit et se dit qu'il n'éveillera pas son beau-frère à cette heure de la nuit, que le matin venu il avisera Chabot de l'accident; il ignore alors avoir heurté aussi la voiture de Poulin.
[22] Fournier se rend coucher chez lui, et vers 11:00 a.m. se rend chez son beau-frère, constate qu'íl a endommagé deux voitures, et s'identifie aux deux victimes.
[30] La Cour d'appel accueille l'appel de l'accusé, et l'acquitte, et ce dans les termes suivants:
A l'étude de l'ensemble de la preuve, vu la crédibilité que le premier juge ne refusa pas à Fournier [le juge de première instance avait cru l'accusé], considérant que l'appelant connaissait les victimes de l'accident dont il fut l'auteur et se rendit les visiter, les explications vraisemblables et raisonnablement croyables fournies par l'accusé de son départ des lieux sans s'identifier, l'heure tardive de la nuit et les autres circonstances que révèle le dossier, je ne puis dissiper un doute que j'estime raisonnable que l'accusé n'ait pas eu l'intention, en quittant les lieux, de se soustraire à sa responsabilité civile ou criminelle.
[10] Il est entendu que cette présomption n'impose pas à l'accusé un fardeau de persuasion, mais plutôt un fardeau de présentation, et qu'elle peut être repoussée en soulevant un doute raisonnable (R. c. Poulin-Chénard, [2007] J.Q. no 1738, (C.A.Q).
[12] Il existe dans la jurisprudence des jugements qui ont eu à examiner ce que certains qualifient, à tort ou à raison, de "défense de peur ou de panique".
[13] Par exemple, dans R. v. Brautigam, [1988] B.C.J. no. 417 (C.A.C.B.), l'accusé s'était contenté de déclarer qu'il avait quitté les lieux de l'accident car il avait eu peur (scared), sans plus, sans expliquer pourquoi il avait eu peur:
(…) Unusual circumstances might conceivably occur where fright may be caused for reasons other than escaping criminal or civil liability. But fright or panic are not by themselves sufficient to displace the presumption established by Parliament to force drivers who injure persons in motor vehicle accidents to render assistance to their victims. Being scared describes a man's reaction to the events but does not disclose why he flees. In this case there was no other evidence for the judge to consider, as there was in Emery. Absent reasonable and explicit other specific reasons for leaving the scene of the accident the judge was right in concluding the presumption to escape liability was not displaced. The expression "I was scared" is not by itself evidence of a lack of intent to escape criminal or civil liability.
[14] Dans R. v. Emery [1981] B.C.J. No. 889 (C.A.C.B.), auquel il est fait allusion dans l'extrait précédent de Brautigam, l'accusé avait quitté les lieux de l'accident non pas dans l'intention d'échapper à sa responsabilité civile ou criminelle, mais, parce que, disait-il, il avait paniqué, car "he was afraid of […] the view of a dead man at the scene".
[15] Malgré cette explication, et malgré que le juge de première instance ait dit croire l'explication de l'accusé, celui-ci a tout de même été trouvé coupable. Cette condamnation a été maintenue en appel devant la County Court.
[16] En appel devant la Cour d'appel de Colombie-Britannique, l'appel de l'accusé a été rejeté, mais non sans une forte dissidence du juge Anderson. La majorité a dû interpréter la décision du premier juge pour maintenir la condamnation. Quant au juge Anderson, il aurait accueilli l'appel de l'accusé et cassé la condamnation au motif que:
[34] The learned trial judge, in my opinion, fell into error in holding that panic or fear could not constitute a lawful excuse for leaving the scene of an accident. In so doing, the learned trial judge applied the wrong test. The issue to be determined was not whether the accused left the scene because he panicked, but whether when he left the scene he did so with the intention of escaping civil or criminal liability. The accused testified that it was not his intention to escape liability, either criminal or civil, and that he left the scene because, "I was just afraid that I was pretty positive the fellow was dead and I just didn't want to go there. I don't think I could have handled it if he was, to see his dead body lying."
[35] As the learned trial judge accepted this evidence, he was bound in law to reach the conclusion that the presumption contained in Section 233 subsection (3) had been rebutted and that the accused must be acquitted.
[17] Par ailleurs, la jurisprudence contient de multiples exemples où l'explication de l'accusé à l'effet qu'il avait quitté les lieux de l'accident parce qu'il avait eu peur ou parce qu'il avait paniqué a été retenue.
[18] Par exemple, dans une affaire de R. v. Vitzthum, [1988] B.C.J. no. 3112, (C.C.C.B.), le juge retient que:
8. The learned trial Judge found that with regard to the appellant's failure to stop his vehicle, there was evidence to the contrary. In this regard, he refers to the appellant's "panic" and "the general excitement of the situation" and concludes that stopping his vehicle might only have aggravated the already violent situation between himself and the complainant and the complainant's friend
[19] Dans cette affaire, l'accusé était confronté à une prostituée qui venait d'accepter son argent sans lui rendre les services escomptés, et de laquelle il avait bien l'intention de récupérer la somme d'argent avancée.
[20] Dans ses efforts pour récupérer ladite somme d'argent, l'accusé s'est retrouvé face à cette dame, qui est soudainement sortie de l'auto de son souteneur, cette fois armée d'un couteau avec une lame de 6 pouces, et face au souteneur lui-même, armé quant à lui d'un "2 x 4", dont il s'est d'ailleurs servi pour frapper violemment une des portes du véhicule de l'accusé.
[21] Pris de panique, l'accusé a omis de s'arrêter après qu'il eût accidentellement frappé le souteneur en voulant prendre la fuite. Accusé de délit de fuite, le juge d'appel a jugé que l'accusé avait de bonnes raisons d'avoir peur, et que sa responsabilité civile et criminelle était le moindre de ses soucis dans les circonstances. L'accusé a donc été acquitté.
[22] Pour un autre exemple, voir aussi R. v. Kleberc, [2007] Y.J. No.58 (YK. T.C.).
[23] Dans Poulin-Chénard, précité, la Cour d'appel écrit dans son jugement que la preuve présentée laissait, dans les circonstances, amplement place pour un doute raisonnable quant à l'intention spécifique de l'accusé:
6. Tel que mentionné précédemment, l'état de panique dont il est question ne se limite pas à une simple affirmation de l'intimée quant à un tel état. Au contraire, la défense était fondée à la fois sur la déclaration de l'intimée, qui n'a pas limité son explication à un état de panique, et sur une preuve scientifique, déclaration et preuve que le juge a retenues dans leur entièreté et qui ont soulevé, dans son esprit, un doute raisonnable quant à l'existence de l'intention spécifique. Ceci distingue le présent dossier des arrêts R. v. Emery, 61 C.C.C. (2d) 84 (B.C. C.A.) et R. v. Brautigam, 6 M.V.R. (2d) 135 (B.C. C.A.), cités par l'appelante.
[24] Dans l'affaire R. c. Breault, [1995] J.Q. no. 3137 (C.Q.), citée par la défense, l'accusé a soulevé dans l'esprit de la juge d'instance un doute raisonnable quant à son intention de quitter les lieux dans le but d'éviter "une poursuite criminelle ou civile", et l'accusé a été acquitté.
[25] Pour ce faire, l'accusé a témoigné sur son état d'esprit après l'accident, et a fait entendre des témoins qui ont "corroboré" ou ajouté à la version de l'accusé.
[26] Dans Breault, aucune preuve de nature médicale relative à l'état d'esprit de l'accusé n'a été présentée. Manifestement, une preuve de nature médicale de l'état mental de l'accusé est pertinente dans l'évaluation de l'intention qui animait l'accusé lorsqu'il a quitté les lieux de l'accident. Mais elle n'est pas essentielle.
[27] Dans une affaire de F.F.T, [2003], AZ-50176834 (C.Q.), le juge de première instance, face aux explications de l'accusée, conclut que l'état de l'accusée
[…] est celui d'une personne normale qui a vu un homme en train de mourir des suites d'un accident où elle a été impliquée et où elle n'avait rien à se reprocher. Elle ne circulait pas trop vite ni négligemment avant l'accident. Elle n'était pas intoxiquée au moment de l'écrasement de monsieur A.
[28] L'accusée a été trouvée coupable.
[29] Finalement, dans une affaire de Fournier, rapportée à [1979] J.Q. no 215 (C.A.Q.), les faits étaient les suivants:
[20] [L'accusé] réside à St-Antoine de Pontbriand, mais passe la soirée dans un hôtel de St-Jacques de Leeds, où, en compagnie d'un ami, il consomme, dit-il, de 7:30 p.m. environ jusque vers 3:00 a.m., cinq ou six petites bouteilles de bière. Au volant de sa voiture il quitte l'hôtel dans l'intention d'aller coucher chez son beau-frère, à St-Jacques. Arrivant à destination il freine, dévie à gauche dans l'intention de faire un virage à droite, dérape et heurte les voitures stationnées de Chabot et de Poulin. Il conduit sa voiture dans l'entrée de la cour de son beau-frère, en descend, examine les dégâts.
[21] Enervé, dit-il, il remonte dans son automobile, réfléchit et se dit qu'il n'éveillera pas son beau-frère à cette heure de la nuit, que le matin venu il avisera Chabot de l'accident; il ignore alors avoir heurté aussi la voiture de Poulin.
[22] Fournier se rend coucher chez lui, et vers 11:00 a.m. se rend chez son beau-frère, constate qu'íl a endommagé deux voitures, et s'identifie aux deux victimes.
[30] La Cour d'appel accueille l'appel de l'accusé, et l'acquitte, et ce dans les termes suivants:
A l'étude de l'ensemble de la preuve, vu la crédibilité que le premier juge ne refusa pas à Fournier [le juge de première instance avait cru l'accusé], considérant que l'appelant connaissait les victimes de l'accident dont il fut l'auteur et se rendit les visiter, les explications vraisemblables et raisonnablement croyables fournies par l'accusé de son départ des lieux sans s'identifier, l'heure tardive de la nuit et les autres circonstances que révèle le dossier, je ne puis dissiper un doute que j'estime raisonnable que l'accusé n'ait pas eu l'intention, en quittant les lieux, de se soustraire à sa responsabilité civile ou criminelle.
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