samedi 31 octobre 2009

Éléments constitutifs de l'infraction de commissions secrètes

R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170

Lien vers la décision

L'actus reus de l'infraction prévue au sous‑al. 426(1)a)(ii) comporte donc trois éléments qui devront être établis en cas d'accusation contre un agent‑acceptant relativement à l'acceptation d'une commission:

(1) l'existence d'un mandat;

(2) l'acceptation par l'agent d'un bénéfice à titre de contrepartie pour faire ou s'abstenir de faire un acte relatif aux affaires de son commettant;

(3) l'omission de la part de l'agent de divulguer d'une façon appropriée et en temps opportun la source, le montant et la nature du bénéfice.

La mens rea requise doit être établie pour chacun des éléments de l'actus reus. Conformément au sous‑al. 426(1)a)(ii), l'agent‑acceptant accusé doit:

(1) être au courant de l'existence du mandat;

(2) avoir accepté sciemment le bénéfice à titre de contrepartie pour un acte à être fait relativement aux affaires du commettant;

(3) être au courant de l'étendue de la divulgation au commettant ou de l'absence de divulgation.

Si l'accusé savait qu'il y a eu divulgation, il reviendra alors à la cour de déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, elle a été faite de façon appropriée et en temps opportun.

Dans le contexte des commissions secrètes, l'expression "par corruption" signifie qu'elles ont été versées secrètement ou qu'elles n'ont pas été divulguées comme il se doit. L'existence d'une "affaire entachée de corruption" n'est pas nécessaire. En conséquence, l'acceptant d'une récompense ou d'un bénéfice peut être déclaré coupable malgré l'innocence du donneur. Pour l'application de l'article, le ministère public aura établi la non‑divulgation s'il démontre que l'agent n'a pas divulgué au commettant d'une façon appropriée et en temps opportun la source, le montant et la nature du bénéfice.

vendredi 30 octobre 2009

Comment traiter le délai entre le moment où le policier a des soupçons et celui où l'ordre est donné en vertu du paragraphe 254(2)

Houle c. R., 2007 QCCA 215 (CanLII)

[7] D'une part, la question du délai s'évalue à compter du moment où le policier a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduit un véhicule automobile. En l'espèce, c'est un accident impliquant le véhicule de la requérante avec un véhicule stationnaire qui a occasionné la présence des policiers sur les lieux. Ceux-ci enquêtaient relativement à un accident et dans le cadre de cette enquête ont demandé à avoir un test de dépistage vu leurs soupçons que la requérante avait consommé de l'alcool. La sommation des policiers à la requérante a été donnée une fois qu'ils ont reçu l'appareil. Dans ces circonstances, le délai de 15 minutes pour obtenir l'appareil de dépistage ne contrevient pas à l'exigence de fournir « immédiatement » l'échantillon d'haleine requis en vertu de la disposition : R. c. Bernshaw, 1995 CanLII 150 (C.S.C.), [1995] 1 R.C.S. 254; R. c. Woods 2005 SCC 42 (CanLII), (2005), 197 C.C.C. (3d) 353.

[8] Enfin, notre Cour s'est déjà prononcée dans l'arrêt R. c. Petit, 2005 QCCA 687 (CanLII), [2005] R.J.Q. 2463, permission refusée en Cour suprême quant au fait que le début de la détention doit s'évaluer en regard des circonstances et dans cette affaire, celle-ci étant d'au plus quatre minutes, l'ordre était conforme à la loi.

[9] Par ailleurs, le fait que l'ordre ait été donné au moment de la réception de l'appareil et non au moment où les policiers font la demande pour obtenir l'appareil n'a aucune incidence en l'espèce sur le droit de consulter un avocat puisque la requérante avait eu l'occasion de parler à un avocat qui se trouvait sur les lieux au moment de l'arrivée des policiers. De plus, la négation du droit à l'avocat ne constitue pas une excuse raisonnable de refuser de passer le test, mais sert plutôt à étayer une demande d'exclusion de preuve des résultats du test.

[13] Or l'infraction de refus de se soumettre à un test de dépistage est perpétrée lorsque la personne a reçu une sommation valide d'un policier à laquelle elle ne se conforme pas : R. c. Leblond, 1997 CanLII 10313 (QC C.A.), [1997] R.J.Q. 378 (C.A.).

Critères énoncés par la jurisprudence au sujet du châtiment corporel d'un enfant

R. c. R.D., 2005 QCCA 1167 (CanLII)

24 Premièrement, la personne qui emploie la force doit le faire pour éduquer ou corriger : Ogg-Moss, précité, p. 193. Par conséquent, l'art. 43 ne peut pas excuser les accès de violence à l'égard d'un enfant qui sont dus à la colère ou à la frustration. Il n'admet dans sa zone d'immunité que l'emploi réfléchi d'une force modérée répondant au comportement réel de l'enfant et visant à contrôler ce comportement ou à y mettre fin ou encore à exprimer une certaine désapprobation symbolique à cet égard. L'emploi de la force doit toujours avoir pour objet d'éduquer ou de discipliner l'enfant : Ogg-Moss, précité, p. 193.

[68] La Cour suprême nous indique que c’est le consensus social au moment de la perpétration des gestes considérés qui doit tenir lieu de guide pour déterminer le caractère raisonnable de la force employée :

36 Le consensus social et la preuve d'expert concernant ce qui constitue une correction raisonnable aident aussi à déterminer ce qui est « raisonnable dans les circonstances » en matière de correction infligée à un enfant. Le droit criminel utilise souvent la notion du caractère raisonnable pour tenir compte de l'évolution des mœurs et éviter d'effectuer des « rajustements » au moyen de modifications successives. Cette technique implique qu'il est possible de tenir compte du consensus social de l'heure quant à ce qui est raisonnable. Les gardiens ou les juges ont tort d'appliquer leurs propres notions subjectives de ce qui est raisonnable; l'art. 43 commande une appréciation objective fondée sur l'état des connaissances et le consensus de l'heure. Un large consensus, surtout s'il est étayé par une preuve d'expert, peut fournir des indications et réduire les risques de décision subjective et arbitraire.

[69] La Cour ajoute que la jurisprudence de l’époque n’est pas toujours représentative du consensus social, certains juges appliquant une norme subjective sans tenir compte du caractère évolutif de la notion de force raisonnable.

39 […] Il faut reconnaître, au départ, que la jurisprudence relative à l'art. 43 manque parfois de clarté et de cohérence et transmet un message confus quant à ce qui est permis et à ce qui ne l'est pas. Dans une bonne partie de la jurisprudence analysée par la juge Arbour, les juges n'ont pas reconnu la nature évolutive de la norme du caractère raisonnable et ont indûment appliqué des notions dépassées de la correction raisonnable.

[70] Nous notons cependant que la définition du châtiment corporel acceptable retenue par la Cour suprême est en grande partie fondée sur l’arrêt Ogg-Moss, qu’elle a rendu en 1984 :

51 L'article 43 autorise l'emploi de la force "pour corriger". Comme l'a fait remarquer Blackstone, la loi approuve de tels procédés dans le cas d'un enfant parce que cela est "pour le bien de l'éducation de l'enfant". En d'autres termes, l'art. 43 est une justification. Il a pour effet d'innocenter le père ou la mère, un instituteur ou une personne qui remplace le père ou la mère et qui a recours à la force pour corriger un enfant, la raison à cela étant qu'une telle action est considérée non comme mauvaise, mais comme légitime. Par conséquent, le recours à la force ne sera pas justifié, à moins que ce ne soit "pour corriger", c'est-à-dire qu'il ne s'inscrive dans le cadre de l'éducation de l'enfant.

[71] En fait, une jurisprudence constante faisant état de la nécessité d’un objectif de correction et d’éducation peut-être retracée à partir de la décision Brisson c. Lafontaine, rendue par la Cour supérieure de Montréal en 1864. Le juge Loranger s’y exprime ainsi :

La Cour, etc., considérant que sans refuser aux instituteurs un droit de correction modérée contre les élèves indociles ou récalcitrants, droit qui ne peut s’exercer que dans les cas nécessités par le maintien de la discipline des écoles, l’intérêt de l’instruction et à un degré proportionné aux offenses commises, il n’en est pas moins vrai que tout châtiment excédant cette limite, et motivé par l’arbitraire, le caprice, la colère ou la mauvaise humeur, constitue un délit punissable comme les délits ordinaires, et que dans les cas proposés aux tribunaux où l’on prétend que la correction présente ce caractère, ils doivent former leur appréciation sur la nature de l’infraction, l’âge de l’élève en faute, le plus ou moins de gravité du châtiment, et les circonstances sous lesquelles il a été infligé.

[72] Quelques mois après que l’arrêt Ogg-Moss eut été rendu, la Cour d’appel de Saskatchewan rendait, le 15 novembre 1984, dans l’affaire R. c. Dupperon, une décision énonçant les critères dont il fallait tenir compte pour déterminer le caractère raisonnable de la force employée pour punir un enfant :

In determining that question the court will consider, both from an objective and subjective standpoint, such matters as the nature of the offence calling for correction, the age and character of the child and the likely effect of the punishment on this particular child, the degree of gravity of the punishment, the circumstances under which it was inflicted, and the injuries, if any, suffered. If the child suffers injuries which may endanger life, limbs or health or is disfigured that alone would be sufficient to find that the punishment administered was unreasonable under the circumstances.

[73] De plus, certains gestes sont actuellement considérés a priori comme étant préjudiciables pour les enfants par la Cour suprême :

37 Compte tenu de la preuve dont dispose actuellement la Cour, il existe d'importants terrains d'entente chez les experts des deux parties (décision de première instance, par. 17). Le châtiment corporel infligé à un enfant de moins de deux ans lui est préjudiciable et n'est d'aucune utilité pour corriger vu les limites cognitives d'un enfant de cet âge. Le châtiment corporel infligé à un adolescent est préjudiciable en ce sens qu'il risque de déclencher un comportement agressif ou antisocial. Le châtiment corporel infligé à l'aide d'un objet, comme une règle ou une ceinture, est préjudiciable physiquement et émotivement. Le châtiment corporel consistant en des gifles ou des coups portés à la tête est préjudiciable. Ces formes de châtiment, pouvons-nous conclure, ne sont pas raisonnables.

[74] Le châtiment corporel a toujours été et reste une prérogative des parents. Cependant, il est inacceptable lorsque administré arbitrairement, motivé par la colère et lorsqu’il ne peut servir à éduquer l’enfant.

mardi 27 octobre 2009

Conditions adéquates à la protection, la garde et la chaîne de possession de la pièce

Le procureur de la Couronne devrait s'assurer que le juge impose, en vertu du paragraphe 605(1), des conditions adéquates à la protection, la garde et la chaîne de possession de la pièce. Par conséquent, le procureur de la Couronne doit tenter d'obtenir une ordonnance assortie des modalités suivantes :

1) le nom de la personne qui aura la garde de la pièce;
2) les moyens utilisés pour assurer l'intégrité de la pièce;
3) la date et le lieu de l'analyse ou le délai de notification à être donné au procureur de la Couronne concernant les date et lieu;
4) les noms des personnes qui ont le droit d'être présentes lors de l'analyse, y compris la personne désignée par la Couronne.

Ce texte est tiré:
Le Guide du Service fédéral des poursuites
http://www.ppsc-sppc.gc.ca/fra/sfp-fps/fpd/ch38.html

Les contradictions et/ou lacunes dans la chaîne de possession peuvent être exploitées

R. c. Woolley, 2004 CanLII 46954 (QC C.S.)

[21] Je considère que la communication des quatre documents à la défense par la Couronne remplissait l'obligation de cette dernière. La Couronne communique la preuve telle qu'elle existe. Par souci de transparence, la Couronne devait communiquer les quatre documents. Si la documentation fait état d'une chaîne de possession qui a été bâclée ou mal cataloguée, la défense pourra s'en servir pour attaquer la force probante des tests

[22] Les contradictions et/ou lacunes dans la chaîne de possession (...) peuvent être exploitées par le requérant.

La Couronne n'est pas obligée en droit de prouver la chaîne de possession d'une pièce

R. c. Piché, 2004 CanLII 4697 (QC C.S.)

Je suis d'accord avec le juge de première instance lorsqu'il affirme que la Couronne n'est pas obligée en droit de prouver la chaîne de possession d'une pièce. La force ou la faiblesse de la preuve de la chaîne de possession n'empêchera pas l'admission en preuve d'une pièce mais peut affecter la force probante que le juge des faits y accordera

dimanche 25 octobre 2009

La notion de l'apparence de droit dans le cadre de l'infraction de vol

R. c. Investissements contempra ltée, 1991 CanLII 3199 (QC C.A.)

D'une part, l'actus reus du vol consiste dans la prise ou le détournement, acte qui doit être posé à la fois frauduleusement et sans apparence de droit. La mens rea du vol, d'autre part, se distingue par la volonté de poser l'acte constituant l'actus reus, mais en plus par l'intention spécifique ou additionnelle décrite à l'un des sous-paragraphes a), b), c) ou d) de cet article 322.

La notion de l'apparence de droit ne s'appuie pas sur la prémisse que le droit, dont on veut se prévaloir, a été démontré mais plutôt sur la croyance honnête en un droit, fut-elle mal fondée en droit.

La notion d'apparence de droit se présente sous deux volets, soit (1) la croyance honnête en un état de faits qui, s'il eût existé, aurait en droit justifié ou excusé l'acte reproché et (2) une croyance honnête mais erronée en un droit légal (et non moral (1)). Le professeur Stuart (2), dans son traité, exprime son accord avec cette nuance faite par le Juge Martin dans l'arrêt Demarco (3) (arrêt qui incidemment fait maintenant jurisprudence sur la question):

One who is honestly asserting what he believes to be an honest claim cannot be said to act "without colour of right" even though it may be unfounded in law or in fact. ... The term "colour of right" is also used to denote an honest belief in a state of facts which, if it actually existed would at law justify or excuse the act done. ... The term when used in the latter sense is merely a particular application of the doctrine of mistake of fact.

L'apparence de droit peut donc découler d'une erreur de fait ou d'une erreur de droit et là-dessus, le premier juge a bien fait ressortir cette distinction. Toutefois, et je reviens sur ce que j'ai amorcé antérieurement, il s'agira d'une croyance en un droit sincère et honnête, et peu importe donc que ce droit soit fondé ou non, il suffira que le droit invoqué ait une vraisemblance, une apparence, soit un "honest claim". Ce serait assez paradoxal d'exiger, quant à l'"apparence" de droit, la "reconnaissance" de ce droit.

samedi 24 octobre 2009

Revue de la jurisprudence sur l'infraction de menace

Henry c. R., 2007 QCCS 6613 (CanLII)

[20] L'article 264.1(1)a) a fait l'objet de plusieurs analyses par les tribunaux, notamment dans R. c. McGraw [1991] 3 R.C.S. 72 , la Cour suprême, parlant de la véritable nature de l'infraction, réitère ce qu'elle avait déjà dit dans R. c. Leblanc [1989] 1 R.C.S. 1583 :

«…Dans cet arrêt, la Cour a approuvé la décision du juge du procès selon laquelle la question de savoir si la personne qui menace a l'intention d'exécuter la menace n'est pas pertinente pour déterminer si une déclaration de culpabilité peut être maintenue. C'est l'élément de crainte insufflé à la victime par la personne qui protège la menace qui est visé par la sanction criminelle. L'article 264.1 prévoit que la menace doit avoir été proférée et transmise sciemment par l'accusé. Le ministère public est donc tenu d'établir que l'accusé avait l'intention de menacer l'accusé de blessures graves. Toutefois, pour déterminer si une telle intention suggestive est présente, il faudra souvent se fonder dans une large mesure sur un examen des mots employés par l'accusé. La prochaine étape est l'examen des mots contestés.

[…] Alors, de quelle façon un tribunal devrait-il aborder cette question ? La structure et le libellé de l'alinéa 264.1(1)a) indique que la nature de la menace doit être examinée de façon objective; c'est-à-dire, comme le ferait une personne raisonnable et ordinaire. Les termes qui constitueraient une menace doivent être examinés en fonction plusieurs facteurs. Ils doivent être examinés de façon objective et dans le contexte de l'ensemble du texte ou de la conversation dans lequel ils s'inscrivent. De même, il faut tenir compte de la situation dans laquelle se trouve le destinataire de la menace. La question à trancher peut être énoncée de la manière suivante. Considéré de façon objective, dans le contexte de tous les mots écrits ou énoncés et compte tenu de la personne à qui ils s'adressent, les termes visés constituent-ils une menace de blessure grave pour une personne raisonnable ?

[…]

Aux fins de l'al. 264.1(1)a) du Code criminel, l'expression blessure grave signifie toute blessure ou lésion, physique ou psychologique, qui nuit d'une manière importante à l'intégrité, à la santé ou au bien-être d'une victime. Pour déterminer si des termes écrits ou prononcés constituent une menace de causer des blessures graves, ils doivent être examinés dans le contexte où ils ont été prononcés ou écrits compte tenu de la personne à qui ils s'adressaient et des circonstances dans lesquelles ils ont été proférés. Ils doivent être examinés d'une manière objective et la signification attribuée aux termes devrait être celle que leur donnerait une personne raisonnable.

[21] Dans R. c. Clemente [1994] 2 R.C.S. 758 , la Cour suprême réitère l'actus reus et la mens rea de l'infraction tout en faisant référence à l'arrêt McGraw qu'elle avait déjà rendu :

« Sous le régime de la présente disposition, l'actus reus de l'infraction est le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves. La mens rea est l'intention de faire en sorte que les paroles prononcées ou les mots écrits soient perçus comme une menace de causer la mort ou des blessures graves, c'est-à-dire comme visant à intimider ou à être pris au sérieux.

Pour décider si une personne raisonnable aurait considéré les paroles prononcées comme une menace, le Tribunal doit les examiner objectivement, en tenant compte des circonstances dans lesquelles elles s'inscrivent, de la manière dont elles ont été prononcées et de la personne à qui elles étaient destinées.

De tout évidence, des paroles prononcées à la blague ou de manière telle qu'elles ne pouvaient être prises au sérieux ne pourraient mener une personne raisonnable à conclure qu'elles constituaient une menace. » (nos soulignements)

[22] La Cour d'appel, dans l'affaire Andrew Rudnicki, [2004] J.Q. no 11631, reprend les préceptes émis par la Cour suprême et dit ceci des éléments constitutifs de l'art. 264.1(1)a) :

37 De plus, le récipiendaire de la menace n'a pas à être la victime potentielle. En effet, la menace peut viser une autre personne, un animal ou même un bien (art. 264.1 C.cr.); cela dispose du deuxième moyen. Lorsqu'il s'agit d'une autre personne, cette dernière n'a pas à être au courant de la menace (R. c. Clemente, précité; R. c. Bonneville, [1996] A.Q. no 2735 (C.A.) (QL).

39 Au niveau de l'actus reus, il faut cependant que le message transmis constitue objectivement une menace; en d'autres mots, qu'il constitue pour une personne raisonnable qui le recevrait, un message menaçant ou à prendre au sérieux. Il appartient au juge des faits de déterminer si le message constitue une menace de causer la mort ou une blessure pour une personne raisonnable (R. c. Kafé, (1996) 45 C.R. (4th) 390 (C.A.).

40 Pour décider si une personne raisonnable aurait considéré les paroles prononcées comme une menace, le tribunal doit les examiner objectivement, en tenant compte des circonstances dans lesquelles elles s'inscrivent, de la manière dont elles ont été prononcées et de la personne à qui elles étaient destinées. Le passage suivant de l'arrêt R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72 , aux p. 82-83, repris dans l'arrêt R. c. Clemente, précité, est indicatif de la manière dont le tribunal devrait aborder les accusations de menace :

Alors, de quelle façon un tribunal devrait-il aborder cette question? La structure et le libellé de l'al. 264.1(1)a) indiquent que la nature de la menace doit être examinée de façon objective; c'est-à-dire, comme le ferait une personne raisonnable ordinaire. Les termes qui constitueraient une menace doivent être examinés en fonction de divers facteurs. Ils doivent être examinés de façon objective et dans le contexte de l'ensemble du texte ou de la conversation dans lesquels ils s'inscrivent. De même, il faut tenir compte de la situation dans laquelle se trouve le destinataire de la menace.

41 La mens rea de l'infraction est l'intention de faire en sorte que les paroles prononcées ou les mots écrits soient perçus comme une menace de causer la mort ou des blessures, c'est-à-dire comme visant à intimider ou à être pris au sérieux (R. c. Clemente, précité). Le fait que l'accusé n'ait pas eu l'intention de mettre à exécution la menace n'est pas un élément essentiel; seule compte l'intention que la menace soit prise au sérieux (R. c. Leblanc, [1989] 1 R.C.S. 1583).

76 Il n'est pas non plus nécessaire de prouver une intention de transmettre les menaces aux victimes visées dans le message ou une connaissance des menaces de la part des victimes

Le devoir d'assistance du juge envers un accusé qui se représente lui‑même dans un procès devant jury comporte des limites

Imbeault c. R., 2006 QCCA 1559 (CanLII)

[45] Le devoir d'assistance du juge envers un accusé qui se représente lui‑même dans un procès devant jury comporte des limites. Sa tâche est particulièrement délicate, dans la mesure où un juste équilibre doit être préservé. Dans l'arrêt R. c. Guénette, J.E. 2002‑420 le juge Chamberland écrit, au nom de la Cour :

[20] La situation des justiciables qui se présentent seuls à leur procès, sans l'assistance d'un avocat, est toujours délicate et ce, peu importe le stade du processus judiciaire. Au stade du procès, le juge a le devoir de s'assurer que l'accusé ne soit pas privé de son droit à un procès juste et équitable en raison de son ignorance des règles de la procédure criminelle. Il expliquera donc sommairement à l'accusé le déroulement de la procédure pour que ce dernier puisse faire des choix éclairés en temps utile; il prêtera aussi à cet accusé une aide raisonnable pour qu'il puisse faire valoir toute défense qu'il peut avoir, tout en évitant d'agir comme son avocat, au risque de perdre l'impartialité essentielle à l'exercice de ses fonctions. (Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Traité général de preuve et des procédures pénales, 8e éd., Éditions Thémis, 2001, par. 389; voir également R. c. McGibbon, 1988 CanLII 149 (ON C.A.), (1988) 45 C.C.C. (3d) 334, à la page 347 (C.A. Ontario); Verdun (Ville de) c. Sureau, C.A. Montréal 500‑10‑001660‑990, le 16 janvier 2001, les juges Proulx, Fish et Chamberland)).

[21] Ce devoir a toutefois ses limites, le juge ne pouvant jouer à la fois le rôle de l'avocat et celui de l'arbitre impartial du débat qui se déroule devant lui. L'accusé qui se présente seul à la cour ne jouit cependant pas de privilèges particuliers (R. c. Fabrikant, 1995 CanLII 5384 (QC C.A.), (1995) 97 C.C.C. (3d) 544, à la page 574 (C.A. Québec)). Le juge n'est pas tenu de conseiller l'accusé à toutes les étapes du procès, comme un avocat l'aurait fait (R. c. Taubler, reflex, (1987) 20 O.A.C. 64, à la page 71 (C.A. Ontario) et R. c. Rain, 1998 ABCA 315 (CanLII), (1998) 130 C.C.C. (3d) 167 (C.A. Alberta)). Le juge ne peut pas prendre de décisions stratégiques en faveur, et à la place, de l'accusé; par exemple, la décision de poursuivre un contre-interrogatoire ou celle de témoigner (Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Traité général de preuve et des procédures pénales, précité, par. 1126).

[22] Tout est donc question de mesure, d'équilibre. Il faut reconnaître au juge du procès une bonne mesure de discrétion en cette matière. Chaque cas doit être étudié à la lumière des circonstances qui lui sont propres afin de déterminer s'il y a eu atteinte au droit de l'accusé à un procès juste et équitable (R. c. Hardy, 1991 CanLII 2720 (AB C.A.), (1991) 69 C.C.C. (3d) 190 (C.A. Alberta)).

[46] La Cour d'appel de l'Ontario a reconnu, dans R. v. McGibbon 1988 CanLII 149 (ON C.A.), (1989), 45 C.C.C. (3d) 334, 347, qu'en cette matière le juge jouit d'une discrétion :

Consistent with the duty to ensure that the accused has a fair trial, the trial judge is required within reason to provide assistance to the unrepresented accused, to aid him in the proper conduct of his defence, and to guide him throughout the trial in such a way that his defence is brought out with its full force and effect. How far the trial judge should go in assisting the accused in such matters as the examination and cross‑examination of witnesses must of necessity be a matter of discretion.

[47] Les commentaires du juge Borins de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. Tran 2001 CanLII 5555 (ON C.A.), (2001), 156 C.C.C. (3d) 1, 3, sont au même effet :

The amount of assistance to be provided to an unrepresented accused is a matter of discretion and will be dictated by the circumstances.

La partie qui contre-interroge un témoin sur un fait collatéral est liée par la réponse et ne peut tenter de le contredire par une autre preuve

L.D. c. R., 2009 QCCA 320 (CanLII)

[7] Ce principe a été rappelé à plusieurs reprises par la doctrine et la jurisprudence; ainsi dans l'arrêt R. c. Aalders le juge Sopinka cite le passage suivant de l'ouvrage McCormick on Evidence :

Tous les moyens qui peuvent être utilisés en contre-interrogatoire pour contester la déposition du témoin ont pour but, notamment, de vérifier sa crédibilité. L'utilisation plus restreinte d'une preuve extrinsèque visant à contredire un témoin est commandée par le risque de confondre les questions, d'induire le jury en erreur, de perdre déraisonnablement du temps et de causer un préjudice injuste par l'introduction de questions dites incidentes. Si une question est considérée incidente, la déposition du témoin donnée au cours de l'interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire tient, et le contre-interrogateur doit s'en tenir à la réponse du témoin; la preuve extrinsèque, c'est-à-dire la preuve qui n'est pas déposée par le témoin lui-même, et qui vise à la contredire, est interdite. […]

[8] La Cour a rappelé ce principe à plusieurs reprises, notamment dans les arrêts R. c. Fortin, R. c. Châtelain, Aprile c. R.

[9] Cette règle comporte toutefois certaines exceptions, notamment lorsque la crédibilité d'un témoin constitue un élément essentiel à la détermination de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé, ainsi que l'a énoncé la Cour suprême dans l'arrêt R. c. R (D).

[13] Le juge de première instance a fait droit à l'objection de la poursuite; il prend appui sur l'arrêt R. c. Krause et sur les enseignements des auteurs Béliveau et Vauclair :

[14] Dans l'arrêt Krause, le juge McIntyre cite avec approbation les propos de la Cour d'appel dans cette affaire :

[…] Toutefois, dans la mesure où les déclarations et la conduite antérieures d'un témoin peuvent influer sur sa crédibilité dans l'affaire dont est saisi le tribunal, il peut être interrogé sur celles-ci, mais ses réponses ne peuvent être démenties parce que, si l'on permettait cela, il en résulterait une confusion des questions en litige, de la surprise et un préjudice injuste.

[15] Les auteurs Béliveau et Vauclair écrivent :

Le champ de sujets pouvant être couvert par le contre-interrogatoire est nécessairement plus vaste que ce que permet l'interrogatoire en chef des témoins. Les questions sur des faits collatéraux sont également permises en contre-interrogatoire, mais il est important de souligner le risque que court la partie qui les pose. D'une part, la partie adverse peut présenter une preuve que le témoin a la réputation de dire la vérité. D'autre part, la partie qui pose une question sur un fait collatéral est liée par la réponse du témoin; […].

jeudi 22 octobre 2009

Détermination de la peine - arrêts et décisions impliquant des mineures qui ont été agressées sexuellement et séquestrées

R. c. Fradette , 2007 QCCQ 7619 (CanLII)

Cour d'appel

R. c. Bélanger, J.E. 92-1679 (C.A.) L'accusé est condamné à une peine de 22 ans d'emprisonnement relativement à deux dossiers. Dans le premier dossier, l'agression sexuelle sur une adolescente a été précédée d'une séquestration accompagnée de blessures et suivie d'un vol qualifié. Dans le second dossier, l'accusé s'est introduit par effraction, la nuit chez une inconnue pour la séquestrer, la menacer et l'agresser sexuellement. Les séquelles ont été très importantes pour les victimes. La Cour d'appel a accueilli le pourvoi et porté la peine de 14 à 22 ans par l'imposition de peines consécutives.

Gues c. P.G. du Québec, J.E. 82-211 (C.A.) Le juge Bisson précise les critères pouvant justifier l'imposition de peines sévères en matière de viol ou d'agression sexuelle.

Cour supérieure

R. c. Prévost, J.E. 2006-822 (C.S.) L'accusé est reconnu coupable d'agressions sexuelles multiples sur la personne d'une adolescente de 15 ans à l'occasion d'une séquestration de 7 jours. Il est condamné à une peine d'emprisonnement de 12 ans et est déclaré délinquant à contrôler pour une durée de 10 ans.

Cour du Québec

R. c. Guay, 2007 QCCQ 6242 (CanLII), 2007 QCCQ 6242, L’accusé, un policier, a plaidé coupable à plusieurs chefs d’agressions sexuelles, de voies de fait alors qu’il portait une arme et de menaces de mort. Les conséquences sur les jeunes victimes, âgées entre 15 et 20 ans, ont été néfastes. L’accusé est condamné à 8 ans de pénitencier moins la période de détention préventive. Il a aussi été déclaré délinquant à contrôler pendant 10 ans.

R. c. Croteau, J.E. 2006-1376 (C.Q.) Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2006-07-13), 500-10-003515-069, Un homme s'étant reconnu coupable sous des accusations d'agressions sexuelles armées et de séquestration à l'endroit de trois victimes âgées de 10 et 16 ans est condamné à 18 ans de pénitencier.

R. c. Dégarie, [2006] J.Q. no 1502 (C.Q.) L'accusé s'est introduit par effraction chez la victime, l'a violemment frappée au visage et l'a violée. Les séquelles de la victime sont nombreuses et sérieuses, autant sur le plan physique que psychologique. L'accusé a été condamné à 12 ans d'emprisonnement pour l'agression sexuelle, compte tenu de la détention préventive d'un an, et à un an pour le vol, concurremment. Il a aussi été déclaré délinquant à contrôler pour 10 ans.

R. c. Belnavis, J.E. 2006-823 (C.Q.) L'accusé a reconnu sa culpabilité sous cinq chefs d'agression sexuelle armée à l'endroit d'autant de victimes. Celles-ci ont toutes été agressées la nuit après avoir été abordées de manière violente par l'accusé qui se prétendait armé d'un couteau. Il a été condamné à une peine de pénitencier de 9 ans et ½ et déclaré délinquant à contrôler pendant une période de 10 ans.

R. c. Cox, J.E. 2006-227 (C.Q.) L'accusé s'est reconnu coupable de 8 agressions sexuelles, généralement accompagnées de vol qualifié. Les 8 victimes avaient entre 14 et 25 ans. L'accusé attaquait ses victimes par derrière, les menaçait d'un couteau sous la gorge, les agressait sexuellement puis les volait. L'accusé est condamné à une peine d'emprisonnement de 21 ans, à laquelle il est soustrait 3 années de détention provisoire. Compte tenu de la déclaration de délinquant à contrôler prononcée à son égard (R. c. Cox, [2005] J.Q. no 12429 (C.Q.)), sa période de surveillance dans la collectivité sera de 10 ans.

R. c. Beaulieu, [2005] J.Q. no 12524 (C.Q.) Appel rejeté: [2007] J.Q. no 2116 (C.A.) L'accusé a été reconnu coupable, pour la sixième fois d'agression sexuelle, à l'endroit de deux fillettes. Il avait bien planifié ses délits. La Cour d'appel maintien la peine d'emprisonnement de 5 ans ainsi que sa déclaration de délinquant à contrôler durant 5 ans.

R. c. Henley, [2004] J.Q. no 4928 (C.Q.) L'accusé a plaidé coupable à quatre chefs d'agression sexuelle, à un chef de séquestration, à un chef de voies de fait et à quatre chefs d'avoir sciemment proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles. Tous ces crimes ont été commis à l'égard de victimes âgées de moins de 14 ans. Le Tribunal lui impose donc une peine d'emprisonnement de 8 ans à laquelle il est soustrait la période de détention préventive. Le Tribunal déclare l'accusé délinquant à contrôler et ordonne qu'il soit soumis pour une période minimale de 10 ans à une surveillance au sein de la collectivité.

R. c. Painchaud, J.E. 2000-1209 (C.Q.) Décision du juge Denis Bouchard qui comprend une bonne revue jurisprudentielle relative aux peines en matière d'agressions sexuelles graves. Dans cette affaire, l'accusé a plaidé coupable aux accusations d'agression sexuelle grave, de séquestration et de voies de fait graves. Il a été condamné à des peines concurrentes et totales de 14 ans de détention.

Détermination de la peine pour omisssion de se conformer à une condition d’une ordonnance de surveillance de longue durée (753.3(1) du Code criminel)

R. c. Myrthil, 2008 QCCQ 9174 (CanLII)

[22] La gravité objective de l’infraction de défaut de se conformer à une condition d’une ordonnance de surveillance de longue durée se distingue nettement de l’infraction de bris de probation. La première est un acte criminel pour lequel le contrevenant est passible d’un emprisonnement de 10 ans (art. 753.3(1) C.cr.). La seconde est une infraction mixte et l’acte criminel est passible d’un emprisonnement de 2 ans (art. 733.1(1) C.cr.).

[23] L’article 743.1(3.1) C.cr. prévoit de plus que le délinquant soumis à une ordonnance de surveillance qui est condamné pour une autre infraction pendant la période de surveillance doit purger sa peine dans un pénitencier.

[24] Dans R. v. H.P.W. (2003) A.J. No. 479, le délinquant à contrôler avait brisé une de ses conditions de surveillance en consommant de l’alcool. Suite à son plaidoyer de culpabilité, le juge avait imposé une peine de 4 mois de détention rappelant que les conditions d’interdiction de consommer de l’alcool étaient généralement des conditions d’importance secondaire dans les ordonnances et que les peines imposées pour ce type d’infraction étaient de courte durée.

[25] Dans son jugement, la Cour d’appel de l’Alberta traite de la différence fondamentale entre l’objectif d’une probation et celui d’une ordonnance de surveillance de longue durée. La Cour conclut que dans ce dernier cas, l’objectif premier de l’ordonnance est la gestion d’un risque et la protection de la société plutôt que la réhabilitation.

[26] Au nom de la Cour, l’Honorable Ritter écrit :

"Protection of society has to be the paramount consideration when such offenders are being supervised in the community. This will partially be achieved by close supervision but, given the recidivism and dangerous history of the offender, there is obvious need to supplement supervision with the reality of severe punishment upon breach of a condition. " (par.35)

[27] Pour déterminer la gravité de l’infraction, la Cour d’appel examine l’importance de la condition de l’ordonnance par rapport à la nature de la délinquance. Ainsi dans cette affaire, le profil du délinquant indiquait que les agressions sexuelles avaient été commises alors qu’il avait consommé de l’alcool. La Cour conclut que la condition interdisant la consommation d’alcool était une condition essentielle à la gestion du risque que pouvait représenter l’accusé pour la communauté et qu’une peine de près de 2 ans aurait été appropriée n’eut été de la présence de certaines circonstances atténuantes. La peine imposée a été de 1 an.

[28] Dans R. v. S.J.D. 2004 BCCA 78 (CanLII), (2004) BCCA 78, (parfois citée sous le nom de R v. Deacon), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé la justesse d’une peine globale de 45 mois.

[29] Dans cette affaire, l’accusé était un délinquant sexuel qui était encore considéré comme un délinquant sexuel non traité et présentant un risque élevé de récidive à la fin de sa peine. La Commission lui avait imposé une interdiction de communiquer avec des personnes de moins de 16 ans. Il s’avère que le délinquant, dans le passé, avait trouvé ses victimes après avoir développé une relation avec un adulte de leur entourage.

[30] Trois semaines après sa remise en liberté, il a lié connaissance avec un couple qui avait un petit-fils de 10 ans. Il les a invités chez lui, a demandé à l’enfant son adresse courriel puis lui a offert un cadeau. Il a communiqué à nouveau avec le couple le lendemain. Ils ont porté plainte. Il a plaidé coupable à l’accusation d’avoir fait défaut de respecter une condition de son ordonnance de surveillance de longue durée.

[31] En première instance, après 14 mois de détention provisoire, (que la Cour d’appel calcule comme 21 mois sans expliquer pourquoi), le juge a imposé une peine de 2 ans rappelant que la protection de la société était le critère à privilégier en cette matière, que les circonstances de l’infraction faisait douter de la possibilité de pouvoir gérer dans la communauté le risque que posait le délinquant et qu’une peine de 2 ans pouvait permettre de réduire le risque de récidive puisque pendant cette période l’accusé pourrait suivre une thérapie destinée aux délinquants sexuels.

[32] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé qu’à l’étape de la détermination de la peine pour une infraction à l’article 753.3 C.cr. la protection de la société était le critère le plus important. La Cour dit ceci :

"the gravity of an offence under s. 753.3 must be measured with reference not only to the conduct that gave rise to the offence, but also with regard to what it portends in light of the offender’s entire history of criminal conduct. To consider only the moral turpitude associated with the sort of innocuous conduct that s. 753.3 renders criminal (e.g. engaging a child in conversation) is not a useful way to gauge the appropriate sentence for breach of a long term supervision order." (par. 51).

[33] En l’espèce, la Cour a estimé que l’infraction était très grave parce que le délinquant avait adopté exactement le comportement qui était sous-jacent à la commission des crimes qui avaient entraîné la déclaration de délinquant à contrôler ("the first step of his modus operandi").

[34] Dans R c. Charles Trépanier 2006 QCCA 1260 (CanLII), 2006 QCCA 1260, après avoir référé à l’arrêt S.J.D. (précité) où la peine globale était de 45 mois, et fait certaines distinctions factuelles, le juge de première instance, avait estimé que la peine appropriée était de 24 mois. Il avait donc imposé une peine de 18 mois vu une détention provisoire de 3 mois comptée en double. Dans cette affaire, le délinquant avait omis de se présenter en thérapie. Il s’agissait d’une récidive.

[35] Dans son jugement, la Cour d’appel du Québec a pris pour acquis, que la peine imposée dans S.J.D. était de 24 mois (elle était de 45 mois). Elle retient le fait que l’accusé avait fourni une raison pour ne pas vouloir poursuivre sa thérapie avec le psychologue désigné et que sa conduite ne constituait pas la répétition de son modus operandi comme dans S.J.D. (précité). Estimant que la nature du bris n’offrait aucune similarité avec celui de l’accusé dans l’arrêt de la Colombie-Britannique, elle a reproché au premier juge de ne pas avoir imposé une peine proportionnée aux circonstances. La Cour a imposé une peine de 4 mois et n’a pas jugé nécessaire de décider de la façon dont la détention provisoire devait être calculée.

[36] D’autres décisions de première instance permettent d’alimenter la réflexion.

[37] Dans R. v. Anderson (2004) N.J. No. 246, l’accusé, alors qu’il était en maison de transition, a fait l’objet d’un mandat de suspension de ses conditions pour des raisons disciplinaires. Au policier qui venait exécuter le mandat, l’accusé a brandi un couteau de cuisine en s’avançant sur lui. Le tribunal a retenu que l’accusé avait un historique d’actes de violence sur la personne et que le geste avait été posé dans un milieu institutionnel. Il a conclu que le bris était grave parce qu'il touchait l'objectif fondamental de l'ordonnance de surveillance. La peine imposée pour le défaut de se conformer à une ordonnance de surveillance a été de 2 ans plus une peine de 3 mois consécutifs pour l’accusation de voies de fait armées.

[38] Dans R. v. Barnhardt 2007 ONCJ 337 (CanLII), 2007 ONCJ 337, le délinquant avait comme condition une interdiction de consommer des drogues ou de l’alcool et un test d’urine a révélé qu’il avait consommé de la marihuana. La preuve a démontré un lien de causalité entre la consommation de drogue ou d’alcool et la commission par l’accusé de crimes violents. La condition était donc essentielle à la gestion du risque de récidive. Le juge écrit :

"The purpose of this sentence is not to punish Mr. Barnhardt for his past crimes. He has already served those sentences. The purpose of this sentence is to protect society…Specific deterrence is paramount. General deterrence and denunciation are considerations, though to a lesser degree as is rehabilitation." (par. 30-31)

[39] Tenant compte du plaidoyer de culpabilité et des progrès réalisés durant les 9 premiers mois de la surveillance, le juge a dit que la peine appropriée était de 1 an. Vu la détention préventive de 6 ½ mois, la peine a été de 3 mois.

[40] Dans R. v. Priaulx 2008 SKPC 3 (CanLII), 2008 SKPC 3, la condition qui n’a pas été respectée était celle de ne pas avoir de contact avec des mineurs sans la présence d’un adulte autorisé par l’agent de surveillance. L’accusé avait purgé des peines totales de 9 ans de pénitencier pour des abus sexuels sur des enfants avant de commencer sa période de surveillance de 10 ans. Durant son incarcération, il avait participé à de nombreuses thérapies et continuait à faire des rencontres de soutien après sa remise en liberté.

[41] Alors qu’il résidait chez son beau-fils mais que celui-ci était absent, la propriétaire du logement est venue réclamer le paiement du loyer. Pendant que l’accusé faisait la conversation avec la dame, ses deux enfants sont venus la rejoindre. L'accusé les a tous invités à entrer dans l’appartement. Il a offert de la crème glacée aux enfants et prêté un jeu vidéo à l’un d’eux. Après avoir bu son café, la mère est repartie avec ses enfants.

[42] Le juge a considéré que l’infraction était grave parce que la condition non respectée était une condition très importante dans la gestion du risque de récidive. Il a tenu compte du plaidoyer de culpabilité, des thérapies suivies en détention et du maintien du support thérapeutique après la remise en liberté ; il a tenu compte du fait que l’accusé fonctionnait bien dans la communauté depuis près d’un an, qu’il occupait un emploi. Il a retenu que l’arrivée des enfants à son appartement était fortuite et que l’accusé avait pu craindre que son beau-fils perde son logement ce qui avait pu l’inciter à faire la conversation avec la propriétaire pour gagner sa sympathie.

[43] Le juge a estimé que la peine appropriée était de 22 mois. Compte tenu de la détention préventive de 10 ½ mois qu’il a compté en double – l’accusé avait été placé en ségrégation et gardé en cellule entre 19 et 23 heures par jour pendant 202 jours – le juge a imposé une peine d’un mois additionnel.

[44] Dans R. v. Sam (2007) Carswell Yukon 74, il s’agit d’un jugement succinct. L’accusé faisait l’objet d’une ordonnance de surveillance de longue durée (10 ans) à cause d’un lourd dossier d’infractions à caractère sexuel impliquant des enfants. En 2005, 5 mois après sa sortie du pénitencier, il a pris la fuite. Il a été accusé d’évasion d’une garde légale et d’avoir brisé une condition de son ordonnance. Il a été condamné à 27 mois de pénitencier. Après avoir purgé sa peine, il est retourné à la maison de transition qu’il a, à nouveau, quittée sans permission 5 mois plus tard.

[45] Il a plaidé coupable à l’accusation de ne pas avoir respecté une condition de son ordonnance de surveillance. La poursuite a concédé que les faits étaient moins graves que la fois précédente. Le juge en a tenu compte. Cependant il s’agissait d’une récidive et l’accusé avait été retrouvé en possession de condoms et de marihuana. Le juge a rappelé que l’utilisation de substances pouvant désinhiber faisait partie de l’historique du délinquant. Il a imposé une peine de 18mois.

lundi 19 octobre 2009

Rapport présentenciel; faits de l'infraction; exclusions de certaines conclusions dudit rapport

R. c. Maria, 2007 QCCQ 6592 (CanLII)

[10] Dans l’arrêt Donovan, l’Honorable juge Ryan de la Cour d’appel du Nouveau Brunswick considère comme particulièrement troublante la conclusion défavorable tirée par l’agente de probation du refus du délinquant de répondre aux questions sur sa participation à l’infraction

"Un aspect particulièrement troublant du rapport présentenciel est une implication défavorable injustifiable indiquant que M. Donovan aurait refusé de collaborer avec l'agente de probation pendant l'entrevue. Celle-ci a commencé son entrevue de façon inappropriée en tentant d'interroger l'accusé sur sa participation à l'infraction. Il a consulté son avocat, qui lui a conseillé avec raison de ne pas répondre aux questions portant sur la perpétration de l'infraction. De telles investigations outrepassent les limites du rapport. Le cadre du rapport est régi par le libellé de l'article 721 du Code et par toute directive émanant du juge qui détermine la peine. Le rapport ne doit pas servir de moyen d'enquête policière, ni d'opération de renseignement au bénéfice des curieux ou des gens mal informés.
On pourrait tirer à tort une inférence défavorable par suite des mentions de son refus de discuter de sa [TRADUCTION] « participation […] à l'infraction » et des conseils de son avocat, particulièrement quand l'agente de probation a donné à M. Donovan [TRADUCTION] « l'occasion de communiquer avec son avocat avant de procéder à l'entrevue », ce qui confirme et rend plus grave encore l'intention de l'agente de probation d'interroger M. Donovan sur une question qui outrepassait ses pouvoirs.

Une personne déclarée coupable, ainsi que son avocat, peut se sentir forcée de discuter de l'acte criminel par crainte de faire l'objet d'un rapport défavorable de l'agent de probation.

Les tentatives d'obtenir des renseignements sur l'infraction dans un rapport présentenciel ont été déclarées interdites depuis plus d'un quart de siècle par les tribunaux de première instance et les tribunaux d'appel du Canada. Voir R. c. Martell (1984), 48 Nfld. & P.E.I.R. 79 (C.A.I.P.-É.), où le juge MacDonald a souscrit à la conclusion de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt R. c. Craig (1975), 11 N.S.R. (2d) 695, à savoir qu'il n'est pas judicieux de s'appuyer sur les affirmations d'un rapport qui portent sur les détails de la perpétration d'une infraction. Au paragraphe 12, le juge MacDonald a également souscrit à la décision R. c. Bartkow (1978), 24 N.S.R. (2d) 518, de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, où le juge en chef MacKeigan, au paragraphe 10, a affirmé qu'un rapport présentenciel devrait se limiter à décrire les antécédents, la famille, l'éducation, l'expérience professionnelle, la santé physique et mentale, les relations, les activités sociales, le potentiel et les motivations de la personne.

Sous les rubriques des rapports présentenciels et des faits se rapportant à l'infraction, l'auteur Clayton C. Ruby affirme, à la page 97 de l'ouvrage Sentencing, 5e édition (Toronto et Vancouver : Butterworths, 1999):

3.116 Les faits se rapportant à l'infraction pour laquelle la peine de l'accusé doit être déterminée, et particulièrement les allégations relatives à des agissements qui ne sont pas visés par l'instance, ne devraient pas être inclus dans un rapport présententiel."

L'exclusion des allégations relatives à l'infraction vise également les assertions intéressées de l'accusé. [cf. Donovan c. R., ¶32]

[11] Le juge Ryan réfère ensuite à l’arrêt Regina c. Urbanovich and Brown, reflex, (1985), 19 C.C.C. (3d) 43, de la Cour d’appel du Manitoba qui a vivement critiqué l’insertion dans un rapport présentenciel des allégations du délinquant concernant le crime. Selon l’Honorable juge Brown de la Cour d’appel du Manitoba, les assertions intéressées d’un délinquant ne peuvent pas être admises sous le couvert du rapport présentenciel. [cf. Donovan c. R., ¶33]

[12] Dans l’arrêt Urbanovich et al., l'Honorable juge Riordon partage l’opinion de son collègue concernant l’inadmissibilité des observations de l’agente de probation relatives aux faits de l’infraction; il l’aurait réprimandé « pour sa tentative répréhensible d’examiner les circonstances de l’homicide involontaire coupable lui-même, surtout si c’est sa pratique courante…. » [cf. Donovan c. R., ¶ 34]

[13] Dans l’arrêt Donovan, la Cour d’appel du Nouveau Brunswick maintient la sentence imposée en première instance pour d’autres motifs, mais en soustrayant une période pour tenir compte de la détention provisoire du délinquant. La Cour d’appel a donc retenu les parties du rapport traitant du caractère du délinquant, sa toxicomanie et les circonstances familiales; cependant, les juges ont clairement exprimé leur opinion que les inférences tirées par l’agente de probation à partir de son analyse des faits de l’infraction sont inadmissibles et non fiables.

[14] Dans son jugement, l’Honorable juge Ryan réfère aux jugements de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle Écosse, R. c. Bartkow et R. c. Craig cités par le Requérant-accusé; il reprend leurs conclusions à l'effet qu’un rapport présentenciel devrait se limiter « aux antécédents, la famille, l’éducation, l’expérience professionnelle, la santé physique et mentale, les relations, les activités sociales, le potentiel et les motivations de la personne. » [op. cit] Évidemment, 30 ans plus tard, ces conclusions sont maintenant codifiées à l’article 721 C. cr.

[15] Dans l’arrêt R. c. Craig, la Cour d’appel de la Nouvelle Écosse décide qu’une preuve extrinsèque (extraneous) ou la preuve des circonstances du crime, même favorables à l’accusé, tel le fait qu’il avait bu, étaient inadmissibles. Le Tribunal se fonde en partie sur l’absence de contre-interrogatoire pour tester la crédibilité ou la fiabilité. Aujourd’hui, c’est l’article 724 C. cr. qui prévoit les règles de preuve lors de la présentation d’un rapport présentenciel contenant des faits contestés.

[16] Tout en confirmant le principe de la plus grande flexibilité des règles de la preuve lors de la détermination de la peine [Ruby, op cit ¶3.102, 3.103; Boilard, Manuel de preuve pénale, ¶3.108 ff; R. c. Gardiner[1], ¶3.177] le Code autorise maintenant le Tribunal, à certaines conditions, à requérir la présentation de preuves additionnelles ou de témoins, et notamment lorsqu’une partie a présenté une preuve par ouï-dire. [Article 723 C. cr.]

[32] Ses conclusions concernant la collaboration mitigée de l’accusé se fondent en partie sur cette divergence. En autant que les faits de l’infraction ne font pas légalement l’objet du rapport présentenciel, l’accusé ne devrait pas être interrogé à ce sujet, même s’il n’a pas l’obligation de répondre, surtout que son omission de répondre fera également objet d’une mention dans le rapport.

[35] Malgré les bonnes intentions, l’agente ne doit pas changer le contenu du rapport présentenciel tel que prévu à l’article 721 C. cr. Avec égard, l’analyse de l’étendue des faits de l'infraction reconnus par le Requérant-accusé n’est pas nécessaire pour évaluer son désir de réparer le tort. Que l’infraction ait été commise d’une manière ou d’une autre, l’accusé a commis l’infraction et a reconnu sa culpabilité; les éléments de l'infraction ont été admis. La nature ou la mesure du tort subi par la ou les victimes fait partie des représentations du ministère public et de la déclaration de la victime prévue à l’article 722 C. cr. et non du rapport présentenciel.

[36] Le remord de l’accusé est un facteur pertinent en autant qu’il peut indiquer la possibilité de réhabilitation. [R. c. Frances, (2006), 207 C.C.C. 3d), ¶536 (Ont. C.A.); dans Boilard, op cit ¶3.180] Par contre, l’absence de remords n’est pas un facteur aggravant. [cf Boilard, op cit, ¶3.180; R. c. A(K), (1999); R. v. Vu, 2003 BCCA 339 (CanLII), (2003), 176 C.C.C. (3d) 568, B.C.C.A.]

[37] Certes le Requérant-accusé peut toujours contester un fait qui se trouve dans un rapport présentenciel selon les termes de l’article 724 (3) C. cr. Ainsi, à part les faits aggravants ou les condamnations antérieures qui doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable, le ministère public aurait à prouver les faits pertinents par une preuve prépondérante. Néanmoins, l’admission de la preuve des faits de l’infraction risque de prolonger indûment les procédures, sauf si le Tribunal juge suffisante la preuve faite lors du procès.

[39] Le Tribunal retient aussi qu'indépendamment du rapport présentenciel, le ministère public peut toujours présenter, selon l'article 723(2) C. cr., toute preuve pertinente, y compris une preuve par ouï-dire. Si les informations sur les faits de l'infraction devraient être soumis pour la détermination d'une peine juste, elles devraient plutôt être présentées par un témoignage assermenté et non dans le rapport présententiel.

R. c. Edwards, (1986) 60 Nlfd et P.F.I.R. 36 (PEI, C.A.)

Martell, (1984) 48 Nfld & PEIR 79 (PEI, C.A.) cité par Ruby op cit ¶3.159

"¶3.160 in Rudyk, the probation officer prepared a report which elicited from the offender his version of the facts of the case. As it turned out that version contradicted the guilty plea. The Appeal judge stated:

I would here urge that a presentence report be confined to its very necessary and salutary role of portraying the background, character and circumstances of the person convicted. It should not, however, contain the investigator's impressions of the facts relating to the offence charged, whether based on information received from the accused, the police, or other witnesses, and whether favourable or unfavourable to the accused. And if the report contains such information the trial judge should disregard it in considering sentence."

[40] Ceci ne nie pas que dans certaines circonstances, notamment concernant les traitements à recommander, un rapport présententiel pourrait aborder la participation du délinquant au crime, mais pour des fins bien spécifiques.

"… On the other hand a truly helpful presentence report does attempt to analyze what impelled the commission of the offence where, for example, a treatment-based regime can be recommended in order to protect the public from further offences in the future." (Ruby, op cit, ¶3.161)

Les peines pour les crimes de production et de possession en vue de faire le trafic de cannabis

R. c. Man Joa, 2007 QCCQ 3937 (CanLII)
R. c. Sweeney, 2007 QCCQ 3115 (CanLII)

[9] Luc Rivard c. R. 14 janvier 1997 C.A. 500-10-000702-967
La Cour d’appel se prononce sur la sentence de l’accusé qui a plaidé coupable à deux chefs de possession pour fins de trafic, l’un relié à la possession de plants de cannabis et l’autre à un peu moins de trois kilogrammes de cannabis. L’accusé était impliqué dans la culture de marijuana et reconnaissait son intention d’en faire le trafic. La Cour d’appel, ayant considéré qu’il s’agissait d’une entreprise de peu d’envergure, dont la valeur des stupéfiants se chiffrait à quelques milliers de dollars, émet l’avis que les limites acceptables en matière de peine, en proportion avec la quantité et la nature des stupéfiants en cause, se situent entre trois et neuf mois d’emprisonnement. Elle ajoute même que, dans certaines circonstances, une peine d’amende pourrait être appropriée. Dans ce dossier, elle casse la sentence, rendue en première instance, de 18 mois et ordonne une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis. L’individu avait un casier judiciaire et avait fait preuve de peu d’empressement à se remettre en question. Par ailleurs, il avait réussi à se trouver un emploi lui permettant d’assumer ses obligations financières à l’endroit de sa famille.

[10] La Reine c. Kopf 11 mars 1997 C.A. 200-10-000394-960
L’accusé a plaidé coupable à l’accusation d’avoir cultivé du cannabis et d’en avoir eu en sa possession pour fins de trafic. La Cour d’appel considère qu’il s’agit d’un individu faiblement criminalisé, vivant avec une compagne avec laquelle il fait des projets d’avenir et que son aventure dans la culture du chanvre indien est marquée de l’amateurisme, voire de naïveté. La Cour d’appel considère aussi le fait que l’accusé n’est lié à aucune organisation criminelle connue et maintient la période de douze mois d’emprisonnement au sein de la communauté, en considérant une période de six semaines où l’accusé était détenu en attente de l’audience devant la Cour d’appel, soit une peine totale équivalente à treize mois et demi.

[11] Par ailleurs, même s’il faut éviter de bâtir un barème de sentences en seule proportion avec la quantité de stupéfiants en cause, la Cour d’appel indique nettement que plus la quantité en cause est importante plus le facteur de dissuasion prend de l’importance.

La Reine c. Couture C.A. 500-10-000061-901[1994] A.O. no. 669
La Cour d’appel maintient une sentence de deux ans moins un jour pour un individu condamné à la possession pour fins de trafic de 335 plants de marijuana.

R. c. Gatien C.A. 200-10-000312-963, [1999] J.Q. no. 404.
La Cour d’appel maintient une sentence de 30 mois d’emprisonnement pour une accusation de possession dans le but de trafic, où l’accusé était en possession de 741 plants. La Cour considère la quantité, la valeur sur le marché, les antécédents judiciaires de l’accusé à titre de circonstances aggravantes et considère la peine proportionnelle à l’enseignement retenu par l’affaire R. c. Couture.

Valiquette c. La Reine [2004] J.Q. no. 6838 C.A. Qc
La Cour d'appel maintient une sentence d'un an d'emprisonnement pour la production de cannabis. Ont été perquisitionnés 440 plants de cannabis et 22.05 kilogrammes de cannabis en vrac au sein de la résidence de l'accusé. L'accusé était âgé de 26 ans et sans antécédent judiciaire. L'accusé était impliqué dans un nouveau projet de vie puisqu'il suivait un cours technique d'usinage. Les risques de récidive étaient évalués comme étant faibles, l'accusé était considéré comme n'ayant pas le profil d'un criminel récidiviste et bénéficiait d'un rapport sur sentence généralement favorable.

R. c. Valence [2003] J.Q. no. 3590 C.A. Qc
La Cour d'Appel substitue une peine de 18 mois de détention à une peine de 2 ans moins un jour à être purgée dans la collectivité. Cette peine équivaut à une peine de 21 mois, considérant le temps purgé en détention provisoire. Dans cette affaire, l'accusé n'avait pas d'antécédents judiciaires, bénéficiait d'un rapport sur sentence favorable et présentait aussi un risque de récidive minime. Il s'était engagé dans une entreprise de grande envergure et sophistiquée, elle s'étendait dans six résidences et dans un entrepôt assez important. La Cour s'appuie sur le degré d'organisation pour ne pas accorder l'emprisonnement au sein de la communauté, elle considère l'amplitude de l'organisation, son degré de planification, la grande quantité de plants à maturité et le but de lucre poursuivi. Elle considère aussi les sommes qui auraient été susceptibles d'être encaissées par les accusés si l'entreprise n'avait pas été démantelée, ainsi que le nombre de personnes impliquées et le rôle directeur que jouait l'accusé. Dans ces circonstances, la Cour d'Appel est d'avis qu'il est absolument essentiel de donner le poids nécessaire à l'élément de dissuasion. Elle souligne: "Les crimes de cette nature sont en progression constante et produisent des conséquences qui visent de plus en plus les jeunes de notre société. Non seulement plusieurs jeunes sont-ils de la sorte invités à consommer de la drogue, mais cette consommation en amène certains à commettre d'autres crimes et à varier le type de drogues qu'ils consomment".

Therrien c. R. 5 septembre 2006 C.A., 2006 QCCA 1099 (CanLII), 2006 QCCA 1099, Soquij AZ-50390723, B.E. 2006BE-945
La Cour d’appel maintient une peine d’un an ferme d’emprisonnement pour une infraction de culture de plants de marijuana. L’appelant avait des antécédents judiciaires. D’ailleurs, alors qu’il purgeait une peine d’emprisonnement de 6 mois dans la communauté, il se livrait à la culture de stupéfiants au profit d’un réseau criminel envers lequel il s’était endetté. La Cour d’appel conclut que cet aspect à lui seul démontrait que l’emprisonnement avec sursis n’avait pas eu l’effet dissuasif escompté.

Bédard c. R. 24 janvier 2006 C.A., 2006 QCCA 118 (CanLII), 2006 QCCA 118, Soquij AZ-50353699, B.E. 2006BE-259
La Cour d’appel maintient une peine d’emprisonnement de quinze mois. L’accusé avait fait valoir son absence d'antécédents judiciaires en semblable matière, sa situation personnelle, le fait qu'il était un actif pour la société et qu'il a eu sa leçon.

Paradis c. R. 21 octobre 2005 C.A., 2005 QCCA 999 (CanLII), 2005 QCCA 999, SOQUIJ AZ-50339231, J.E. 2005-1965
La Cour d’appel prononce une peine d'emprisonnement de 12 mois suivie d'une probation de 2 ans et d'une interdiction de posséder des armes durant 20 ans. Le juge de première instance a retenu la peine d'emprisonnement ferme d’un an qui avait été proposée par l'intimée compte tenu du fait que l'appelant n'avait manifesté aucun regret ni fait quelques efforts de réhabilitation que ce soit, ce qui laissait subsister le risque de récidive. Il a également rappelé ses antécédents judiciaires en semblable matière.

Boisjoli c. R. 7 avril 2005 C.A., 2005 QCCA 367 (CanLII), 2005 QCCA 367, SOQUIJ AZ-50308007, J.E. 2005-902
L’accusé a plaidé coupable aux accusations de complot pour production de cannabis. Il a reçu une peine de 2 ans pour complot pour production de cannabis, 1 an pour la possession de cannabis à des fins de trafic et 4 ans pour possession de biens criminellement obtenus.

Lefebvre c. R. 8 février 2005 C.A., 2005 QCCA 56 (CanLII), 2005 QCCA 56, SOQUIJ AZ-50293872, J.E. 2005-487
La Cour d’appel maintient une peine de 18 mois d’emprisonnement pour production de marijuana: 5 000 plants.

Turmel c. R. 12 janvier 2005 C.A., 2005 QCCA 5 (CanLII), 2005 QCCA 5, SOQUIJ AZ-50288750, J.E. 2005-219
La Cour d’appel maintient la peine d'emprisonnement de 18 mois imposée sous des accusations de production de marijuana et de possession à des fins de trafic. L’accusé avait loué et modifié un appartement exclusivement pour y produire de la marijuana. Y ont été découverts 153 plants presque à maturité, 450 plants plus petits et 1200 grammes de marijuana, soit 3500 grammes de marijuana au total. Un rapport avant sentence indiquait que l'appelant avait été condamné en 1992 à une peine d'emprisonnement de 20 mois pour possession de cocaïne à des fins de trafic. C'est à bon droit que le juge a exclu la possibilité d'imposer une peine avec sursis, craignant que l'appelant n'en respecte pas les conditions.

vendredi 16 octobre 2009

Celui qui signe un chèque d'un prénom qui ne correspond pas à celui sous lequel il a ouvert un compte auprès d'une banque fabrique-t-il un faux ?

Ferland c. R., 2001 CanLII 13347 (QC C.A.)

Fabrication d'un faux

[16] De cette disposition, il appert que trois éléments doivent être réunis pour que l'on puisse conclure à une fabrication d'un faux. D'abord, il doit y avoir un faux document; ensuite, le prévenu doit savoir qu'il fait un faux; enfin, il doit présenter une intention spécifique que le faux soit utilisé pour porter préjudice à autrui.

[17] Les six chèques remis par l'appelant à son locateur rencontrent les deux premières conditions. Premièrement, il s'agit d'un faux document, au sens de l'article 321 C.cr., puisque les chèques portent la signature d'une personne qui n'a pas de compte à l'institution financière concernée. Les chèques mentent donc sur ce qu'ils sont: Jean-Claude Ferland n'a pas de compte à la Caisse populaire de Victoriaville. À cet égard, la Cour suprême enseigne que le faux correspond au document suivant:

Un écrit n'est pas un faux du seul fait qu'il renferme de fausses énonciations; il l'est seulement s'il y est prétendu qu'il est ce qu'il n'est pas. La formule la plus simple et la meilleure pour exprimer cette règle est de dire que, pour ce qui est du faux en droit, l'écrit doit mentir sur ce qu'il est.

[…]

Pour être un faux, ce document doit dire un mensonge à son propre sujet, non au sujet de quelque autre document dont il est censé n'être qu'une copie.

[18] Deuxièmement, l'appelant savait que les documents étaient des faux. En effet, il a personnellement procédé à l'ouverture de son compte à la Caisse populaire de Victoriaville et il ne pouvait pas ignorer que c'est Noël Ferland qui était autorisé à signer des chèques.

[19] Quant au troisième élément de l'infraction relié à l'intention, il faut préciser que le Code criminel exige la preuve d'une intention spécifique. Pour que la falsification d'un chèque constitue un crime, il faut qu'il ait été fabriqué dans le but de porter préjudice à quelqu'un.

[20] À mon avis, la défense présentée par l'appelant était de nature à soulever un doute quant à son intention criminelle de fabriquer un faux. C'est pour préserver son identité qu'il a remis à son locateur des chèques portant le prénom de Jean-Claude et non pour lui porter préjudice. D'ailleurs, l'appelant était justifié de penser que la Caisse populaire escompterait les chèques remis à son locateur, même s'ils portaient le prénom Jean-Claude, parce qu'elle l'avait fait à plusieurs reprises auparavant.

Utilisation d'un faux


[21] L'article 368(1) a) C.cr. se lit comme suit:

368(1) [Emploi d'un document contrefait] Quiconque, sachant qu'un document est contrefait, selon le cas:

a) s'en sert, le traite, ou agit à son égard;

[…]

comme si le document était authentique, est coupable:

[…]

[22] Selon cette disposition, le ministère public doit démontrer que l'appelant a utilisé un faux document et qu'il savait que le document était faux. Une simple intention de tromper suffit pour conclure à la commission du crime.

[23] Pour les raisons énoncées précédemment, je suis d'avis que les chèques remis par l'appelant à son locateur constituent des faux au sens de l'article 321 C.cr. et que l'appelant le savait. Cependant, la défense qu'il a présentée soulève un doute raisonnable quant à son intention de tromper son locateur.

jeudi 15 octobre 2009

Le type d'infraction commise peut avoir une influence sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge lors de l'enqête sur remise en liberté

R. c. Lamothe, 1990 CanLII 3479 (QC C.A.)

Pour décider de la question, la Cour a l'obligation d'appliquer les critères que le législateur a énumérés à l'article 515(10) C.Cr. qui prévoit deux motifs principaux soit: est-ce que la détention est nécessaire pour assurer la présence du prévenu à son procès ? si la réponse à cette question est négative, est-ce que la détention est nécessaire dans l'intérêt public ou pour la protection ou la sécurité du public ?

Dans ce second cas, la Cour doit tenir compte de la potentialité de la commission d'une infraction criminelle nouvelle s'il y a remise en liberté ou d'une atteinte à l'administration de la justice.

La loi donne donc un assez large pouvoir discrétionnaire au juge, puisque les circonstances particulières de chaque espèce pèsent lourd dans la balance. Ce poids des circonstances ne veut cependant pas dire que le juge peut agir de façon arbitraire. Son pouvoir discrétionnaire doit s'exercer de façon judiciaire d'une part, et, d'autre part, en conformité avec les grands principes et les grandes règles de notre droit pénal notamment la présomption d'innocence et les autres garanties fondamentales données par la Charte.

Que ce pouvoir soit exercé en vertu de 520, 521 ou de 522 C.Cr. ne fait et ne doit surtout pas faire de différence au point de vue de l'application des critères requis. En d'autres termes, il ne saurait y avoir une qualification différente de la présomption d'innocence, non plus qu'une application différente des protections légales accordées aux droits fondamentaux de la personne, basées sur le type d'infraction. Le type d'infraction commise peut cependant, étant donné les circonstances, avoir une influence sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Il devient alors l'un des facteurs parmi tous les autres dont le juge doit ou peut tenir compte. Ainsi, un juge, face à un prévenu accusé d'une infraction d'un type qui met la sécurité du public en péril et qui estime qu'il y a probabilité de récidive, pourra refuser la mise en liberté. Comme l'exprimait, par exemple, la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Fothergill, (1982) 27 C.R. (3d) 191, le juge peut tenir compte du "degree of instability in the accused lifestyle" et d'un potentiel de conduite violente. Ceci ne veut pas dire toutefois que les critères doivent changer en fonction du type d'infraction reprochée. La présomption d'innocence est et doit rester la même dans tous les cas.

Notre Cour, dans les arrêts McGuire c. R., C.A.M, a souligné de façon claire, d'une part, la portée qu'il convenait de donner à la présomption d'innocence et, d'autre part, la différence fondamentale qu'il faut faire à cet égard lorsqu'un tribunal est appelé à se prononcer, dans une première hypothèse, sur une mise en liberté provisoire alors que le prévenu bénéficie encore de la présomption d'innocence et, dans une seconde hypothèse, lorsqu'au contraire, l'accusé ayant été jugé et trouvé coupable n'en bénéficie plus.

La présomption d'innocence, surtout depuis que les droits fondamentaux sont enchassés dans la Constitution, ne doit pas être reléguée uniquement au seul rôle de détermination de la culpabilité de l'accusé. Elle doit exister à toutes les étapes du procès pénal.

Il n'est donc probablement pas inutile de rappeler ici certains principes énoncés dans l'arrêt Perron.

Le premier est que la preuve même accablante de la commission de l'infraction, ou même le flagrant délit, n'est qu'un élément parmi les autres que le juge doit considérer.

Le second est que la probabilité d'une condamnation et la gravité du crime ne sont pas, non plus, les seuls critères à entrer en ligne de compte.

Le troisième est que le juge qui entend la requête n'a pas à décider en anticipant sur le procès de la culpabilité ou de l'innocence du prévenu. Il doit dans tous les cas et en tout état de cause, d'une part, considérer la présomption d'innocence et en tenir compte et, d'autre part, ne pas devancer la cause au fond.

C'est donc à un niveau plus élevé qu'il faut se placer, soit celui d'un public raisonnablement informé de notre système de droit pénal et capable de juger et de percevoir sans passion que l'application de la présomption d'innocence, même au niveau de la liberté provisoire, a pour effet qu'effectivement des gens qui, plus tard, seront trouvés coupables, même de crimes sérieux, auront cependant retrouvé leur liberté entre le moment de leur arrestation et celui de leur procès. En d'autres termes, le critère de la perception du public ne doit pas s'exercer à partir du plus petit commun dénominateur. Un public informé comprend donc qu'il existe au Canada une présomption d'innocence garantie constitutionnellement (art. 11 d) de la Charte) et le droit de n'être pas privé sans juste cause d'une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable (art. 11 e) de la Charte).

La dangerosité de l'individu, les circonstances de l'acte reproché, le type d'infraction, la situation de la victime sont, parmi d'autres, des facteurs qui peuvent aider le juge à se former une idée relative de cette réaction. La justice pénale ne doit pas donner prise au scandale. Elle doit donner l'image d'une justice sereine, impartiale et exemplaire.

***Note de l'auteur de ce blog - Cet arrêt, antérieur à l'arrêt Rondeau (arrêt de principe), conserve néanmoins une certaine pertinence en soulignant certains facteurs à considérer dans le cadre de l'enquête caution.***

Quels sont les pouvoirs d’un policier d’amener de force à l’hôpital une personne qu’il croit être en train d’accomplir une tentative de suicide?

R. c. M.M., 2006 QCCQ 18239 (CanLII)

[9] Le juge Le Dain, pour la majorité dans la cause Dedman c. R., 1985 CanLII 41 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 2, (par. 58) énonçait:

« À mon avis, lorsque les agents de police agissent ou sont censés agir à titre officiel en tant qu'agents de l'État, ils n'agissent légalement que s'ils exercent un pouvoir qu'ils possèdent en vertu d'une loi ou qui découle de leurs fonctions par l'effet de la common law.»

[10] Nous examinerons donc si une loi ou si la common law donnait au policier, dans les circonstances de l’espèce, le pouvoir d’agir?

[11] Tout comme la Charte canadienne des droits et libertés (dont l’art.7 ), le Code Civil du Québec pose le principe de l’inviolabilité et du droit à l’intégrité de la personne. (...)

«3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. (…)

«10. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité. Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé.

[12] Or à la SECTION II de ce même CHAPITRE, section intitulée DE LA GARDE EN ÉTABLISSEMENT ET DE L'ÉVALUATION PSYCHIATRIQUE, se trouve l’une des exceptions auxquelles fait référence l’art. 10 précité. Elle se lit comme suit :

«27. S'il a des motifs sérieux de croire qu'une personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental, le tribunal peut, à la demande d'un médecin ou d'un intéressé, ordonner qu'elle soit, malgré l'absence de consentement, gardée provisoirement dans un établissement de santé ou de services sociaux pour y subir une évaluation psychiatrique. Le tribunal peut aussi, s'il y a lieu, autoriser tout autre examen médical rendu nécessaire par les circonstances. Si la demande est refusée, elle ne peut être présentée à nouveau que si d'autres faits sont allégués. Si le danger est grave et immédiat, la personne peut être mise sous garde préventive, sans l'autorisation du tribunal, comme il est prévu par la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. »

[13] Notons d’abord que le législateur n’y parle pas nécessairement de maladie mentale mais simplement d’état mental.

[14] J’estime qu’il va de soi, qu’une personne qui cherche de façon délibérée, immédiate et concrète à se suicider et qui, après avoir ingurgité une quantité potentiellement mortelle de médicaments, refuse les soins nécessaires à la préservation de sa vie représente un danger grave et immédiat pour elle-même « en raison de son état mental » au sens de l’art. 27 : en effet, la décision de mettre ainsi fin à ses jours est nécessairement le résultat d’un état mental, peu importe ce qui a amené cet état mental, que ce soit le résultat d’une situation émotionnelle ou le résultat d’une cogitation plus ou moins heureuse.

[15] À son tour, la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui prévoit au CHAPITRE II intitulé LA GARDE, dans la SECTION I intitulé GARDE PRÉVENTIVE ET GARDE PROVISOIRE que:

« 8. Un agent de la paix peut, sans l'autorisation du tribunal, amener contre son gré une personne auprès d'un établissement visé à l'article 6:

1) à la demande d'un intervenant d'un service d'aide en situation de crise qui estime que l'état mental de cette personne présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui;

2) à la demande du titulaire de l'autorité parentale, du tuteur au mineur ou de l'une ou l'autre des personnes visées par l'article 15 du Code civil du Québec (Lois du Québec, 1991, chapitre 64), lorsqu'aucun intervenant d'un service d'aide en situation de crise n'est disponible, en temps utile, pour évaluer la situation. Dans ce cas, l'agent doit avoir des motifs sérieux de croire que l'état mental de la personne concernée présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui. »

[16] En l’espèce, il y a donc d’abord lieu de s’interroger sur l'applicabilité de l’un ou l’autre de ces paragraphes.

[17] La demande d’assistance faite par les ambulanciers à la police était-elle, au sens du par. 8. 1), une « demande d'un intervenant d'un service d'aide en situation de crise »?

[21] Force est de constater qu’en l’absence d’une preuve des protocoles d’intervention, des modalités des contrats de service, etc., il est impossible de déterminer si l’intervention des policiers entrait dans le cadre y prévu. La Poursuite n’a donc pas réussi à démontrer que cet article fournissait l’autorité nécessaire pour établir que le policier agissait à l’intérieur de ses fonctions.

La demande d'une des personnes mentionnées au par. 8. 2) .

[22] Ce paragraphe énonce :

8. Un agent de la paix peut, sans l'autorisation du tribunal, amener contre son gré une personne auprès d'un établissement visé à l'article 6:

(…)

2) à la demande du titulaire de l'autorité parentale, du tuteur au mineur ou de l'une ou l'autre des personnes visées par l'article 15 du Code civil du Québec (Lois du Québec, 1991, chapitre 64), lorsqu'aucun intervenant d'un service d'aide en situation de crise n'est disponible, en temps utile, pour évaluer la situation. Dans ce cas, l'agent doit avoir des motifs sérieux de croire que l'état mental de la personne concernée présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui.

[23] En l’absence d’une preuve permettant de conclure qu’aucun intervenant d'un service d'aide en situation de crise n'était disponible, en temps utile, j’estime qu’il est impossible de retenir l’applicabilité des dispositions de ce paragraphe. En conséquence, ici non plus la Poursuite n’a pas réussi à démontrer que cet article fournissait l’autorité nécessaire pour établir que le policier agissait à l’intérieur de ses fonctions.

Pouvoir en vertu de la common law

[24] En l’espèce, la démarche des policiers s’inscrivait dans l’accomplissement de leur devoir de protéger la vie, devoir d’ailleurs reconnu et par statut et par la common law. En effet, l'article 48 de la Loi sur la police [L.R. 1985, ch. C-46] énonce :

«48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membre, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50 et 69, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.

Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent.»

[25] De son côté, la common law fournit un guide (Waterfield) quant vient le temps de déterminer l’étendue des pouvoirs nécessaires à l’accomplissement des devoirs de la police. La common law reconnaît également qu’en présence de divers droits fondamentaux, l’ordre public saura parfois dicter l’ordre des priorités. Les deux propositions qui précèdent ont été discutées entre autres dans l’arrêt Godoy 1999 CanLII 709 (C.S.C.), [1999] 1 R.C.S. 311. Cet arrêt m’apparaît particulièrement approprié à l’étude du cas en l’espèce et ce à quelques différences près, différences que j’estime par ailleurs plus apparentes que réelles.

[26] Le résumé des faits de l’arrêt Godoy s’y lit comme suit :

Deux agents de police ont reçu un appel du répartiteur radio au sujet d'un appel d'urgence au 911 provenant de l'appartement de l'accusé et dont la communication a été coupée avant que l'auteur ait pu parler. Avec le renfort de deux autres agents de police, ils sont arrivés à l'appartement de l'accusé et ont frappé à la porte. L'accusé a entrouvert la porte et, quand on lui a demandé si tout allait bien à l'intérieur, il a répondu qu'il n'y avait pas de problème. L'un des agents a demandé s'ils pouvaient entrer pour enquêter, mais l'accusé a essayé de fermer la porte. L'agent l'en a empêché et les quatre agents de police sont entrés dans la maison. L'agent a témoigné que dès qu'ils sont entrés, il a entendu une femme pleurer. Il a trouvé la conjointe de fait de l'accusé dans la chambre à coucher, recroquevillée en position fœtale et sanglotant.



Le juge Lamer au nom de la Cour décide qu’au nom de l'ordre public l'entrée par la force chez l'accusé était justifiée compte tenu de l'ensemble des circonstances. Les agents de police avaient le devoir de vérifier les raisons de l'appel au 911 et ils étaient autorisés, en raison des pouvoirs qui leur sont conférés en common law pour s'acquitter de ce devoir, à entrer dans l'appartement pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un cas d'urgence.

[27] Je me permets ici de citer au long certains extraits de l’analyse que le juge Lamer nous livre. Je me contenterai d’y adapter quelques commentaires que j’estime utiles au cas de monsieur M… M… :

¶ 12 Le critère reconnu pour évaluer les pouvoirs et les devoirs des agents de police en common law a été exposé dans l'arrêt Waterfield, précité, que notre Cour a suivi dans …(citations omises). Si la conduite policière constitue de prime abord une atteinte à la liberté ou à la propriété d'une personne, le tribunal doit trancher deux questions: Premièrement, la conduite entre-t-elle dans le cadre général d'un devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law? Deuxièmement, la conduite, bien que dans le cadre général d'un tel devoir, comporte-t-elle un exercice injustifiable des pouvoirs découlant de ce devoir?

¶ 13 Il ne fait aucun doute que l'entrée par la force des agents de police dans une maison privée constitue de prime abord une atteinte à la liberté et à la propriété d'une personne. Par conséquent, il incombe à notre Cour d'examiner les deux questions posées dans l'arrêt Waterfield, précité.

(…)

¶ 15 Dans l'arrêt Dedman, précité, aux pp. 11 et 12, notre Cour a statué que les devoirs incombant aux agents de police en common law (prévus par la loi au par. 42(3)) comprennent la "préservation de la paix, la prévention du crime et [. . .] la protection de la vie des personnes et des biens" (je souligne). Comme le juge Finlayson l'a souligné en Cour d'appel, les devoirs incombant aux agents de police en common law n'ont pas encore été délimités par les tribunaux. En outre, la protection de la vie est un [Traduction] "devoir général", comme l'a dit le juge Finlayson, qui ne se limite donc pas à la protection de la vie des victimes de crime.

(…)

¶ 17 Devant notre Cour, les parties n'ont pas sérieusement débattu la question de savoir si les agents de police ont le devoir en common law de répondre aux appels de détresse. La vraie question est plutôt de savoir si l'exécution de ce devoir reconnu par la common law donne aux agents de police le droit d'entrer par la force dans une maison. Autrement dit, la question fondamentale porte sur la deuxième partie du critère de l'arrêt Waterfield.

¶ 18 Dans l'arrêt Simpson, précité, le juge Doherty a appliqué à la fois Waterfield, précité, et Dedman, précité, et, à la p. 499, il a défini de la façon suivante ce qu'on entendait par l'exercice [Traduction] "justifié" des pouvoirs conférés aux agents de police:

[Traduction] . . . un lot de facteurs doivent être pris en considération pour déterminer si la conduite d'un agent de police est justifiée, notamment le devoir dont il s'acquitte, la mesure dans laquelle il est nécessaire de porter atteinte à la liberté individuelle afin d'accomplir ce devoir, l'importance que présente l'exécution de ce devoir pour l'intérêt public, la liberté à laquelle on porte atteinte ainsi que la nature et l'étendue de l'atteinte.

Je conviens que ces considérations doivent constituer le fondement de l'analyse. En l'espèce, il était nécessaire que les agents de police entrent dans l'appartement de l'appelant afin de déterminer la nature de l'appel de détresse. Il n'y avait pas d'autres moyens raisonnables de s'assurer que la personne dont l'appel avait été coupé avait obtenu l'aide nécessaire en temps utile. Bien que l'appelant ait soutenu que la police pouvait frapper aux portes des voisins et les questionner, ou attendre dans le couloir de l'appartement d'autres signes de détresse, j'estime que ces propositions sont non seulement peu pratiques, mais dangereuses. Si la personne qui compose le 911 court un grave danger et est incapable soit de communiquer avec le répartiteur du 911 ou d'aller ouvrir la porte à l'arrivée des agents de police, son seul espoir est que ceux-ci la trouvent dans l'appartement et viennent à son secours.



COMMENTAIRE : En l’espèce, le devoir de protection de la vie était de la plus haute importance et il était urgent et nécessaire que les agents reste dans l’appartement de monsieur M… jusqu’à ce qu’il obtempère à la demande d’accompagner les ambulanciers et les policiers à l’hôpital : en effet les ambulanciers et les policiers avaient des motifs sérieux de croire que monsieur M… avait ingurgité des médicaments dans le but de se suicider et donc que sa vie était en danger puisqu’il persistait dans son intention en refusant de recevoir les soins appropriés: il y avait donc une urgence grave.

¶ 19 Indiscutablement, chacun a droit au respect de la vie privée dans l'intimité de son foyer qui est tenu pour inviolable. Dans l'arrêt R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (C.S.C.), [1993] 3 R.C.S. 281, notre Cour a reconnu que les valeurs sur lesquelles repose le droit à la vie privée protégé par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés sont (les motifs du juge Sopinka, à la p. 292) la "dignité, [. . .] l'intégrité et [. . .] l'autonomie" de la personne. Dans l'arrêt R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 128, le juge Cory, au par. 50, a expliqué que l'un des éléments du droit à la vie privée est "[l]e droit d'être à l'abri de toute intrusion ou ingérence". Toutefois, la dignité, l'intégrité et l'autonomie sont précisément les valeurs qui sont en jeu de la façon la plus immédiate et la plus pressante lorsqu'un appel au 911 est coupé. Dans un tel cas, la vie et la sécurité de la personne inspirent encore plus l'inquiétude. Par conséquent, l'intérêt de la personne qui demande de l'aide en signalant le 911 ressortit davantage à la dignité, à l'intégrité et à l'autonomie que celui de la personne qui cherche à refuser l'entrée aux agents de police dépêchés sur les lieux pour répondre à un appel à l'aide.


COMMENTAIRE : En l’espèce, monsieur M… exigeait le respect de son droit à la vie privée protégé par l'art. 8 de la Charte canadienne pour mieux porter lui-même atteinte à cette autre composante de son droit à l’intégrité de sa personne qu’était le droit à la vie. Tout comme dans l’arrêt Godoy, l’ordre public dictait que les policiers aient le pouvoir de faire en sorte que soit priorisé ce qui ressortit d’avantage à la dignité, à l'intégrité et à l'autonomie que de la personne, soit la protection de la vie. J’estime par ailleurs que bien que dans le cas de monsieur M… dernier ait été le détenteur des divers droits protégés par la Charte canadienne (alors que dans l’arrêt Godoy les circonstances amenaient à contrebalancer le droit à la sécurité de la victime avec celui du droit à la vie privée de l’accusé), le principe m’apparaît être le même : l’importance du droit à la vie l’emportait sur les autres droits fondamentaux en cause.

(…)

¶ 22 Par conséquent, j'estime que l'importance du devoir qu'ont les agents de police de protéger la vie justifie qu'ils entrent par la force dans une maison afin de s'assurer de la santé et de la sécurité de la personne qui a composé le 911. L'intérêt que présente pour le public le maintien d'un système d'intervention d'urgence efficace est évident et est suffisamment important pour que puisse être commise une atteinte au droit à la vie privée de l'occupant. Cependant, j'insiste sur le fait que l'atteinte doit se limiter à la protection de la vie et de la sécurité.

COMMENTAIRE : En l’espèce, j’estime que l'importance du devoir qu'ont les agents de police de protéger la vie justifie qu'ils refusent de quitter les lieux malgré les directives contraires de la part de monsieur M… J’estime également que « l'intérêt que représente pour le public le maintien d'un système d'intervention d'urgence efficace est évident et est suffisamment important pour que puisse être commise une atteinte au droit à la vie privée de l'occupant. ».

¶ 23 (…) Ils avaient le devoir en common law (codifié par le par. 42(3) de la Loi) d'agir en vue de protéger la vie et la sécurité. Par conséquent, leur devoir leur imposait de répondre à l'appel au 911. Une fois rendus à l'appartement de l'appelant, les agents de police avaient le devoir de vérifier les raisons de l'appel. S'ils avaient accepté la simple affirmation de l'appelant qu'il n'y avait "pas de problème", ils auraient manqué à leur devoir. Les agents de police étaient autorisés, en raison des pouvoirs qui leur sont conférés en common law pour s'acquitter de ce devoir, à entrer dans l'appartement pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un cas d'urgence. (…) Comme je l'ai déjà dit, le droit au respect de la vie privée de la personne qui ouvre doit s'incliner devant l'intérêt de quiconque se trouve à l'intérieur. La menace pesant sur la vie ou l'intégrité physique intéresse plus directement la dignité, l'intégrité et l'autonomie qui sont les valeurs sous-tendant le droit à la vie privée que le droit d'être à l'abri de l'intrusion minimale de l'État que constitue l'entrée des agents de police dans l'appartement pour enquêter sur un cas d'urgence potentiel.

COMMENTAIRE : En l’espèce, les policiers auraient manqué à leur devoir s’ils avaient obtempéré à la demande de monsieur M… de quitter sa résidence: il n’y avait aucun autre moyen raisonnable que celui de la démarche policière en question pour s’assurer que monsieur M… n’avait pas ingurgité des médicaments pouvant entraîner sa mort. À tout le moins il fallait l’emmener à l’hôpital pour le garder sous observation jusqu’à ce qu’il devienne évident qu’il n’y avait plus de danger pour sa vie.

lundi 12 octobre 2009

Le policier avait-il des motifs raisonnables de procéder à l'arrestation concernant 253 Ccr (symptômes permettant de fonder des motifs raisonnables)?

R. c. Cloutier, 2008 QCCQ 2272 (CanLII)

[32] En premier lieu, il faut noter que les explications données par l'accusé ne sont pas tenues en compte à cette étape des procédures. En effet, le Tribunal n'a pas à déterminer maintenant si preuve est faite hors de tout doute raisonnable de la commission de l'infraction mais plutôt si l'agent de la paix avait des motifs raisonnables pour arrêter pour conduite avec capacité affaiblie.

[33] Voici le test établi par la Cour suprême du Canada dans R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 241:

"[para 17] En résumé donc, le Code criminel exige que l'agent de police qui effectue une arrestation ait subjectivement des motifs raisonnables et probables d'y procéder. Ces motifs doivent en outre être objectivement justifiables, c'est-à-dire qu'une personne raisonnable se trouvant à la place de l'agent de police doit pouvoir conclure qu'il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation. Par ailleurs, la police n'a pas à démontrer davantage que l'existence de motifs raisonnables et probables. Plus précisément, elle n'est pas tenue, pour procéder à l'arrestation, d'établir une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité."

[34] Voici ce sur quoi le policier s'appuie pour décider de procéder à l'arrestation:

- l'accusé se rend à l'édifice de la Caisse en faisant des enjambées anormalement grandes, le corps penché vers l'avant et avec les bras éloignés du corps "pour garder l'équilibre";

- il perd l'équilibre en ouvrant la porte;

- il arrête à seulement un pied du policier, soit à l'intérieur de ce qu'on peut appeler la "zone de confort" ou de sécurité du policier;

- il dégage une "bonne", une forte odeur d'alcool, il a les yeux rouges et les pupilles dilatées;

- le policier lui demande ses trois documents habituels, soit le permis de conduire, le certificat d'immatriculation et l'attestation d'assurance, mais l'accusé ne lui remet que le permis de conduire. Il faut lui demander chacun à tour de rôle pour les deux autres documents;

- il échappe son certificat d'immatriculation et se relève en sueurs, malgré qu'il fasse froid, -5 à -10º C, que son manteau soit ouvert et qu'il ait froid suivant son témoignage;

- il ne reste pas immobile, piétinant sur place et passant son poids d'un pied à l'autre, comme quelqu'un qui a "envie";

- le policier est convaincu qu'il est en état d'ébriété.

[35] D'un autre côté, le policier ne constate rien d'anormal lorsque l'accusé sort de son véhicule comme il n'avait rien constaté d'anormal dans la conduite du véhicule lorsqu'il l'a suivi sur une courte distance. La remise des documents est adéquate, mis à part ce qui est constaté plus haut.

[36] Il n'a pas de difficulté de langage et n'a pas la bouche pâteuse.

[37] Parmi la panoplie de symptômes permettant de fonder des motifs raisonnables, le Tribunal constate qu'il n'y a pas de preuve concernant:

- une conduite hors norme;

- des problèmes de coordination ou des fonctions motrices, mis à part une perte d'équilibre à la porte et, peut-être, le document échappé;

- le temps de réaction;

- les excès émotionnels;

- une absence ou un affaiblissement de jugement;

- la capacité de se concentrer sur une tâche;

- la confusion mentale;

- la nausée;

- la capacité de suivre les instructions;

- les écarts de conduite ou les comportements impulsifs;

- un état de conscience altéré;

- les difficultés de vision.

[38] Bien que ces éléments doivent plus certainement être considérés lors de l'appréciation de la force probante de la preuve pour déterminer le verdict, le Tribunal croit que l'agent de la paix peut aussi tenir compte de l'existence ou de l'absence d'un certain nombre de symptômes pour fonder ses motifs.

[39] Ce n'est certes pas une simple application mathématique mais l'exercice d'un jugement basé sur des faits.

[40] Lorsqu'on considère les éléments qui peuvent être reliés de façon claire à la conduite avec capacité affaiblie, les symptômes sont limités: une seule perte d'équilibre à la porte, l'odeur d'alcool, les yeux rouges et les pupilles dilatées. Les autres éléments ne sont pas vraiment significatifs d'une conduite avec capacité affaiblie.

[41] Compte tenu de l'ensemble des circonstances, le Tribunal conclut qu'une personne raisonnable se trouvant à la place du policier n'aurait pas cru à l'existence de motifs raisonnables. Ces soupçons auraient dû amener un complément d'enquête par l'ADA ou les tests de coordination physique.

[42] Par conséquent, les droits constitutionnels de l'accusé le protégeant d'une détention arbitraire et d'une saisie abusive d'échantillons d'haleine ont été violés. L'accusé a été mobilisé contre lui-même en fournissant les échantillons d'haleine. L'admission de leurs résultats affecterait l'équité du procès et déconsidérait l'administration de la justice. Le Tribunal doit donc exclure cette preuve puisqu'elle n'aurait pu être obtenue par un autre moyen non fondé sur la mobilisation de l'accusé contre lui-même (R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 607 .

L'état du droit concernant l'infraction d'harcèlement criminel

R. c. Turk, 2009 QCCQ 4869 (CanLII)

[5] Dans l’arrêt R. c. Lamontagne, 1998 CanLII 13048 (QC C.A.), (1998) 129 C.C.C. (3d) 181, REJB 1998-0771, la Cour d’appel du Québec souscrit à l’analyse de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt R. c. Sillipp, (1997) 120 CCC 3d) 384 (C.A. Alta), autorisation d’appel refusée [1998]1 R.C.S. xiv, relativement aux cinq éléments essentiels de l’infraction de harcèlement criminel que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable pour obtenir une déclaration de culpabilité : [TRADUCTION][1] « (1) l’accusé a commis un des actes prévus par les alinéas 264(a), b), c), ou d) du Code criminel; (2) la plaignante a été harcelée; (3) l’accusé savait que la plaignante se sentait harcelée ou ne s’en souciait pas ou l’ignorait volontairement; (4) le comportement de l’accusé a fait craindre à la plaignante pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances, et (5) la crainte de la plaignante était raisonnable dans les circonstances ».

[6] Afin de déterminer si les gestes ou paroles d’une personne constituent du harcèlement, le juge de faits doit examiner les actes selon les critères d’une personne raisonnable placée dans la situation de la plaignante. Le contexte de la relation entre ces deux personnes est donc pertinent au litige. Un seul acte peut être suffisant pour conclure que la plaignante craignait pour sa sécurité physique ou psychologique : R. c. Ryback, (1996) CCC (3d) 240 (C.A.C.-B.); R. c. Kosikar, 1999 CanLII 3775 (ON C.A.), (1999) 138 CCC (3d) 217 (C.A. Ont.). Le test applicable pour évaluer la nature des gestes posés est objectif en ce que ces derniers doivent faire raisonnablement craindre pour la sécurité de la plaignante : R. c. Ryback, précité, paragr. 31 et R. c. McGraw, 1991 CanLII 29 (C.S.C.), [1991] 3 R.C.S. 72, p. 82-83.

[7] Cette crainte raisonnable pour la sécurité de la plaignante ne se limite pas exclusivement à sa sécurité physique, mais aussi à celle psychologique et émotive : R. c. J.C., [2004] J.Q. 11460, juge Line Gosselin-Després, C.Q., Chambre de la jeunesse.