dimanche 24 janvier 2010

Détermination de la peine dans les cas d'infractions reliées au trafic de cocaïne-base (Crack)

R. c. Leduc, 2009 QCCQ 3582 (CanLII)

[17] Il y a déjà très longtemps, notre Cour d'appel a expliqué, sans détour, les dangers sociaux entourant le trafic de cocaïne-base qui demeure d'une part, une drogue bon marché à la portée de tous et d'autre part, une drogue aux effets néfastes chez les individus qui en consomment et chez ceux qui, une fois dépendants, en manquent.

[18] C'était dans l'arrêt Dorvilus où le juge Baudouin confirmait une peine de 2 ans moins un jour d'emprisonnement pour deux ventes de quatre roches à un agent double, le tout dans le contexte d'un « crack house » que l’accusé tenait avec une complice, ce qui faisait l'objet d'un troisième chef d'accusation. Dorvilius était âgé de 34 ans, marié et père de quatre enfants. Il était lui-même consommateur de marihuana et de cocaïne. Il n'avait pas d'antécédent judiciaire. Le juge Proulx aurait pour sa part diminué la peine à une année étant donné que Dorvilius était lui-même consommateur. Notre Cour d'appel a continué de tracer la voie dans l'arrêt Blagrove où elle a reconnu que les trafiquants opérant à des fins de lucre méritaient des peines de détention sévères.

[19] Cela étant, plusieurs décisions de la Cour d'appel du Québec citées pour appuyer le caractère avant tout dissuasif de la peine, traitent de cas où le trafic de stupéfiants possède l'une ou l'autre ou une combinaison des caractéristiques suivantes : appât du gain, activités répétées, quantité importante, groupe organisé, individu fortement criminalisé.

[20] Un juge ne peut pas ignorer ces messages clairs de notre Cour d'appel. Il faut se méfier toutefois d'y voir une incitation à infliger des peines d'emprisonnement minimal et continu puisque la peine doit être avant tout individualisée. Le juge Lamer écrivait :

… La détermination de la peine est un processus intrinsèquement individualisé, et la recherche d'une peine appropriée applicable à tous les délinquants similaires, pour des crimes similaires, sera souvent un exercice stérile et théorique. De même, il faut s'attendre que les peines infligées pour une infraction donnée varient jusqu'à un certain point dans les différentes communautés et régions du pays, car la combinaison «juste et appropriée» des divers objectifs reconnus de la détermination de la peine dépendra des besoins de la communauté où le crime est survenu et des conditions qui y règnent. …

[21] Notre Cour d'appel a encore récemment rappelé que la théorie du point de départ contrevient au principe bien ancré de l'individualisation de la peine. Plus spécifiquement dans l'arrêt R. c. Prokos, la juge Rousseau-Houle écrivait :

L'individualisation de la sentence demeure un principe fondamental de la détermination de la peine. À l'égard d'infractions relatives aux stupéfiants, le système de détermination de la peine ne peut se fonder exclusivement sur la dissuasion sociale et la dénonciation de la gravité des infractions. La détermination de la peine doit être modulée et individualisée.

[22] Le juge LeBel, dissident, était d'opinion de modifier la peine d'emprisonnement avec sursis pour une peine d'emprisonnement ferme. Il notait ce qui suit :

… Un revendeur comme lui [Prokos] constitue un élément nécessaire d'une chaîne de revente d'héroïne.

Par ailleurs, l'absence de dossier criminel antérieur ne constitue pas en soi un obstacle à l'imposition d'une peine d'emprisonnement, dans le cas de trafic de stupéfiants, lorsque l'ensemble des circonstances de l'affaire l'exige. Dans le présent cas, le caractère commercial, continu et organisé du trafic, la connaissance par l'appelant de la substance qu'il vendait et la continuation de ses opérations une fois cette connaissance acquise, rendent la peine non indiquée. En effet, elle ne respecte pas suffisamment les impératifs de dénonciation et de dissuasion générale à l'égard de ce type d'infraction.

[23] La même année, notre Cour d'appel dans l'arrêt R. c. Stanislaus, rappelant notamment les principes des arrêts R. c. Blagrove, R. c. Dorvilus et R. c. Farfan a confirmé une peine de 15 mois pour un trafic de crack (3 g) et une possession en vue de trafic (3 roches). En appel, Stanislaus recherchait l'emprisonnement dans la collectivité en invoquant notamment son profil et ses acquis sociaux. En rejetant l'appel, la Cour écrit:

Appellant appeals from that sentence invoking: his lack of prior criminal convictions; his age at the time of the offence, 20; his successful rehabilition since the conviction by following a university program, engaging in community activities, and maintaining a part-time job; and that the trial judge failed to consider these and other relevant factors in imposing the sentence.

[…]

Considering that at the time he committed the offences, Appellant was a member of a community drug distribution network; that he was a non-user who admitted engaging in the crimes strictly for economic gains; the particular narcotic involved, cocaine base (crack); and the principles established in our judgments in R. v. Blagrove, C.A.Q. 500-10-000582-963, August 30, 1996; Dorvilus v. R., C.A.Q. 500-10-000111-904, July 4, 1990; Farfan v. R., C.A.Q. 500-10-000369-957, January 22, 1996.

[24] S'il est vrai que le juge bénéficie d'un pouvoir discrétionnaire considérable, ce dernier doit être exercé judiciairement, c'est-à-dire en fonction des faits, mais aussi du droit applicable.

[25] Comme la fait remarquer le procureur des accusés, citant le juge Tessier dans l'arrêt R. c. Camillucie, il n'existe pas de règle mathématique précise entre les quantités et la peine, bien que ce facteur soit néanmoins un considérant dans le processus de déterminer une peine adéquate et juste.

[26] Il plaide que MM. Leduc et Montreuil peuvent bénéficier de l'emprisonnement avec sursis. Rappelons qu'il faut d'abord que les infractions ne soient pas exclues par l'article 742.1 du Code et c'est le cas ici. Le juge doit ensuite déterminer si une peine d'emprisonnement de moins de deux ans est indiquée, c'est-à-dire qu'il doit déterminer s'il y a lieu d'écarter les mesures probatoires et l'emprisonnement dans un pénitencier. Au surplus, le sursis ne doit pas mettre en danger la sécurité de la communauté, un risque qu'il faut évaluer à la lumière des conditions éventuelles de l’ordonnance de sursis. Puis une fois ce risque maîtrisé autant que possible, la gravité du préjudice susceptible d’être causé par une récidive, doit être soupesé. Enfin, l'ordonnance d'emprisonnement avec sursis doit être conforme à l'objectif et aux principes de la détermination de la peine énoncés au Code criminel[12]. Dans l'arrêt R. c. Proulx, feu le juge Lamer rappelait qu'aucune des parties n'a formellement la charge de prouver que l'emprisonnement avec sursis est indiqué ou non, mais qu'en pratique, le délinquant est généralement celui qui est le mieux placé pour convaincre le juge. Enfin, il soulignait qu' « il serait à la fois inutile et peu avisé que les tribunaux créent des présomptions d'inapplicabilité du sursis à l'emprisonnement à certaines infractions.»

[27] Il est indéniable que le trafic de cocaïne-base ou la possession en vue d'en faire le trafic n'excluent pas, dans les cas appropriés, le recours à l'emprisonnement avec sursis. Même s'il est faux de prétendre qu'il s'agit d'une peine exceptionnelle, elle demeure l'exception parmi l'abondante jurisprudence soumise par les parties

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